L’Invité mardi 12 décembre 2006

Catherine Millot pour son livre " La vie parfaite" Jeanne Guyon, Simone Weil, Etty Hillesun Editions Gallimard Présentation de Francis Cohen

 

 

 

 

Francis Cohen : J’ai beaucoup de plaisir à vous présenter… « La vie parfaite c’est un très beau livre « , je le dis tout à fait sincèrement. Nous présentons au cours de l’année des ouvrages qui nous ont plu, qui nous paraissent intéressants, mais bien évidemment, il y a des disparités. Celui-ci est tout à fait intéressant, bien qu’il ne soit pas, à mon sens, très facile ou très aisé à restituer dans toute sa complexité. Je pense d’abord qu’effectivement, il produit – c’était évident au moment où nous avons préparé ensemble ce travail – des effets certains, et qui conviennent bien à sa matière, c’est-à-dire une certaine forme d’enthousiasme ou d’exaltation. Pendant que je pensais à ce mot d’enthousiasme, m’est revenu un texte de Lacan je crois que c’est dans « La lettre aux Italiens » qui écrivait – évidemment, c’est un peu, apparemment, à contre-pied, mais ça ne l’est pas complètement – à propos de la sainteté, qu’il faut « de l’enthousiasme pour le déchet ». Peut-être, dans la démarche que Catherine Millot établit pour nous, à travers ce qu’elle nous dit des dames dont elle parle, cette question n’est pas complètement absente. A propos de Madame Guyon, si je ne me trompe pas, elle observe quelque part dans son texte que la première mort ne suffit pas, ce moment où le corps entre en décomposition, mais qu’il faut aller encore plus loin. Avec la seconde mort, il ne doit plus rien rester.

Notre enthousiasme que je rappelais là est évidemment d’une autre nature , au niveau d’un échange qui fait qu’effectivement, on est curieusement envoyé, intéressé, par des trajets qui, à première vue, sont quand même très loin de notre univers courant actuel quotidien. Donc ,le livre de Catherine Millot s’appuie sur les expériences de trois personnes, de trois femmes, qui sont Madame Guyon, Simone Weil et Etty Hillesum… Les deux premières, on les connaît un petit peu quand même, plus ou moins ; la dernière, il faut le reconnaître – je ne sais pas ce qu’il en est pour vous – je n’en avais jamais entendu parler avant de lire ce livre ,et j’ai ainsi compris que son histoire n’est pas exempte d’un certain retentissement . Ce qui est tout à fait notable, c’est – commençons par le début – qu’elles sont trois, une tresse peut-être , la nature de cette forme intéresse notre champ. Je me permettrais d’associer , d’abord un peu irrespectueusement, je me suis dit : « Tiens, pourquoi pas « Les trois mousquetaires ». Il y a quelque chose d’aventureux dans la démarche de ces femmes. Et après tout, « Les trois mousquetaires », ce n’est pas n’importe quoi, c’est un livre aussi qui peut déchaîner l’enthousiasme. » J’ai pensé aussi – et pour établir un contrepoint plus sérieux – aux « Trois essais sur la théorie sur la sexualité », parce que tout de même… trois fois la question se répète : il s’agit d’ évoquer un sujet qui n’est pas sans rapport à la sexualité de ces femmes, même si effectivement la question est abordée – non, pas forcément discrètement, elle est abordée, mais ce n’est pas non plus le principal de ce qui retient la démarche de l’auteur . Mais il est évident qu’en tant qu’analyste, elle ne peut pas non plus s’en désintéresser complètement.

Donc avec ces trois femmes, ces trois expériences – j’emploie le terme d’expérience parce que je crois qu’il convient ; on parle d’expérience mystique, on parle aussi d’expérience scientifique. Qu’est-ce qu’il peut y avoir de commun entre ces deux champs ? Il ne suffit pas bien évidemment de parler d’expérience pour atteindre du même coup à une démarche scientifique mais il y a de la rigueur dans cette démarche . Il faut considérer l’échantillonnage, enfin la manière dont ces femmes se retrouvent assemblées autour du thème du mysticisme en dépit d’une disparité de destin, de conditions et d’époque tout à fait étonnante. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle vous, Catherine Millot avez pensé à les relier. On passe d’une aristocrate française du XVIIe siècle Madame Guyon, à Etty Hillesum une petite Juive d’Amsterdam pendant la période la plus terrible de la dernière guerre là-bas. Qu’est-ce qui peut faire qu’il y ait cette rencontre à travers le temps et les situations ?Et Simone Weil à l’itinéraire si déroutant ,une intellectuelle qu’il faudrait rapprocher d’Hanna Arendt , mais on y passerait toue la soirée . Ce qui me retient, c’est effectivement qu’on ne peut pas se référer, comme on le fait souvent, au mysticisme comme a une expérience historique, a un passé révolu , c’est quelque chose qui est actuel, qui reste actuel. Et ça m’a paru d’autant plus intéressant que – je ne sais pas si c’est tout à fait un hasard – sur ces trois femmes, il y en a deux qui sont juives. Tout de même, d’habitude, quand on pense aux mystiques, on pense évidemment aux saintes de la tradition catholique ; on ne pense pas tellement à des femmes de tradition juive. Je pense qu’il y a aussi là une volonté de montrer que ça ne tient pas à une seule tradition ni probablement à des circonstances de cette nature.

Quant au livre lui-même « La vie parfaite », publié dans la collection « L’infini » chez Gallimard, c’est vrai que le fait qu’il paraisse dans une collection littéraire lui donne un caractère un peu, j’allais dire déplacé, mais au sens simplement où ça le déplace, par rapport à l’habitude des écrits psychanalytiques qui paraissent généralement dans des collections parfaitement cadrées. Il y a un statut, je dirais, peut-être volontairement ambigu du texte , j’ai entendu dire : « Mais est-ce que c’est un livre de psychanalyse ? » Effectivement, pour nous, dans la mesure où nous invitons Catherine Millot, c’est que nous avons répondu à cette question . En tout cas, ça ne me laisse pas complètement indifférent que le livre paraisse dans une collection dirigée par Philippe Sollers – et là aussi peut-être que mes associations n’engagent que moi, mais tout de même -, le fait qu’il ait écrit lui-même il n’y a pas longtemps un livre qui s’appelle La vie divine, bien entendu, m’a paru tout même une coïncidence à signaler .

Catherine Millot : Ce n’est pas tout à fait une coïncidence.

Francis Cohen : Voilà, je ne peux que le constater. Mais j’irai un peu plus loin : je pense qu’il doit y avoir quand même du jeu là-dedans – vous citez souvent Nietzsche et on sait qu’Une vie divine, c’est un livre sur Nietzsche -, donc l’intérêt d’amener Nietzsche dans cette affaire, je ne sais pas, en tout cas ça se retrouve justement. Et puis, bien entendu, il y a l’intérêt de Sollers pour – je ne sais pas s’il s’intéresse spécialement aux mystiques ,mais rien de ce qui est dérangeant ne lui est étranger .

Catherine Millot : Il y a un livre de Sollers qui s’appelle Illuminations… le livre de Rimbaud, où il y a un texte intitulé Mystiques…

Francis Cohen : Ça ne m’étonne pas du tout. Il y a une rencontre . Mais je ne me rappelais pas d’Illuminations. Ce que vous dites à propos de Rimbaud ne m’étonne pas, puisque au fond, ces mystiques, « le dérèglement systématique des sens » ne leur est pas vraiment étranger… Il y a quelque chose là qui peut évoquer un aspect de cette démarche des mystiques . Il faut peut-être un peu avancer maintenant et puis passer la parole à Catherine Millot. Je voudrais avant quand même conclure avec une question qui me semble être son objet le plus évident. Là où on l’ attend, je reprends le texte de la quatrième de couverture qui également ouvre le livre : « Longtemps j’ai cru que c’était leur jouissance qui m’attirait. Je ne voyais pas que c’était leur liberté. » Ce que je veux rappeler ici, c’est qu’effectivement, à propos des mystiques, on peut vous attendre sur cette question de la jouissance. Bien entendu , quand vous déclarez : « Je ne voyais pas que c’était leur liberté », il y a un écart qui se creuse, et on se demande si effectivement du même coup cette question va être laissée à l’arrière-plan. Mais elle ne l’est pas du tout parce qu’il faut tout de même reprendre la conclusion, presque les dernières lignes du livre, où il y a une large citation de Lacan. « Et pourquoi ne pas interpréter une face de l’Autre, la face Dieu , comme supportée par la jouissance féminine ? » suggérait Lacan. Il est évident que si vous reprenez cette citation, c’est tout de même que cette jouissance en question, vous ne l’avez pas laissé tomber. On peut même dire que finalement, c’est tout le trajet

Catherine Millot : Ça fait une boucle.

Francis Cohen : Voilà , ce trajet de la pulsion, ça fait une boucle et c’est effectivement ce dont il s’agit , la jouissance féminine bien entendu . Je crois qu’il faut que je vous laisse terminer parce que… même si on pense avoir quelques lueurs sur ce sujet il est prudent de se taire quand on se situe de l’autre côté sur le tableau de la sexuation. Il faut se rappeler de Tirésias , quand même , son indiscrétion lui a attiré quelques ennuis.

Catherine Millot : Merci beaucoup pour cette présentation. Merci pour votre invitation aussi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
   
   
   
   
   
   

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