Didier Lauru De la haine de soi à la haine de l’autre

Editeur Albin Michel, 2015

Fulvia Castellano
Psychologue clinicienne, psychanalyste, analyste praticienne membre d’Espace Analytique, exerçant en cabinet à Paris et à Elancourt 78 (Centre Médical C. Bernard).
A publié « Un personnage en quête d’auteur », contribution à la revue Du cinéma à la psychanalyse, le féminin interrogé, sous la direction de Vannina Micheli-Rechtman et Jean-Jacques Moscovitz, éd. Eres, coll. Le regard qui bat, 2013.

Didier Lauru est psychanalyste et psychiatre, médecin-directeur du C.M.P.P. Etienne Marcel à Paris, membre d’Espace Analytique et auteur de nombreux ouvrages et articles sur les problématiques adolescentes, la clinique actuelle des états limites et les pathologies narcissiques. Il vient de publier chez Albin Michel, De la haine de soi à la haine de l’autre, une riche réflexion sur les racines psychiques de la haine et ses modalités d’expression dans la société moderne.

Si le but déclaré est de comprendre comment le mécanisme de la haine se niche dans l’inconscient humain et son origine, De la haine de soi à la haine de l’autre est d’abord un livre d’un clinicien dont l’expérience et le savoir acquis, sont constamment questionnés et nourrissent la réflexion du lecteur. Quelle place l’écoute analytique fait-elle à la haine et plus globalement aux différentes déclinaisons de la pulsion ? A l’écoute des mouvements pulsionnels, l’analyste se pose inévitablement la question de savoir comment l’amour et la haine s’inscrivent dans l’histoire d’un sujet, comment, à partir de traumatismes anciens, ces sentiments laissent une trace parfois indélébile, qui va se décliner dans le lien à l’autre. A l’écoute constante de ses patients et des modalités de transfert, Didier Lauru parle de « la nécessité d’accueillir, sans représailles, la haine qui surgit parfois sous forme d’attaques violentes, avant d’amener le sujet à en saisir les enjeux transférentiels. » (p.144), pour que les nœuds des mécanismes inconscients se dénouent.

Les besoins d’emprise, de possession, de pouvoir sur l’autre, de jouissance non castrée et d’autres formes de violence, restent nos démons, leur modification fait partie du processus analytique : « Par le truchement du transfert, la haine contenue, enfermée dans le sujet, parvient à s’exprimer, transformant durablement ses relations aux autres et à soi-même » (p.121).

Ce livre a surtout le mérite de parler de transfert et du transfert dans la clinique avec les transformations possibles. Ce que la haine ou l’amour représentent dans l’histoire d’un sujet est perçu sur la scène analytique. C’est au moment d’une rencontre que chacun répète les impasses initiales de sa vie et les surmonte parfois, dans un appel à l’autre. On ne peut avoir accès à des transformations psychiques bénéfiques et devenir sujet, libre de choisir, que si on se rend libre d’abord de l’assujettissement. Enfin se libérer soi-même permet de libérer l’autre qui a probablement été vécu jusque-là comme un danger potentiel, comme une menace de mort.

La haine est inscrite dans l’histoire personnelle d’un sujet, en particulier lorsqu’il a dû faire face à « une haine de l’autre, des parents en l’occurrence, projetée et déplacée sur soi. » (p.121). L’auteur nous rappelle ainsi que certains parents peuvent nourrir des sentiments agressifs et haineux envers leurs enfants et les premières difficultés dans les relations d’un bébé avec l’adulte, qui lui prodigue les soins, peuvent provoquer un certain nombre de pathologies : « La pratique clinique met en évidence que l’excès ou le défaut de narcissisme menace parfois d’évoluer vers deux types opposés de pathologies, des sujets exclusivement centrés sur eux-mêmes à ceux qu’épuise une vaine et incessante quête de reconnaissance » (p.18). Ainsi « …faute d’être aimé par l’autre un sujet a tendance à (le) se haïr » (p.19).

Dans un précédent livre, Père-fille : une histoire de regard, publié en 2006 aux Editions Albin Michel, l’auteur montre déjà qu’une fille, dans son devenir femme a besoin du regard aimant et protecteur d’un père. Ce sont en effet des formes d’autodépréciation et de mésestime de soi qui se transforment en haine de soi pour se retourner ensuite contre l’autre. Il me semble, pour ma part, que lorsque la demande de reconnaissance faite au père par une fille comme par un garçon, reste sans destinataire accueillant et reçoit plutôt mépris ou humiliation, la blessure narcissique, la frustration, l’envie, la jalousie, prennent le pas sur le lien à l’objet dans cet équilibre difficile entre l’amour de l’autre et l’amour de soi, amour narcissique et amour objectal, ce qui vient de soi et ce qui vient de l’autre. La non reconnaissance d’un fils ou d’une fille d’ailleurs, de la part d’un père parfois oublieux, méprisant ou en rivalité, mettent en danger le devenir sujet en lien avec les autres.

L’auteur est aussi sensible aux effets de la haine actuellement : « (…) morphologie des symptômes et Savoir sont liés à des moments particuliers de l’histoire d’une société à une époque donnée et nous sommes aujourd’hui particulièrement confrontés à la haine de soi comme de l’autre, de soi-même comme de l’autre ». (p.12).  Ce travail porte sur une réflexion juste et forte sur la jouissance narcissique lorsqu’elle est partagée dans des groupes sociaux ; jouissance qui autorise et soutient, violences, agressivité, passages à l’acte, enfin « déliaison pulsionnelle » et « déferlement de haine ».

Didier Lauru nous rappelle que, seules, la culture et la civilisation, dans ce qu’elles portent de valeur humaine plutôt que de toute-puissance et de compétitivité, peuvent faire barrière à la haine : « …il est de la responsabilité de chacun d’œuvrer dans le sens de la culture et de l’élévation de l’humain vers plus de civilisation, au lieu de favoriser de façon irresponsable les conditions d’éclosion de la haine » (p.194).

Fulvia Castellano

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