Dominique Guyomard

"L’effet –mère" L’entre mère et fille, du lien à la relation Editions PUF - Petite Bibliothèque de psychanalyse

 

Marie-Françoise Laval-Hygonenq

Pulsions et narcissisme in Esquisses psychanalytiques 6, Automne 1986. Surmonter, une notion pour penser la ‘Ich Analyse’ ? D‘un modèle topique à l’autre in Revue française de psychosomatique 8, 1995.
Fonction synthétique du moi et ébranlement identitaire in RFP 5, 1996. Du fonctionnement psychique de survie in La résistance de l’humain, mars 1999.

Envie du pénis et/ou intégration phallique in Clés pour le féminin, Débats de psychanalyse, PUF, mars 1999. Le narcissisme chez Freud, in Le Narcissisme, Monographie de psychanalyse, PUF, avril 2002. Entretien avec M. De M’Uzan in Interpréter le transfert, Débats de psychanalyse, mai 2004

Avec ce livre, Dominique Guyomard nous fait travailler la question du maternel, et nous propose un trajet du maternel au féminin.
Elle introduit la notion de narcissisme du lien, qu’elle distingue du narcissisme du moi et de la relation narcissique d’objet, qui appartiennent au champ libidinal sexuel 1>. Elle interroge la capacité ‘maternante’ de la femme qui devient mère et va s’attacher à bien différencier ce qu’elle nomme lien premier, quand l’objet n’est pas encore constitué comme tel, de toute relation qui se constitue sur le mode d’un rapport à l’objet. Elle va se centrer préférentiellement sur le lien mère-fille : qu’est-ce qu’être mère ? Comment entrer dans ce lien qu’est le maternel ? Qu’est-ce qu’être fille pour une mère ? De quelle femme en devenir ce lien peut-il être la promesse ? Cette recherche est émaillée de petits récits cliniques qui permettent d’explorer transférentiellement ce continent maternel-féminin resté noir pour Freud qui demandait aux analystes femmes d’apporter leur éclairage, ce que nous propose DG en intitulant cet essai ‘L’effet-mère’. Elle nomme ‘narcissisme du lien’ cet espace de création de la rencontre mère-enfant dans ce temps premier de fusion avec l’objet primaire, état initial d’avant le devenir autoérotique de la pulsion. Pourrait-on le qualifier de narcissisme autoconservatif en référence au premier dualisme pulsionnel ?
Ce lieu d’accueil pour la création du narcissisme du lien, reste porteur de la mémoire d’une jouissance oubliée, réactivée d’une génération de mère à l’autre par la confrontation du bébé qu’elle met au monde avec le bébé qu’elle a été pour sa mère. Le deuil de cette jouissance est nécessaire à la constitution de l’objet mère. C’est ce temps psychique maternel primordial qu’elle appelle l’effet-mère, où se joue le paradoxe du pas encore séparé et de la nécessaire séparation. Le plaisir du lien ‘narcissisant’ est plaisir d’une séduction première partagée qui se doit d’être éphémère pour être structurante ; la transformation de ce lien n’est pas perte d’objet, mais perte de plaisir ; elle est la condition d’émergence de l’objet. Le destin mélancolique signe la non transformation du lien en relation. DG introduit la question de l’altérité du même, qui précède celle de l’autre – altérité qui fait défaut chez le mélancolique, quand la position dépressive ne peut s’élaborer du fait de la non reconnaissance de la perte et de la séparation. Elle distingue ainsi le suicide sans appel du mélancolique de la tentative de suicide du déprimé, qui est appel à l’autre, espoir d’autre.
Cette séduction première qui tisse le lien mère-enfant peut, par excès ou par défaut parfois, faire basculer ce lien dans le rien ou dans le passionnel ravageant et faire échouer le lien de tendresse nécessaire au passage du lien à la relation. La haine passionnelle fille-mère, revécue dans le transfert est mémoire de cet excès d’érotisation du lien ; elle signe l’évitement du sevrage de la satisfaction ; elle devient haine de soi, non différencié de l’autre. ‘Il faut que ce plaisir ait lieu pour constituer ce lien narcissiquement, et que son sevrage soit le gage d’une transmission possible, et non d’une jouissance l’abolisant’(DG 91).
Toute addiction serait à ranger du côté d’un mode de satisfaction lié au non sevrage du lien.
Une mère qui revendiquerait inconsciemment de rester dans cet éphémère instituerait une relation d’emprise incestueuse et passionnelle avec son enfant. DG évoque à ce sujet le risque d’une inversion générationnelle. Ainsi le fantasme de tuer son enfant, qui n’est pas rare chez nos patientes, pourrait renvoyer au fantasme de sevrer cette mère toute puissante, fantasme de meurtre pour un deuil non fait du lien premier.
S’appuyant sur Dolto et Winnicott, DG développe ensuite la question du féminin. Elle interroge la part du processus civilisateur dont les femmes sont porteuses dans la transmission d’un maternel et d’un féminin qui leur incombe : ‘La suffisamment bonne mère est sans doute celle qui peut consoler de la haine primordiale car elle ne laisse pas son enfant seul aux prises avec celle-ci parce que de la sienne elle en sait quelque chose’ (143).
Il faut remercier DG du repérage de cette séduction narcissisante, au service du narcissisme du lien, qui ne serait pas à situer dans l’ordre du sexuel, qui deviendrait ravageante si l’enfant restait objet de jouissance de la mère, toute possibilité de transformation du lien en relation, s’en trouvant par là même abolie.
Je voudrais souligner à quel point ce déroulé de la problématique du maternel résonne cliniquement, comme il est important de distinguer ces désirs, d’être enceinte, ou d’être mère, ou d’avoir un enfant. ‘J’ai envie de tomber enceinte’ est une formulation bien différente de ‘je voudrais avoir un bébé’, où s’entend déjà le ravissement d’une mère en attente d’un lien nouveau porté par l’anticipation de cette séduction réciproque nouvelle si bien repérée par DG. L’être enceinte, nous dit DG, ‘serait plutôt du côté de ce qui s’arrache inconsciemment à sa propre mère, au creux fantasmé de son corps à elle’ (160) ; plus un compte à régler dans une relation duelle au passé-toujours-présent qu’une promesse d’avenir qui engage aussi le père de ce futur enfant.
DG étudiera ensuite ‘Les sources métaphoriques des représentations du féminin’ que je laisse au lecteur le plaisir de découvrir, et termine son livre avec un chapitre au titre énigmatique, ‘Sauvegarde de la matrice’. Ce ‘rien’ conféré au sexe féminin, au regard d’une problématique phallo-centrée, ‘porte la marque du refoulement de la matrice comme lieu du maternel corporel et creux de l’enfantement du portage’ (194). Vagin et matrice se trouvent ainsi confondus pour mieux être annulés. L’ignorance du vagin jouerait-elle comme protection de la matrice hors registre phallique ? La femme deviendrait-elle métaphore du manque ? C’est ainsi que DG interprète le discours de Lacan sur la femme : ‘la femme n’est pas toute dans le champ du signifiant pour son narcissisme sexué, érotiquement, pas toute dans la jouissance sexuelle’.(196).
Les références de DG sont à la fois freudiennes et lacaniennes, ce qui l’engage vers une radicalisation de la pulsion ; le caractère d’exigence de satisfaction et de barbarie qu’elle lui prête pour distinguer objet de la pulsion et objet du désir me semble plutôt renvoyer à une conceptualisation lacanienne. Car, chez Freud, si la pulsion est définie comme une exigence, c’est une exigence de travail et non de décharge; elle s’origine de la perte de cette satisfaction primaire de décharge, qu’il compare à une sorte d’orgasme. Elle est partielle et devient autoérotique quand le sein, d’abord trouvé sur le corps de la mère, peut être perdu  et qu’il devient possible à l’enfant de se former une représentation de l’objet- mère. Ainsi, au regard de cette satisfaction primaire totale, la satisfaction de la pulsion partielle autoérotique portera toujours en elle une part d’insatisfaction, ce qui conduit Freud à l’hypothèse que ‘quelque chose dans la nature même de la pulsion sexuelle ne soit pas favorable à la pleine satisfaction’. Le modèle pulsion – satisfaction, régi par le principe de plaisir, est venu relayer le modèle tension – décharge régi par le principe d’inertie.
En introduisant la notion de narcissisme du lien, DG porte l’accent sur ce temps premier, en-deçà de l’établissement du principe de plaisir et du sexuel autoérotique, ce temps d’un pulsionnel archaïque qui porte la marque de l’exigence de satisfaction totale, quand l’érotique ne s’est pas encore détaché de l’auto-conservatif. Elle pose la question de la contenance de cette jouissance, celle de sa perte, et celle d’un reste, celui qui ne participerait pas à l’organisation de la géographie des zones érogènes, sources des pulsions partielles : ‘ce pulsionnel indomptable dont les femmes seraient porteuses comme elles portent la vie ?’ Un pulsionnel englouti dans ce continent noir laissé en attente d’élaboration par Freud.
Je la remercie beaucoup d’être allée explorer avec une telle minutie ce continent maternel féminin ; je la remercie du plaisir de lecture qu’elle vient nous offrir, et de sa pensée clinique qui nous apporte un éclairage nouveau sur des impasses que nous rencontrons avec nos patients.

Marie-Françoise Laval-Hygonenq – Juillet 2010

1> Rappelons que c’est en 1909, dans une séance de la société, que Freud introduit la notion de narcissisme comme ‘stade de développement nécessaire dans le passage de l’autoérotisme à l’amour d’objet’ ; cette définition est bien précisée dans le texte princeps de 1914. Ainsi, dans cette période, le narcissisme n’est pas défini comme un état originaire, mais résulte d’un double processus de développement, celui du devenir autoérotique de la pulsion – dans le mouvement de désatayage de la fonction d’autoconservation – et celui de l’action psychique de rassemblement des pulsions partielles sur le moi ; l’intégration de l’autoérotisme vient constituer une intégration concomittante du moi et participe au mouvement de défusion de l’objet primaire.

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