L’Invité : mardi 10 févier 2009

Chistian FIERENS pour son livre "La relance du phallus" Le rêve, la cure, la psychanalyse. Editions érès Présentation Francis Cohen

 

UNE SEULE REFERENCE
«Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend»
«La relance du phallus», ce titre qui relève d’un constat demeure cependant équivoque. Elle tient d’abord à une ambigüité grammaticale, de même nature que «le désir de la mère» car désirer la mère n’est pas le désir maternel, la relance du phallus n’est pas une opération de promotion du phallus c’est dire simplement que le phallus est par lui-même relance. L’ambigüité du titre peut cependant ouvrir à la polémique et le prétexte phallocentrique ferait entendre la relance du phallus comme déploiement d’un «étendard» ou l’incitation à la restauration d’un culte priapique. Ce programme ouvrirait à un retour à d’anciens combats féministes.

 

 

 

Rien n’est plus loin des propos de Christian Fierens. Bien sûr il précise tout de suite : ce n’est «pas l’organe»… Mais quand même? La prégnance de la représentation imaginaire peut recouvrir même la formalisation. Il faut se souvenir du célèbre article, pour Octave Mannoni «Je sais bien mais quand même», recouvre le déni. Le déni (du phallus maternel) structure la réflexion de Freud sur le fétichisme, et c’est d’ailleurs l’une des rares occurrences de l’utilisation par Freud du terme phallus. Pour Lacan, dès le début c’est avec le phallus corrélé au voile, propice au surgissement des religions à mystère, qu’il reprend et prolonge la réflexion de Freud sur le fétichisme. A la fin de son enseignement, dans «Le moment de conclure», il énonce : «L’initiation c’est ce par quoi on s’élève au phallus», et il faut rappeler que depuis le séminaire «Les non-dupes errent» l’initiation renvoie au rapport sexuel qu’il n’y a pas.

Le phallus est nécessairement équivoque «ça rêve, ça rate et ça rit». Il y faut de l’écriture, l’instance de la lettre, la structure de relance en dépend. Le phallus c’est le mouvement formel propre à notre structure de langage. Ce que le rêve à travers la Traumdeutung permet de découvrir et qui doit être mis en jeu dans la cure. Ramener le phallus à l’origine que représente le livre de Freud sur les rêves est le choix théorique dont procède l’ouvrage.
L’élaboration de la fonction phallique par Lacan se poursuit tout au long de son œuvre. Au contraire chez Freud la mention du phallus est tardive et se retrouve seulement dans deux occurrences majeures. D’abord le texte de 1923, «Sur l’organisation génitale infantile» qui pose «le primat du phallus», et ensuite l’article de 1927 sur le fétichisme : «Le fétiche est un substitut du pénis du phallus de la mère, auquel il a cru enfant et auquel il ne veut pas renoncer; le fétichiste procède à un déni (Verleugnung) de la représentation».

Le travail auquel procède Christian Fierens opère un déplacement qui importe le concept lacanien à l’origine, au sein même de la Traumdeutung. Le phallus «implique une structure en mouvement», au commencement est le rêve et le rêve est mouvement. Il s’en établit un compromis original entre les thèses antinomiques de Freud pour qui, selon la formule de Goethe «Au commencement était l’acte», et celle de Lacan qui fait sienne la formule de l’Ecriture «In principio erat verbum».

Il en résulte une position radicale, le phallus devient la seule référence. Lacan avec son élaboration de la fonction phallique avait depuis longtemps détaché le concept de phallus de l’organe masculin mais Christian Fierens va plus loin, la disparition de toute référence au père et surtout au Nom du Père n’implique pas seulement une éradication complète du patriarcat et de tout fondement phallocentrique. Elle prolonge sa proposition de départ, le phallus est relance, toujours en mouvement. Au contraire le Nom du Père tel qu’il est introduit à l’origine par Lacan est un point de repère stable, se servir du Nom du Père comme point de relance coïncide finalement avec l’énonciation de Lacan dans le Sinthome : «Le nom du Père on peut s’en passer à condition de s’en servir.»

Kant avec Lacan

Le phallus s’impose à partir de l’étude de la perversion, ce que plus tard Lacan dans son enseignement va écrire «père-version». L’équivoque encore une fois est du registre de l’interprétation «L’interprétation ne peut consister à pointer une signification possible; pour éviter toute fixation et garder la structure de relance, elle doit nécessairement jouer de l’équivoque» et là implique à travers la connotation le déclin du Nom-du-Père.
L’élision du Nom-du-Père, ici est l’aboutissement d’une réticence à propos du symbolique qui commence avec la place accordée au rêve typique par Freud et qui introduit la symbolique comme bord du symbolique, (rêves de vol, l’oncle qui fait jouer l’enfant sur ses genoux). C’est le lieu, la source du mouvement. Ces prémices se poursuivent par des précisions restrictives qui portent au cœur même de la théorisation lacanienne, ainsi: «N’en déplaise aux lacaniens de la belle époque (1960) il y a des mouvements de pensée avant le matériel signifiant» (La relance du phallus page.50) et encore: «Le signifiant tel qu’il est introduit par Lacan est supposé indépendant de tout signifié mais cette supposition est impossible à maintenir» (page 105). Sans mettre en cause l’essentiel, la parole est toujours déjà là et «L’inconscient est structuré comme un langage».

«Le rêve, la cure, la psychanalyse» l’ouvrage comporte aussi ce sous-titre, dont la police très modeste souligne peut-être encore l’ampleur de la visée. L’agencement du livre, l’ordre de ses parties en découle strictement à l’exception du court préambule «L’objet» qui est très singulier. La chanson de Charles Aznavour qui en ouvre la lecture contraste plaisamment avec le ton général de l’ouvrage, dont le style convient à une réflexion rigoureuse sans exclure cependant ce parfum d’érotisme que Lacan signalait déjà à deux reprises à propos des ouvrages de Kant «Critique de la raison pratique» et «Critique de la raison pure»
Les références à Kant jalonnent l’ouvrage de bout en bout et sa structure même paraît y faire écho : «Le rêve primum movens, Une lecture architectonique de l’Interprétation du rêve», «Une lecture architectonique de la cure». Ce sont les deux premières parties de son livre, par deux fois Christian Fierens utilise ces références kantiennes et les fait converger vers une note de sa troisième partie (page 272) qui renvoie «à la table du rien de Kant à la fin de l’analytique transcendantale.» N’est-ce pas là prolonger sur un autre terrain la controverse sur le symbolique avec Lacan ce qui «lui fait rater l’articulation architectonique du rien dans la pensée de Kant» Un rien les sépare mais «La seule chose qui existe à coup sûr c’est le rien». (P 271).

La relance du phallus impliquerait ainsi une relance de «Kant avec Sade», Kant avec Lacan?
Ecriture du rêve.

Primum movens, la structure du rêve est d’abord mouvement : «Ecriture, effacement, écriture», sur l’écriture le propos de Christian Fierens encourage : «écrire est en soi facile, c’est écrire encore une fois ce qui est déjà écrit.» (page 19)
«Le rêve de l’injection faite à Irma» est un «échantillon» qui permet déjà à Freud de conclure «Le rêve est accomplissement de désir», c’est aussi d’emblée une plongée dans l’énigme de la sexualité féminine, une mise à jour en sera proposée plus loin par Fierens à travers le dispositif formel des quanteurs de la sexuation. Mais le rêve Irma propose aussi un point de bascule essentiel dans le parcours de Freud vers la psychanalyse : il passe après la mort de son père de son projet de «psychologie scientifique» qui s’adresse à Fliess à l’écriture de la Traumdeutung. C’est, écrit Christian Fierens, le début de la psychanalyse parce que Freud y analyse ses propres rêves et s’engage ainsi dans leur écriture. Amenée par le rêve, l’écriture demeure alors tout au long un enjeu.

Pourquoi cette question finale : «D’où nous viendra le point qui ne dénature pas la ligne du mouvement?» (P294). Résonne-t-elle avec l’exclamation du poète (Baudelaire, La Beauté) : «Je hais le mouvement qui déplace les lignes» ? Lacan dans une séance (15 Mai1977) de son séminaire «L’Insu que sait de l’Une- bévue s’aile à mourre» s’amuse de cette formule : «Je ne suis pas poâte assez». L’acte de l’analyse réside dans la différence entre ces points hors ligne et cette ligne sans point poursuit pour sa part C. Fierens.
Le poète aurait-il horreur de son acte? En tous cas la relance du phallus serait aussi un acte poétique.

Francis Cohen

 

 

 

 

 

 

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