L’Invité 14 juin 2011

Colette Soler pour son livre "Les affects lacaniens" Editions PUF 2011 Présentatrion Francis Cohen

LA SATISFACTION FINALE

Avec son dernier livre « Les Affects Lacaniens » (1) Colette Soler semble renouer avec la démarche de Lacan au temps de son retour à Freud. Ce retour  à l’affect n’est cependant pas sans susciter un effet de surprise, et si celle-ci n’est pas mentionnée dans le recensement des affects  proposés, c’est parce que la surprise c’est ce qu’on n’attend pas. Au contraire,  l’attente est un affect prégnant dans l’analyse, «  l’attente de guérison préside ainsi à la demande d’analyse » (2) rappelle Soler. Cette modalité de la temporalité sur laquelle opère l’analyste retient largement l’auteur dans l’étonnant catalogue ici dressé de ces états du corps et de l’âme, ces « affectio » comme disait déjà Saint Thomas. Un exemplaire dispositif rhétorique dont l’agencement souligne la part de  l’énigme, préside à la portée de l’ouvrage. L’affect pourtant reste souvent négligé ou prudemment contourné

dans le champ lacanien où prime le signifiant. Partage alors entre la pertinence de ce nouvel examen d’une question ambigüe et son opportunité : quelle urgence ? « Pourquoi urgence à propos d’un discours qui prend tellement de temps ? » (3) s’étonne elle-même Colette Soler.

La réponse référencée ne tarde pas. Elle provient d’abord de la préface anglaise au Séminaire XI de Jacques Lacan, texte très court auquel notre auteur fait un sort particulier. C’est le dernier texte écrit par Lacan et directement promis à la publication, il ne réfère pas directement à l’affect mais fonctionne comme un insolite fil rouge freudien qui soutient toute son élaboration. Insérée par fragments  dans le texte de Colette Soler, la préface le parcourt et le noue non sans bonnes raisons puisque Lacan écrit : «  Donner cette satisfaction étant l’urgence à quoi préside l’analyse, interrogeons comment quelqu’un veut se vouer à satisfaire  les cas d’urgence » (4), s’y retrouve aussi cette autre formulation rare et fondamentale « je dis : l’inconscient réel » (5).

Depuis son précédent ouvrage « Lacan, l’inconscient réinventé » (6)  Colette  Soler  centre son étude sur cet ICSR et le présent travail sur les affects participe de cette exploration des dernières avancées théoriques de Lacan. L’inconscient réel, ICSR, corrélé à « lalangue » peut rester masqué derrière la réussite verbale de cette dernière trouvaille dont les implications théoriques considérables restent aussi souvent méconnues car elles contreviennent à la prévalence du symbolique : le langage relève du symbolique,  « l’inconscient structuré comme un langage » relève du déchiffrage, à l’instar de Freud avec le rêve, Lacan y revient jusqu’à  « Encore » : « l’inconscient en tant que je le supporte du déchiffrage »… Lalangue elle, est plutôt réelle.

Colette Soler amplifie donc et réorganise  le recensement lacanien  des affects esquissé dans « Télévision », l’ordonnance complexe et minutieuse de sa liste  paraît s’inspirer du fameux catalogue des vaisseaux d’Homère dans l’Odyssée, une manœuvre s’impose alors : «  Comment satisfaire les cas d’urgence ? » – elle aborde donc à la passe et vise la fin de l’analyse. Il faut une boussole c’est l’angoisse et tout de suite l’écriture y participe, dénuée de tout effet de style, austère, sans anecdotes ni vignettes cliniques à l’opposé de l’exubérance baroque, un cheminement janséniste qui n’est pas sans charrier quelque angoisse vers le lecteur. Car cet affect prend une place tout à fait singulière dans l’ouvrage. . Depuis Freud l’affect lié à la pulsion refoulée passe de représentation en représentation et trompe sur son origine. Avec son séminaire sur l’Angoisse  Lacan introduit un renversement dans l’abord de la question car.il met l’accent non sur la cause, mais sur l’effet. L’angoisse ne se déplace pas mais reste arrimée à ce qui la produit. Après « l’Angoisse » l’affect trompeur devient le signe qui ne trompe pas et l’angoisse est pointée dans un texte ultérieur de Lacan « La Troisième » en 1973, comme « affect-type de tout évènement du réel. »

Inconscient vérité ou inconscient réel, l’inconscient c’est du langage et c’est ce qui compte. L’Inconscient Réel  repose sur l’agencement indissociable de lalangue, de l’angoisse et de l’identification au symptôme. Le trajet va de l’angoisse  au symptôme et passe par lalangue matière de l’interprétation. Au passage s’opère une rencontre inatendu avec la poèsie, à Lacan qui avançait « Je ne suis pas un poète mais un poème » (7), Colette Soler rajoute : « Le poème que je n’ai pas écrit je le signe », le réel du signe, assure la satisfaction finale.

Tout au long de son parcours Colette Soler souligne l’intrication clinique des deux modalités de l’inconscient. Lacan tout à la fin (8) revient sur « la mouvance de l’affect » qu’il oppose à « l’indestructibilité du désir » dans cette intervention consacrée à la dissolution de son école, il rappelle : « Il a fallu que Freud découvrit l’inconscient pour qu’il vint à ordonner sur cette voie le catalogue de ses désirs… ». Faut-il compter pour rien, dans ce retour à l’affect, la présence de notre auteur à cette séance ? Et l’instruction finale de Lacan: « Voyez ça avec Colette Soler… » 

Francis Cohen

 

Notes
1 Colette Soler . Les Affects Lacaniens . PUF 2011
2 ibid
3 ibid
4 Jacques Lacan , Préface A L’Edition Anglaise Du Séminaire XI  Autres écrits . Seuil2001
5 Colette Soler. Lacan L’inconscient réinventé .PUF 2009
6 Jacques Lacan ibid
7 ibid
8 Jacques Lacan Dissolution Séance 3Mars 1980 inédit

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