L’Invité : mardi 11 Décembre 2001

Catherine MILLOT pour son livre "Abimes Ordinaires" Editions Gallimard - Infini Présentation par Michèle Dollin et Delia Kohen

 

« I am finished. »disait Ingrid Bergman épuisée près du cratère du Stromboli, dans le film de Rossellini qui porte le même nom.
« Abîmes ordinaires » n’est pas un roman, n’est pas un essai. Est-ce un nouveau genre littéraire ?…

 » je me réclame plutôt de la filiation de Théodore Reik qui à propos de son livre Fragments d’une grande confession disait : J’ai inventé un nouveau genre, l’autobiographie psychanalytique. »

« Je souhaitais que quelque chose du rire vienne diviser le sérieux. La note humoristique que j’ai voulu y mettre serait passée. Karl Krauss (c’était à propos de la situation sur le front à la fin de la première guerre mondiale) disait : à Berlin, on dit que la situation est sérieuse mais pas tragique, à Vienne on dit que la situation est tragique mais pas sérieuse. »

« Ce livre est performatif, c’est un acte , certains signifiants ont émergé, ça produit des effets. »

 » il n’y a pas d’Autre…  » dans ma démarche, il y avait une volonté d’athéisme, mais comme disait Lacan, « l’athéisme ça ne s’atteint qu’au terme d’une longue ascèse ».

Comme le temps parfois peut passer joliment grâce à vous Catherine Millot : 9 Septembre 1981. 20 ans passés. Abîme ordinaire dont on pourrait dire par moments balbutiés, comme d’un deuil, l’analyse accomplie jusqu’à l’interminable. Nostalgie dont on sait qu’elle n’a pas d’antonyme, ne se retourne pas. C’est votre sixième livre … une oeuvre déjà ? Cela pourrait bien commencer, après quoi se dire, contrairement au poète qu’à l’avoir toute lue, on ne serait plus triste… ? Dans le métro l’autre jour quand je lisais votre dernier livre, une jeune fille en face de moi semblait hésiter à s’enhardir. Après quelques mimiques de « cet air égaré « qu’ont certaines femmes dans la ville », les « vraies » disait Lacan – certaines, certains parmi vous se souviendront sans doute dans quel spirituel contexte sinon nous pourrons y revenir tout à l’heure si vous le désirez -, après quelques appuis du regard, puis des fuites, une feinte indifférence, ces jeux de physionomie corrélats de la parole, autant d’indices à quoi seule une femme peut-être pourrait reconnaitre une autre femme, elle se risque :  » Pardon Madame, ça parle de montagnes votre livre ?  » Passé le léger malaise que j’éprouve encore en France, hexagonale fille de l’Eglise à cet usage qui veut que sauf en oraison, l’on demande pardon quand on s’adresse à l’Inconnu, je la laissais à ses rêves de parapentes et de sauts à l’élastique, au doux puéril revers des choses, pour le plaisir du mot d’esprit : … ça tombait a pic : « I am finished » se disait Ingrid Bergman épuisée près du cratère du Stromboli. Il est souvent question d’ascensions dans ce livre. Si l’on disait plutôt de chutes, des jouissances de la chute. Voyons la pluralité de la jouissance Autre, bordant souvent comme en prédilection la jouissance féminine. Mais Catherine nous montre bien, par ce que des hommes en auront écrit, comme cette prédilection ne saurait épargner qui moins qu’une femme, aurait à échapper aux risques de la détumescence…. quand la pulsion de mort irait  » apporter la vie et non l’inverse » selon la religiosité d’un piètre avenir sans illusion. Vallée de larmes. D’ascensions mais aussi ici de chutes … libres. Elle avait bien raison : – parapentes – ma Zazie vis-à-vis dans l’métro. Per-vertissons : père à pentes. 1 Il semble, le livre refermé, que Catherine qui nous a confié son mieux-être en jean dans la rue Bab-le-Oued que rue de la Tour en ce mémorable petit uniforme gris-si-seyant, eût été bien capable de sauts à l’élastique du haut du pont du Rummel à Constantine. Elle y a bien pris le train, toute seule, la nuit. Cela aurait à s’entendre d’un être-parlant côté femmes, de la part femme des êtres-parlants, du côté droit de cet étrange tableau, cette inscription que nous présentait Lacan : « Encore », le 13 Mars 1973. Je cite :  » … à tout être-parlant, comme il se formule expressément dans la théorie freudienne rappelle-t-il … qu’il soit pourvu ou non des attributs de la masculinité, il est permis de s’inscrire dans cette partie. « Donc, la droite. Poursuivons :  » … s’il s’y inscrit, il ne permettra aucune universalité, il sera ce pas-tout …. ». Normal, alors, que soit repris de la jeune postérité, dit d’une femme, « pas-toute », barbaresque aux oreilles de l’écrivain. Quoi qu’il en soit, alors lui reviendrait en reste d’avoir à s’en tirer avec sa division. Soit d’un certain art de savoir s’excepter, un certain talent et nous savons qu’un talent fut monnaie d’échange, pas d’octroi au franchissement des abîmes. Un talent qui s’entendrait de l’expérience sûrement, de l’analyse souvent, enfin de l’écoute studieuse de la démarche lacanienne en retour à Freud pour notre enseignement. Freud déjà quelque peu illustre en 1932 mais qui ne se vante alors que de sa modestie. (ainsi Socrate s’est-il vanté de ne savoir rien …que de l’amour, qu’il connaît bien) C’est dans la préface aux Nouvelles Conférences et vous savez bien que Lacan se vantera de lire la psychanalyse à l’envers … studieusement n’en doutons pas – studium signifiant pour Cicéron : dévouement, zèle, ardeur – . Lacan rhétoriqueur badin baroque bondissant toutes voiles dehors et comme s’en voilant, s’envolant de l’ellipse à l’anacoluthe, de la litote à la prosopopée. On en serait tenté ce soir. Quelque paraphrase ? Ainsi ? : « … qu’on dise Nostalgie reste oublié de ce qui se dit dans ce qui s’entend … » Ainsi, nostalgie reçue en appositif ou en impératif, invoquée, nous n’en serions pas pour autant délestés d’un éternel retour. Et quelle rafraîchissante lecture après le nettoyage à sec. Merci Catherine Millot qui nous fera souvenir du poète :  » une femme avisée ne rencontre pas que des roses sur son chemin, elle les fait pousser » et croyons-le bien, le semblant, c’est pas du chique.

Michèle Dolin

 

 

 

   

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