Catherine Millot La Logique et L’amour, Et autres textes

éditions Cécile Defaut, 2015

Fabienne Ankaoua, psychanalyste, dramaturge,

Membre fondateur d’Instance et membre du Cercle Freudien.
Auteur d’une thèse, Le tragique de l’être, de la faute au pardon entre Lévinas et Lacan.
Art et psychanalyse, Janus à 2 têtes? Revue Insistance n° 9, Septembre 2014, Eres.

Enfin libre…
Qu’est ce qui sous tend une écriture, une écoute ou un amour, telles sont les questions auxquelles nous sommes confrontés dans le livre de Catherine Millot, La Logique et l’Amour et autre textes. 
Elle revient dans ces textes sur ce qui est présida à son orientation vers la psychanalyse, celui d’une éprouvé, d’une « expérience intérieure » comme le nomme Bataille, d’un vide libérateur qui la mène vers un athéisme gagné par un long trajet, expérience essentielle, gravée à même la peau par un sang d’encre, au sens de Jean-Noel Vuarnet et ces extases féminines, mais néanmoins pour une part, intransmissible.
Si la traversée du fantasme n’apparaissait pas en fin de cure, elle  existait déjà là avant, comme point de départ à toute tentative de dévoilement. Elle fait entendre ce rapport à la lettre de Lacan, où il situait l’écriture tant logique que littéraire. Son questionnement, son cheminement dans l’analyse n’est pas sans rappeler les épiphanies de Joyce, « manifestations spirituelles », autre versant de  son écriture. Écoute du signifiant davantage que du signifié, « quiddité de l’objet » nous offrant l’accès à son essence, où une lumière, un rayonnement de déploie, telle est l’enseignement que nous transmet l’auteur en dialogue avec les avancées de Lacan.
Tout tourne, dans ces différents textes, autour du vide, de murs érigés en mai 68 afin de fabriquer une vacuole, à un « se jeter » comme mode de entre un « je et un moi » renvoyant au rebus. Faire « litière de la lettre », dans un glissement de letter à litter, c’est encore une expérience intérieure, celle de se délester, c’est à dire de l’écriture. Quelle soit analytique ou littéraire, « épiphaniquement joycienne », ou mettant en scène le sauvetage d’une fille perdue à travers par exemple, la fin du film Stromboli de Rosselini ou de la mort d’Ivan Illich de Tolstoi, tel que l’auteur l’évoque dans Abimes Ordinaires. Elle se réfère  encore la position d’Arthur Koestler qui à la proximité de sa mort, trouve l’issue dans l’extase, dans un retournement, il s’agit toujours de l’expérience de la perte.
Se jeter, passer à la poubelle, glissait à nouveau, naître à nouveau, rejoint, dit-elle, ce que Lacan nomme « rupture de l’être qui laisse trace », accepter tel Lord Chandos les effets de dépersonnalisation qui surgissent, se défaire de tout ce qui compose le moi.
Pour ce faire, quelques jalons, Lacan bien sûr, mais aussi Bataille et son monde Acéphale, Nietzche, Foucault, Blanchot, sans oublier Duras et le ravissement de Lol V Stein. L’expérience de ravissement est première dans ce texte, largement commenté, par Lacan lui-même, Anne-Marie Stretter ravit son fiancé à une jeune fille, la laissant figée, ravagée, enfermée dans un mutisme, absentée à la douleur. Ce ravissement, terme utilisé couramment par les mystiques, est à mettre en relation avec l’hilflosigkeit, cet état de sans recours, de « sans recours face à la jouissance de l’Autre » comme le dit Lacan, de détresse, d’anéantissement du moi, abandonnement à l’abandon qui par une opération de retrournement se commute en une autre liberté, celle que Mme Guyon nommait « le large ».
Faire le mort alors, consentir à sa propre perte, pour le dire autrement, comme Ferenzci, pour renaître. Renaître n’est-ce pas aussi l’expérience d’Anne Lise Stern, qui telle Cassandre ne cessait pas d’essayer de se faire entendre, de faire entendre son « savoir déporté » issu de sa déportation dans les camps nazis et qui trouva par l’écrit, une manière de faire que le sens a aussi cesse de proliférer et qu’il se soulage par une inscription, par une trace laissée au plus près du réel. Le réel c’est l’impossible auquel nous sommes confrontés, un impossible que l’on avoisine par le fait de l’écriture. C’est ce qui fait de Genêt le voleur, un saint, un expérimentateur, un embobineur de vide, un avoisinant lui aussi, comme Joyce, comme Catherine Millot, de l’épiphanie. Ce vide, serait, dit-elle, l’espace où rayonnent les choses, lieu où se déploie la lumière lorsque nous ne nous mettons plus sous la garantie d’un père. Il serait alors, ajoute t-elle encore, l’espace d’un déploiement, le lieu du laisser être à l’égard des choses où la nature  et les dieux nous ouvraient à leurs secrets. Point de lumière, ravissement, extase tels sont les termes qu’utilise l’auteur pour nous faire fart de son cheminement vers une certaine « phrase mystique »,  le monde et l’amour, l’amur auquel nous parlons, la psychanalyse et sa part de silence dans laquelle nous errons. 
Ecriture du désastre, alors, comme le définit Blanchot, solitude qui rayonne, vide du ciel, mort différée, désastre où « Quand tout est dit, ce qui reste à dire est le désastre, ruine de parole, défaillance par l’écriture, rumeur qui murmure : ce qui reste sans reste (le fragmentaire). » N’est ce pas dans ces contrées où s’achemine Catherine Millot, dans ce « voyage au bout du possible de l’homme » à revenir sur les traces de Bataille ?
L’expérience mystique n’est-elle pas une praxis, nous dit-elle encore, dont le champ est organisé par un discours, pouvant prendre forme d’un dispositif technique, au même titre que « l’expérience analytique » ?  Lacan, a pu le dire dans Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, la faisant entrer dans le champ de la science. En effet, ces deux champs d’expériences que sont l’expérience analytique et l’expérience mystique ; consistent à opérer sur un sujet une modification de son fonctionnement psychique, qui est en même temps une transformation de sa structure. Si « aucune praxis plus que l’analyse n’est orienté sur ce qui, au cœur de l’expérience, est le noyau du réel », poursuit Lacan, l’auteur fait un pas de plus en soutenant qu’il en va de même avec l’expérience mystique. Toutes deux ont rendez-vous avec « le réel qui se dérobe », avec le traumatisme, avec l’inassimilable, au-delà de l’automaton, rappelle t-elle, au-delà de la chaine signifiante qui fait retour et insiste.
Alors réel inassimilable, irréductible, enclos tant dans l’expérience analytique, que l’expérience mystique, « béance de la cause », car nous sommes bien du côté du réel, là où ca ne cesse pas de se dire, et plus encore peut-être de s’écrire.
Nuit, silence, solitude, dénuement, tels sont les mots issus de l’expérience mystique de Saint Jean de la Croix, une  nuit surveillée blanchotienne, où nous dormons sans dormir, une nuit où résonne les noms des camps Treblinka, Chelmno, Belzec, Maïdanek, Auschwitz, Sobibor, Birkenau, Ravensbrück, Dachau….
Bien que l’auteur ne fasse pas mention de l’expérience des camps, sont peut-etre là encore, en prémices, dans ce recueil de textes, les récits et pensées d’une toute autre mystique, Etty Hillesum qui était « ravi » par les fleurs dans le camp où elle a était déportée, où « il faisait bon vivre » comme a pu le dire également Imre Kertezs, tous deux, comme Robert Antelme, comprirent que dans la vie même, tel que l’énnoce Blanchot, il y a du néant, un vide insondable dont il faut se défendre, tout en admettant l’approche.

Fabienne Ankaoua

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