Céline Masson et Catherine Desprats-Péquignot (Sous la direction)

"Le corps contemporain : création et faits de culture" Editions L’Harmattan

 

Suzanne Ferrières-Pestureau, ouvrages :
« L’originaire dans la création,
Ou comment les impressions infantiles influencent-elles les créations de l’adulte? »
A Book Concept impression Distribution Edition (ABCIDE) 2008.
« De la sentation à l’idée, l’émergence hallucinatoire d’un fond énergétique chez le créateur »,
in illusion, vision, hallucination, in Champ psychosomatique, Médecine – Psychanalyse – Anthropologie. l’Esprit du Temps, 2007 – N° 46.
« La métaphore en psychanalyse », Préface M. Scheider, l’Harmattan, 1994.
« Une étude psychanalytique de la figure du ravissement dans l’oeuvre de M. Duras »,
naissance d’une oeuvre, origine d’une style, Préface de M. Ledoux, l’Harmattan, 1977.

Suzanne Ferrières-Pestureau à lu …           

Avec cette seconde publication, « Le corps contemporain : création et faits de culture », publiée sous la direction de Céline Masson et Catherine Desprats-Péquignot chez L’Harmattan, le Groupe Pandora nous propose une réflexion sur les changements fondamentaux observés dans la clinique et dans l’art depuis quelques décennies concernant les rapports que les sujets entretiennent avec leur corps. Ce qui conduit les auteurs à postuler l’émergence d’un corps contemporain spécifique à l’époque et à la culture dans laquelle nous vivons.

Catherine Desprats Péquignot dans « Le rêve d’un nouveau corps » s’interroge sur les effets fantasmatiques générés par les avancées des techno-sciences et l’essor d’une nouvelle médecine qui ont remis en question, depuis la deuxième moitié du XX° siècle, les données qui semblaient intangibles de la condition humaine où le corps est devenu un lieu et un objet de recherches et d’expérimentations de tous ordres, y compris dans les pratiques artistiques d’une artiste comme Orlan par exemple.

Ce corps nouveau recomposé, réinventé par hybridation avec d’autres matières que charnelles, réaliserait le rêve d’un corps auquel serait épargné la dégénérescence et à la mort ainsi que la contrainte d’avoir à passer par une matrice « naturelle » pour naître.

L’auteur se demande si ce « corps de rêve », auquel on ne peut se résigner à renoncer, ne serait pas la survivance de ce qui constitue d’une certaine manière une « mère/matrice » psychique propre à entretenir la croyance dans le rêve d’un nouveau corps, de la maitrise de sa matière et du parfait de sa jouissance.

Ce rêve qui entretient l’efflorescence de l’imaginaire contemporain d’un corps nouveau alimenterait les projets et les avancées dans la réalité effective, tant dans la maîtrise du corps réel que dans celle de son imagerie.

Les maladies de la beauté, notamment les conduites alimentaires de nature compulsives (anorexie ou boulimie) seraient pour Sergio Medeiros la manifestation d’une soumission excessive à un impératif de beauté où la beauté en tant que ce qui attire, serait l’élément du Surmoi féminin. Dans son article, « L’esthétique, symptôme du féminin : les maladies de la beauté », l’auteur soutient l’idée selon laquelle cette recherche de beauté pour la femme, à travers tout processus culturel qui puisse établir une esthétique socio-historique définie comme belle, produirait l’identité réclamée par la subjectivité féminine : être femme.

Mais la femme dont la beauté est malade, faute de la permanence d’un regard intérieur valorisant, construit dans l’incorporation d’un regard maternel suffisamment affectueux et narcissique, reste prisonnière du regard de l’Autre. Cette aliénation au regard de l’Autre, au prix de sacrifices et de compulsions alimentaires, utilise l’aliment comme un objet magique ajouté ou soustrait au corps pour provoquer le regard de l’Autre au prix d’une insatisfaction constante. Etre vue est la condition sine qua non du rapport entre le sujet féminin et l’autre pour conserver son amour, mais avant tout pour conserver l’amour d’un Surmoi et préserver les idéaux du Moi à travers lui.

Dans « Le corps extrême : corps inhumain, corps post-humain ou corps trop humain » Simone Korff Sausse nous propose une réflexion sur le corps contemporain à partir d’une double approche : clinique et esthétique où elle effectue des croisements entre les productions artistiques contemporaines et les destins des corps dans la clinique, en s’interrogeant sur l’existence d’une frontière entre symptôme et création.

Sous la notion de « corps extrêmes » l’auteur rassemble un certain nombre de situations du corps (corps handicapés, corps du grand prématuré, corps blessé, corps réanimé, corps du vieillard, corps transsexuels ….) qui ont en commun de nous amener aux frontières de l’humain. A l’intérieur de ce champ elle différencie les atteintes corporelles volontaires de celles qui ne le sont pas, ainsi que les mouvements opposés de symbolisation et de désymbolisation. Les corps extrêmes sont en effet à la fois l’objet de déconstruction symbolique et de deshumanisation mais aussi le lieu de symbolisations inattendues et insolites permettant de ré-humaniser le sujet.

Etayée à la fois sur son expérience clinique du handicap et sur une approche de la création contemporaine, l’auteur en vient à trouver des points communs entre les modifications corporelles imposées et celles qui sont choisies : les deux ayant un rapport avec l’axe narcissique, même si le narcissisme n’est pas du tout mis en jeu de la même manière. De plus, les deux situations activent l’une et l’autre un fantasme d’auto-engendrement, dans un cas au moyen de la réparation, dans l’autre par l’autodestruction.

La déshumanisation du corps chez l’artiste contemporain serait finalement une manière paradoxale et subversive de traquer ce que l’humain a d’irréductible. En ce sens, le corps post-humain, tout comme le corps extrême, est un corps trop humain, puisqu’il vient nous interroger douloureusement sur ce qu’il reste du sujet humain dans un corps inhumain.
Edson Luis André de Sousa tente de répondre à la question de savoir « Que peut l’art » dans son article « Pour ne pas rester les mains vides », ce qui implique en miroir une autre question « Que ne peut pas l’art ». L’idée soutenue par l’auteur est que la création serait un acte utopique qui réaliserait moins la promesse d’un paradis perdu que l’établissement d’un nouveau lieu pour regarder, sentir et penser. Dans cette perspective l’utopie aurait pour fonction d’interrompre le flux des logiques instituées et de frayer le chemin vers d’autres mondes possibles, ouvrant un espace possible entre césure et interruption, en dévoilant les faces cachées des « vérités ». Dans le prolongement de Kant et de Walter Benjamin l’auteur défend l’idée selon laquelle l’art en donnant forme à l’informe cherche à exprimer l’inexprimable dans la mesure où l’inexprimable « peut révéler la sublime présence de la vérité ».

Les rapports qui s’établissent entre êtres humains et machine sont au cœur de la réflexion que nous livre Jean-Yves Samacher dans « « Le corps sans organes » et de ses prolongements dans la création contemporaine ». Pour illustrer son propos l’auteur choisi le film d’anticipation Robocop de P. Verhoeven sorti en 1988. Ce film de science fiction pose déjà tous les jalons importants de la problématique concernant le cyborg, que l’auteur distingue du robot, lequel est une machine totalement séparée de l’être humain. Le cyborg n’est ni un être humain ni un robot, sa vocation étant d’assister et de seconder l’homme.

Pourtant selon l’auteur qui se réfère au concept de « Corps sans organes » de Deleuze pour étayer son argumentation, il se pourrait bien que, rapporté à l’univers de science fiction cyberpunk (celui du film Robocop) ou au contexte de la modernité actuelle – tous deux caractérisés par la pénétration toujours plus profondes de nouvelles technologies et une transformation progressive des êtres humains en cyborgs – le Corps sans Organes deleuzien (en tant qu’agencements de dispositifs machiniques) devienne une idée crédible et pertinente, non plus sur le seul plan philosophique, mais encore au niveau de l’observation sociologique comme sur le plan du sujet.

Ce qui amène l’auteur à s’interroger sur notre devenir en tant qu’être humain dans un monde où la machine répond de plus en plus à nos besoins, vient combler nos manques et dépossède l’homme de son pouvoir en ne lui offrant finalement d’autre choix que d’accepter et d’intégrer les nouveaux codes, les nouveaux langages et les nouveaux modes de comportements relatifs à son environnement technologique. Dés lors la difficulté pour l’homme serait d’accepter de vivre dans le contexte hypertechnologique qui est le sien sans pour autant se départir de sa composante humaine, à défaut de pouvoir rester intégralement et sans discontinuité, humain.

C’est à partir du champ de la psychose que Robert Samacher choisit de s’interroger sur l’art du 20° siècle et sur les représentations qu’il nous propose du corps contemporain dans son étude intitulée « Le corps contemporain (biotechnique) entre création et psychopathologie clinique. Le corps-machine dans la psychose ».

Sa recherche s’étaye sur les travaux d’un certain nombre d’auteurs tels que Cotard et sa description « du délire des négations », sur la notion de « Corps sans Organes » développée par Deleuze dans son étude sur Artaud, sur les  travaux de Freud concernant  le comportement machinique dans la psychose grâce à sa lecture des « Mémoires d’un névropathe » du Président Schreber, sur « L’ appareil à influencer » de V Tausk dont Freud s’est inspiré dans son article « L’inconscient ». L’auteur fait également appel à la clinique psychanalytique de l’enfant à partir du cas « Stanley » décrit par Margaret Mahler ainsi qu’au cas « Joey » analysé par Bruno Bettelheim dans la Forteresse vide mais aussi aux travaux de Lacan concernant  l’articulation de la lettre, du corps et du signifiant, ce qui lui permet de rendre compte de ce mouvement du Symbolique vers l’a-symbolique et en particulier du travail de certains artistes en quête de Réel qui échappe et qu’ils cherchent en permanence à cerner. L’approche de l’œuvre de James Joyce par le biais du Séminaire XXIII : le sinthome » va soutenir sa recherche et lui permettre de saisir ce qu’est un corps pour l’artiste et ce que peut en repérer le psychanalyste.

Robert Samacher nous montre de façon convaincante la façon dont l’art va être utilisé, par les différents artistes qu’il nous présente : Joyce, d’Artaud de Van Gogh, David Nebreda, Orlan ou Philippe Stelarc, certains de structure psychotique, comme appui et faire office de suppléance au Nom – du – Père. La démarche créatrice de ces artistes, qui entretiennent un rapport plus ou moins évident avec la psychose et la forclusion du Nom-du-Père, ceux auxquels la signification phallique fait défaut, va permettre à certains d’entre eux, c’est le cas pour Joyce, de colmater le trou de la forclusion paternelle. Pour d’autres il s’agira de traiter le Symbolique par le Réel en lançant un défi à l’art traditionnel visant à décomposer le Symbolique pour donner accès au Réel du corps, à ce qui est habituellement caché.

Mais au-delà de ces problématiques individuelles, nous sommes confrontés à travers les productions contemporaines aux conséquences du rejet de l’inconscient, tel que le prône le discours scientiste, assimilant l’homme à un ordinateur qui obéirait à un ensemble de stimuli-réactions. C’est ainsi que le rêve de l’homme machine a largement contribué à cette  abolition du Symbolique au bénéfice d’un Réel sur lequel prennent appui les créations contemporaines.

Avec « Un corps à la recherche d’un logement : corps, violence et médecine », Junia de Vilhena et Joana de Vilhena Novaes nous proposent un voyage à Rio de Janeiro, au cœur d’un pays, le Brésil, qui est devenu le champion du monde de la chirurgie esthétique où les représentations du corps vieillissant sont sensiblement différentes de celles que l’on trouve dans notre culture. Les auteurs voient dans ce phénomène culturel la marque d’un imaginaire du corps engendrant une « cartographie corporelle » qui insère et fait reconnaître le sujet comme un membre du groupe social.

Ces techniques de réversion du processus de vieillissement, via la chirurgie esthétique et les diverses pratiques « bio-ascétiques », annoncent une nouvelle subjectivité qui caresserait le rêve d’une éternelle jeunesse, où le corps échapperait à la maladie, et à la mort ; un corps sans défauts, sans poids. Ainsi se creuserait un écart entre le caractère évanescent et la liquidité des valeurs du monde contemporain et le culte du corps qui exige du sujet exactement l’inverse : permanence et immutabilité.

Ce corps, libéré de la dégradation de la chair, assumerait une condition sacrée où il s’agirait d’être vu non pas comme objet de désir mais comme objet de design, ramené au rang d’objet de consommation marqué par la désuétude typique de la société de consommation dans laquelle le sujet de ce corps angélique évolue.

Les auteurs font l’hypothèse d’une magie et d’une ritualisation à l’œuvre dans ces pratiques chirurgicales où le chirurgien devient l’officiant d’un véritable culte visant à créer la forme parfaite.

Dans ce contexte la vieillesse apparaît comme le grand mal qu’il faut combattre en retardant la mort, la douleur, la souffrance c’est-à-dire tout ce qui caractérise la condition humaine.

Partant du constat que la représentation de l’image du corps dans les champs de l’art et de la culture donne à entendre et à voir les figures majeures des discours qui la déterminent comme produit d’une culture à une période donnée, Angélique Christaki, dans son étude « Logiques des corps dans la postmodernité : incidences cliniques », se propose de dégager quelques unes de ces figures paradigmatiques de l’ensemble des formes artistiques contemporaines à partir de la performance de Serge Oldenbourg «  Solo pour la mort ».

Cette composition imaginée et orchestrée par l’artiste lui-même sur le thème de la mort, procède d’une esthétique de l’extrême. Elle serait, pour l’auteur, une ultime tentative de réponse face à ce qui, du corps et de la sexualité, se délite dans les discours actuels de la science et de la médecine. Ce que l’art donnerait à voir et à entendre, à travers le trait de la provocation, serait le débordement, au sens d’une dé-spécification de la fonction sexuelle du corps et de ses pulsions ; alors que le voilement-dévoilement, trait inhérent de sa mise en forme, pourrait être entendu comme la trame d’un cheminement créateur.

Dés lors, le geste extrême de l’artiste serait l’écho d’un malaise dans la culture dans la mesure où il semble saisir, ce qui, du symbolique, tend à être effacé par le discours de la culture libérale et la dimension virtuelle.

Mais si la logique du virtuel, au même titre que celle de l’art, se soutient du malaise actuel dans la culture, la réponse apportée par l’œuvre d’art peut être considérée comme le symbole d’une dette à transmettre, alors que la logique du virtuel semble avancer en esquivant constamment le prix à payer par le sujet pour entrer dans la sexualité et le rapport à l’Autre.  

Cette discussion sur l’art et la culture conduit l’auteur à poser l’hypothèse suivant laquelle le corps asexué et fonctionnel promut par la dimension du virtuel, répond au même malaise que le geste extrême de l’art. Tous deux illustrent les impasses et atypies de l’avènement du corps comme corps érogène, comme corps de la pulsion parce que mortel et sexué. La représentation de l’image du corps qu’ils nous proposent traduit les coordonnées de l’écriture du malaise actuel et trouve sa source dans une désintrication et une déspécification des pulsions, dont dépendent les diverses pathologies de l’image du corps.

Reprenant pour objet d’étude la dimension du virtuel Céline Masson et Rémy Potier nous proposent deux approches du corps réduit à un « corps d’images » dans  « Second life : Créer un corps et re-faire sa vie sur Internet ».

Dans une première partie intitulée « Second Life : art graphique ou fétiche » Rémy Potier s’interroge sur la nature de la vérité donnée à voir et à comprendre dans les représentations numériques de l’univers virtuel proposé par Second Life grâce à un programme de simulation qui permet à l’utilisateur de vivre une sorte de « seconde vie ». Ces représentations ne sont pas celles d’une réalité déjà existante, ce sont des simulations numériques de réalités nouvelles, assimilables à des simulations virtuelles dans la mesure où elles proposent une autre expérience du réel où l’espace n’y est pas autre chose qu’une image qui se formalise et se modélise sans relâche.

Second Life est un monde où les frontières se brouillent et où les corps s’effacent, où l’Autre existe dans l’interface de la communication, mais sans corps et sans visage, sans autre toucher que celui du clavier de l’ordinateur, sans autre regard que celui de l’écran. Dés lors se pose la question du double dans le sens où le double serait la représentation du Moi pouvant prendre diverses formes, issues du narcissisme originaire. Ce corps virtuel ne prend plus appui sur le corps de chair mais est une construction numérique qui engage des représentations de soi auxquelles le sujet contemporain se voir confronté.

Dans ce monde qui a bien l’allure d’un rêve éveillé, le sujet se téléporte au gré de ses fantasmes les plus primaires, en cliquant sur le lien hypertexte mis en scène. Le jeu avec l’identité devient possible, sans craindre un choc en retour du réel, toutes les métamorphoses sont pour ainsi dire autorisées sans avoir à se soumettre au principe de réalité, étant toutes entières placées sous l’égide du principe de plaisir et de l’imaginaire. L’homme peut ainsi se libérer de l’esclavage de son corps et s’affranchir de l’Autre physiquement en le rendant, paradoxalement, bien plus proche.
Cependant, l’auteur refuse de réduire les enjeux psychiques engagés par ces transformations techniques, au contenu inquiétant qu’ils recèlent, pour en souligner l’implication créatrice et son caractère salvateur, voyant dans cet usage du virtuel le passage de la tradition orale à l’écriture, qui, pour Platon dans Phèdre, est à saisir comme pharmakon, remède et poison à la fois.

Avant de revenir à l’analyse des images créées sur Internet notamment dans Second Life, Céline Masson dans son article « Une parabole littéraire pour approcher l’univers virtuel de Second Life : L’invention de Morel, fantastiques images » fait un détour par une lecture du mythe de Pandora et du livre d’Adolfo Bioy Casarès, L’Invention de Morel, et pose la question de savoir ce qu’est le vrai, ce qu’est l’illusion et quelle sorte de « folie » prend-t-il aux hommes d’inventer des machines à créer du leurre. Ce qui l’amène à s’interroger sur les images actuelles dont nous ne pouvons plus nous passer et auxquelles nous vouons  un véritable culte.

Le conte écrit par Casarès  en 1973, semble par avance métaphoriser le virtuel en attribuant à Morel, le pouvoir de construire des appareils capables de reproduire toutes les images, tous les sons, les odeurs et la consistance des êtres et des choses de façon à pouvoir répéter ainsi indéfiniment les morceaux de vie enregistrées.

Les appareils de Morel ont pour finalité de remédier aux absences, en reproduisant les images des sensations liées à l’objet du désir du narrateur, en s’affranchissant du corps. Il s’agirait de se débarrasser de ce corps trop encombrant, obstacle aux désirs. Enlever du corps c’est se donner les moyens d’image d’un amour sans corps où la sexualité est sans conteste remaniée. Cet amour virtuel (en images) a pour organe sexuel l’œil et sa fonction, le regard.

Ce conte avant coureur énonce la crainte contemporaine des ambitions sans bornes de la science en mettant en scène un monde où les interactions sociales ne sont possibles qu’à condition d’entrer dans le jeu des images.

Les artistes de l’extrême contemporain ont pressenti les modifications de ce corps (corps social aussi bien que corps biologique, corps sexué et sensuel) et leurs œuvres témoignent des perspectives à venir : corps prothétique, corps machine, corps ouvert, corps image, corps virtuel…). Ce « traitement artistique des corps » flaire une certaine politique du corps et traite alors esthétiquement, plastiquement le devenir des corps. Corps finalement réduit à une image, un trompe la mort dans sa toute puissance scopique. Dans un tel contexte une question se pose pour l’auteur « Y-a-t-il un érotisme contemporain » ?

Face à l’expansion et à la banalisation de l’usage des psychotropes en ce début du XIX° siècle où nos corps sont décrits, traités et vécus comme des machines bio-neurocognitive dans lesquelles les anciennes frontières entre nature et culture, entre humanité et animalité se diluent, Monah Winograd dans « Corps, cerveau et pensée » s’interroge sur les chemins qui ont amenés à formuler l’idée que notre pensée pourrait être réduite à des états et des structures cérébrales. Ce qui reviendrait à poser la question de savoir comment le cerveau et la pensée se sont-t-ils retrouvés si étroitement liés au fil de l’histoire occidentale des idées.

A travers une rétrospective partant d’Aristote qui enseignait que la fonction du cerveau, antagoniste de celle du cœur, est de refroidir le corps de l’animal, puis d’Hippocrate qui voyait dans le cerveau le noyau des sensations, l’organe du mouvement et de la raison, l’auteur nous montre que c’est avec Franz Joseph Gall au XIX° siècle que s’inaugure une véritable science du cerveau où ce dernier est présenté comme l’unique support physique de l’ensemble des facultés. Contre l’idée de l’acquisition d’expérience sous la pression de l’environnement, Gall défend l’innéisme des qualités morales, des dons intellectuels et des tendances affectives.

Reprenant les travaux de Ganguilhem, l’auteur se livre à une critique de la prétention à vouloir créer une science de l’esprit basée uniquement sur la corrélation entre les états et les structures cérébrales, prétention largement contredite par l’observation de nouvelles modalités de malaises psychiques qui sont caractéristiques du contexte dans lequel nous vivons actuellement  dont la dépression et l’angoisse sont les symptômes les plus représentatifs.

L’article se termine sur la question toujours actuelle, question qui n’a jamais cesser de préoccuper l’homme depuis l’origine : Qu’est-ce que penser quand penser c’est inventer, désirer, produire du sens, signifier ? Question qui engage l’homme au niveau d’une éthique car avec Freud et contre un certain courant contemporain de la neurophysiologie, l’auteur affirme que le ça freudien ne pourra jamais être réduit à un cerveau.

Anne Tassel poursuit cette réflexion, sur les modifications de notre approche du corps engendrées par les technologies contemporaines, à partir de son expérience clinique auprès des adolescents dans son article « Le corps et la machine. Un terrain d’expérience : la clinique de l’adolescent ».
Elle s’interroge notamment sur les incidences d’une certaine intimité machinale perçue par les adolescents et sur les modalités d’intégration de ces nouvelles technologies qui interrogent les voies de réaménagements psychiques de leur sexualité du point de vue de leur relation à une nouvelle image du corps.

Ces bouleversements technologiques, qui exacerbent l’image narcissisante d’un corps à organiser ou à réorganiser constamment, engendrent des modifications psychiques chez les adolescents pour lesquels une nouvelle image du corps est à construire. Cette construction se fera de manière plus ou moins heureuse par le recours à des représentations souvent en conformité avec une image de corps fixe et stéréotypée selon deux modes : soit par des identifications sous-déterminées à une identité déjà réalisée, élevée à la tyrannie du devoir être et à la médiocrité de la condition d’anonyme, telles qu’on peut les observer chez certains élèves des classes préparatoires, ou certains fans de musique, additifs au look, aux piercings, aux implants ou aux tatouages. Soit par la figure sacrificielle du héros « sur-identitaire au-delà de toute identité comparable, figure protectrice qui favorise le recul de l’échéance mortelle et relève d’un acte de défi  que traduisent certains comportements suicidaires.

Par les pratiques de marquage du corps, voire de mutilation ou par la construction d’une image virtuelle qui engage, via l’écran ou les mangas, « le simulacre d’un corps réduit à une apparence » initiant à la réécriture de l’image du corps d’un corps virtuel, l’adolescent substitue, à la passivité douloureuse du corps subi de l’enfant, l’image d’un corps construit lui permettant de s’opposer ainsi à la condition monstrueuse de l’humain, faute de consentir à « n’être que » ceci ou cela c’est-à-dire à renoncer à une image idéalisée de soi.

Le discours sur la vieillesse dans notre société participe d’un pacte dénégatif entre les membres d’un groupe visant à refouler la question du vieillissement et de la mort au profit d’un contrat narcissique sous la forme d’une promesse d’immortalité et de contrôle absolu où il s’agirait d’être âgé sans être vieux. Régine Waintrater dans « Le corps de la vieillesse dans la culture contemporaine » questionne les raisons de ce déni d’une vieillesse qui n’est plus vécue comme une phase normale et annoncée de la vie mais comme un scandale absolu tant pour soi que pour les autres.

La réponse à cette question engage notre rapport au temps, à un temps limité par la mort, ce qui va à l’encontre des visées de l’inconscient pour qui le temps n’existe pas. Or notre corps nous confronte aux changements constants et imperceptibles que l’âge lui imprime en nous rappelant ce que nous voulions oublier : l’irréversibilité.  Ce constat va obliger le sujet à négocier avec un mélange complexe de perceptions et de représentations où le culturel joue un rôle prépondérant.

C’est autour du thème de la nostalgie que semble se faire le partage entre deux choix pour le sujet vieillissant, l’un qui consisterait à s’étayer sur le passé dans un mouvement qui intègre la perte de l’objet tout en le ranimant, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles issues sublimatoires, l’autre au contraire virerait à la mélancolie. Le premier correspond à un mouvement de retour qui va permettre la création de nouveaux appuis narcissiques tandis que le second se clôt sur lui-même, fermant ainsi l’accès à des nouvelles positions psychiques entraînant le sujet dans une nostalgie mortifère. Le recours au suicide de certains survivants ayant vécus des situations extrêmes de persécution, au moment où ils se trouvent confrontés au vieillissement, semble être lié à une incapacité à élaborer de nouvelles positions psychiques et à se porter vers de nouveaux objets. Le souvenir du corps d’avant devient insupportable dans ce qu’il évoque de la perte, et  devient un dangereux point d’attirance vers ce qu’André Green définit comme la « fonction désobjectalisante ».

Les pathologies de l’acte qui interpellent de plus en plus la clinique psychanalytique ne sont plus, selon Eduardo Rozenthal, l’expression représentative de l’excessif refoulement de la sexualité, motif central du mal-être névrotique mais seraient davantage l’expression d’une souffrance psychique liée aux difficultés de la dynamique de la compulsion de répétition comme opérateur d’inscription subjective de la force pulsionnelle. Dans son article « La psychanalyse des petites perceptions » l’auteur voit dans cette mutation l’expression d’un mal-être qui n’est plus névrotique mais pervers voire psychotique.

A partir de son expérience clinique, il avance l’hypothèse selon laquelle les pathologies psychiques actuelles seraient des pathologies de la compulsion de répétition. Elles concerneraient des contenus subjectifs qui ne sont pas liés à l’ordre de la parole et du langage mais à des troubles de la pulsion, notamment de son inscription. Il faudra donc prêter davantage attention aux sentiments et aux sensations corporelles, affranchis des liens avec la représentation, en s’attachant au champ des « différences imperceptibles » constitué par ce que Leibnitz appelait « petites perceptions » lesquelles détermineraient la « subjectivité ».

Dans la situation clinique contemporaine, le transfert ne peut être réduit à la sphère de la subjectivité œdipienne et au maniement de l’interprétation car les dysfonctionnements observés résultent avant tout de la conséquence psychique de troubles plus originels. Il s’agit de la condition de possibilité de la subjectivité, c’est-à-dire des avatars de la création de l’inconscient et de son principe fonctionnel.

Cristiana Carneiro avec « Temporalité et image » mène un questionnement sur les changements significatifs concernant le temps et l’espace induit par la contemporanéité. Ces changements qui se traduisent par le nivellement des générations ou par un déni du vieillissement, modifient le rapport que le sujet entretient avec les trois dimensions du temps – passé, présent, futur – en privilégiant la suprématie d’un présent rendu éternel et exubérant et la prédominance du spatial.

Les conséquences de ce nouveau régime de temporalité modifient la relation entre cette fixité temporelle du présent et le sujet. Il se traduit dans la clinique par un appauvrissant de la possibilité d’interprétation (l’acte remplacerait le mot) et un appauvrissement des mécanismes psychiques impliqués dans la production du sens.

Face à cette logique de l’immédiateté, le psychanalyste serait amené à relever un formidable défi, celui d’avoir à construire d’abord un champ de sens avec une certaine cohérence et à affirmer une certaine permanence pour pouvoir ensuite la remettre en question. Sans assemblage des sens, sans autre texte plus vaste, l’institué se dissout en fragments qui deviennent invisibles. La perte reste perdue et non symbolisée car elle ne peut être mise en mots.

Cet ouvrage, écrit à partir des travaux présentés au Colloque Pandora organisé à Rio de Janeiro  en novembre 2007, s’inscrit dans le prolongement d’une première publication Pandora – « Métamorphoses contemporaines : les enjeux psychiques de la création ». Il constitue un outil précieux pour tous ceux qui s’interrogent sur les effets des nouvelles technologies (médicales, biotechnologiques, cybernétiques etc.) sur la représentation du corps dans la clinique et dans l’art.

A partir des différentes approches proposées, les auteurs s’accordent sur l’idée que la difficulté pour l’homme contemporain serait d’accepter de vivre dans le contexte hyper technologique qui est le sien sans pour autant se départir de sa composante humaine, à défaut de pouvoir rester intégralement et sans discontinuité, humain.

Suzanne Ferrières-Pestureau

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