Jean Oury

Chimères, n° 84 numéro coordonné par Olivier Apprill et Jean-Claude Pollack, Eres, 2014

Olivier Douville psychanalyste, Association Française des Anthropologues, E.P.S de Ville-Evrard (93), directeur de publication de Psychologie Clinique.

 

Avec les contributions de : Pierre Babib,  Mathieu Bellhasen,  Agnes Bertomeu, Paul Bretecher, Brivette Buchanan, Rene Caussanel, Patrick Chemla, Patrick Coupechoux,  Damien Cru,  Joris de Bisschop, Amaro de Villanova,  Linda de Zetter,  Pierre Delion, Philippe Dockes,  Zorka Domic, Marc Dou, Christophe Du Fontbare, Jean Dubuquoit,  Patrick Faugeras, Alexis Forestier, Flora Fridja Benlouz, Emmanuelle Guattari,  Ariane Hofmans,  Anik  Kouba, Pierre Johan Laffite, Aulde Leray, Valérie Marange, Lucine Martin, Ginette Michaud, Lucie Murat, Claire Novaes, Yannick Oury, Jean Oury, François Pain,  Nicolas Philibert,  Anne Querien,  Claude Rabant, Alejandra Riera, Danielle Roulot, Benjamin Royer, Danielle Sivadon, Shigeru Taga, Naoko Ramura, Catherine Vallon, Maytte Viltard.

Il était aussi inévitable que nécessaire que la revue Chimères, parce que   fondée par Félix Guattari et Gilles Deleuze,  se penche sur la personne et l’œuvre de Jean Oury, décédé le 15 mai 2014.

La disparition d’Oury a laissé nombre de psychologues, psychiatres et psychanalystes, et au-delà, dans une façon de sidération et d’abandon.  Ceci pour plus d’une raison.  Oury c’était la présence avec nous de ce que la psychiatrie avait inventé de plus juste pour se tenir à la hauteur de la détresse de la psychose, et de son potentiel créatif aussi.  Avec la psychothérapie institutionnelle, qui comme tout dispositif peut il est vrai connaître ses fossilisations, la psychose n’était pas uniquement entendue comme une maladie psychique loin s’en faut, bien que les fondateurs aient eu peu d’indulgence pour l’antipsychiatrie et ses dénonciations expéditives des familles et du social tenues pour cause des souffrances du sujet et entrainant une  victimisation suffocante de la folie.

Oury c’est La Borde. Un lieu de soin, oui, et avant tout un lieu de soin. Mais un véritable laboratoire de formation de nos collègues. Les illusions normatives et ségrégatives y étaient mises à mal et les enjeux de la rencontre avec la condition humaine de la folie y étaient explorés autant que mis à l’œuvre.

C’est alors la valeur inestimable d’un presque rien, d’un petit geste, d’une remarque, d’un sourire qui était rendue à sa valeur d’évènement.

En cela Oury et La Borde –je l’écris ainsi car qui ignorerait qu’Oury a fait corps avec La Borde- était un haut lieu de tressage entre une pratique psychiatrique, une pratique politique et une pratique esthétique, poétique et philosophique. Le même tressage qui se fit à Saint Alban.

Vivre avec la psychose n’est pas, nous disent à peu près chacun des auteurs, une expérience simple, où l’on se guiderait avec quelques bons sentiments et quelques idéaux philanthropiques. Il s’agit d’inventer et des pratiques et des discours.  De penser l’espace, son organisation euclidienne, ses frontières et ses seuils, mais encore ses déformations sa topologie. Il convient d’explorer des scènes pour découper des temps. Toute cette gymnastique de l’esprit suppose que se rassemblent dans l’effort thérapeutique des soignants de grande culture et de haute sensibilité. Avec Oury c’est un métier qui s’invente et qui, comme tout métier suppose de lâcher des préjugés pour gagner en disponibilité en en culture. Oury, lecteur inlassable était un homme de lien et de disputatio, en tenait-il pour Guattari qu’il pensait avec les plus hauts textes de la clinique psychiatrique classique, se référait-il à Lacan, qu’il avançait et créait ses propres repères en puissant hardiment dans la phénoménologie si méconnue et si piteusement brocardée par toute une frange de lacanisme qui se voulant pure et dure s’accommode très bien de ne plus lire ou travailler grand chose. Lire Oury c’est tenter et parfois subir l’expérience harassante  d’être sans cesse au cœur d’une hétérogénéité de champs conceptuels. Epreuve de polysémie que ne nous épargne pas le haut potentiel de séduction de l’homme et de son style. Lire Oury c’est entrer dans l’invitation à la diffraction du point de vue. Nul ne songe à rendre équivalent signant et soignés, mais nul travaillant à  La Borde n’irait inscrire au registre d’un pathologique objectivable tout ce remuement d’ambiance que cause l’entame de notre intimité par l’expérience psychotique.   Continuant à dialoguer avec Oury par la lecture de  ses livres touffus, généreux, prodigieux d’exigence et attentifs à ces petits riens qui donnent à chaque vie sa saveur et son accent, chaque auteur de cet ensemble aide à la construction d’un ensemble vivant. Loin d’’être un mausolée de plus, ce collectif nous réveille puis nous stimule. Il  exprime dans sa composition et la façon dont les textes se font échos ce qu’est donner du mouvement, du possible.

Oury a transmis une œuvre, a fait vivre un lieu, ça nous le savons, reste à prendre la mesure de ce savoir et ne pas le pétrifier. Il me semble que les contributions que   ce collectif  rassemblent ont réussi et séparément et dans leur combinatoire présente à susciter chez le lecteur el sentiment que continue, après la mort d’Oury, la nécessité de réfléchir à la transformation de l’institué en une série d’équations thérapeutiques.

Olivier Douville

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