Roland Chemama, Christiane Lacôte Destribat, Bernard Vandermersh Le métier de psychanalyste

Eres, janvier 2016

Francoise Hermon
Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du Cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié dans la revue Patio N° 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ».
En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Il y a quelque provocation non dénuée d’humour à publier un livre où la psychanalyse se trouve qualifiée du titre de métier après que Freud l’ait comptée parmi ceux qu’il jugeait impossibles. Pourtant Roland Chemama, Christine Lacôte Destribat et Bernard Vandermersh nous offrent un ouvrage sérieux, utile tous à tous ceux qui souhaitent faire le point sur l’état de la psychanalyse plus de cent ans après sa fondation par Freud, après  relecture de Lacan et trouvailles de quelques autres, sans oublier les apports de nombreux praticiens anonymes qui en ont prolongé le chemin.
Pas de discorde mais des propos différenciés et denses, une partition dont les trois voix contribuent à l’attrait d’écrits souvent complexes, sans concession démagogique, ponctués de respirations permises par la brièveté voulue de chacun des chapitres. Des questions sont posées, et d’autres les reprennent dans un mouvement de spirale qui évolue naturellement. Cet ouvrage, résultat de nombreuses années de travail en commun, fait écho à la nécessité de penser la psychanalyse dans la pluralité tout en traçant les frontières de ce qui pour ces auteurs constitue les limites du champ préservé. Ainsi, comme en témoigne dans la préface Christine Lacôte Destribat, ils défendent la spécificité irremplaçable de la psychanalyse dans ses trois composantes, thérapeutique, scientifique, et éthique, cette dernière impliquant recherche de la vérité. Pas de vulgarisation mais une visée didactique qui honore ce terme de métier, exposant parfois la pratique dans toute sa concrétude : supervision par Skype ou nécessité affirmée pour Bernard Vandermersh de la présence réelle de l’analyste, introduction de modifications techniques pour certains patients dont l’identité trop fragile ne peut s’accommoder toujours d’un silence qui ne ferait que répéter l’absence traumatisante. Ces usages extensibles à d’autres évitent à la psychanalyse de se figer dans des postures inutiles et néfastes donnant à juste titre prise à ses détracteurs.
Artisan, chercheur, ni prêtre, ni croyant, ni sachant, (bien que s’exclure de ces trois positions ne soit pas évident), ainsi se dessine à travers cet ouvrage le profil du psychanalyste. Savoir-faire plutôt que science comme Freud l’aurait voulu, la psychanalyse n’est pas une discipline de tout repos et les attaques auxquelles elle s’expose obligent ses défenseurs à la plus grande des vigilances, car sa défense ne doit en aucun cas prendre le pas sur ce qui est fondamental et qui importe par-dessus tout : préserver un rapport au langage qui ouvre la dimension du déchiffrage et ne le rabatte pas sur son aspect informatif, afin que son pouvoir d’évocation ouvre de nouveaux liens qui permettent le jeu de l’équivocité dans la cure et même dans la cité.
Dévoilement du désir du sujet sous l’emprise du désir de l’Autre, à travers les manifestations de l’inconscient qui cause en s’appuyant sur le transfert conçu non pas surtout comme réapparition de faits passés, mais comme actualité d’un chemin à venir émergeant à partir d’une surprise, importance d’une vérité à construire et non préexistant, savoir inconscient qui ne prend corps que si un autre est là pour qu’il advienne , c’est, dit Christine Lacôte Destribat, « un art du contre temps ». Ne pas rester figé comme pour défendre une forteresse mais innover, est un travail qui incombe autant aux analystes qu’aux patients dans leur cure; pourtant, transmettre la psychanalyse ne peut se faire sans l’aide d’institutions, étant posé quelles ne doivent pas être sous l’emprise d’un chef en position d’idéal du moi, et que cela implique pour chaque analyste l’obligation de s’interroger sur ce qui fait la spécificité de sa position d’analyste singulier.
Dans le chapitre intitulé « Désir de l’Autre, désir de l’analyste » Roland Chemama travaille un point fondamental en s’attaquant à un point théorique et pratique particulièrement délicat; il fait la part de ce qui dans le désir d’un analyste peut inhiber le désir de son patient. Il parle des conditions selon lesquelles le désir de l’analyste devient agent de désaliénation, reprenant versus psychanalyste, le débat concernant l’aspect heuristique mais aussi négatif du transfert. Le désir du sujet se forme partir du désir de l’Autre mais il est  également inhibé par ce désir de l’Autre qui est aussi (cf. l’analyse d’Hamlet page 146) ce qui ouvre la possibilité d’agir. A propos du désir de l’analyste, il nous est rappelé que de manière éminemment paradoxale, Lacan a pu écrire dans son séminaire sur l’acte psychanalytique: « c’est du fantasme du psychanalyste, à savoir de ce qu’il y a de plus opaque, de plus fermé de plus autiste dans sa parole, que vient le choc d’où se dégèle chez l’analysant la parole. Roland Chemama dilue la densité énigmatique de l’assertion de Lacan en avançant que c’est parce qu’il est tu, que le fantasme de l’analyste, bien loin d’être annulé est d’autant plus présent, qu’il vient produire un choc qui dégèlerait la parole de l’analysant.
Cet ouvrage à tiroir nous ouvre bien des portes mais les auteurs nous laissent entendre qu’ils sont loin d’en avoir toutes les clefs, et c’est avec « L’analyste en question » qu’ils concluent humblement leur audacieux propos. Sans être une religion, cette discipline qui n’est ni tout à fait une science ni tout à fait un art, donne lieu à un métier qui ne peut se passer ni de chapelles, ni de références à des textes fondateurs, même si l’on peut souhaiter qu’il n’en naisse pas de dogmes. Bien que chacun sur le métier sans cesse remette son ouvrage, nul analyste ne peut exercer sans s’appuyer sur les auteurs qui l’ont inspiré de leur voix, qui lui ont enseigné par leurs textes, qui l’ont enrichi de leur expérience. Bernard Vandermersh avance que parler au nom d’un maitre dont est cité le nom et sur qui je transfère n’est pas indemne de toute croyance et que cela laisse apparaître un impensable. Sous leur nom il y a ce qu’il nomme « un trou inéliminable »
Il n’en reste pas moins que cet ouvrage qui éclaircit nombre de points cruciaux pour les praticiens avertis de la psychanalyse, constitue un outil remarquable pour tous ses apprentis.

Françoise Hermon

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