« Vous vous étonnez qu’il soit si facile de susciter chez les hommes l’enthousiasme guerrier, et vous présumez que quelque chose agit en eux, une pulsion de haine et d’extermination, qui répond à une telle folie prédatrice. (…) Nous croyons à l’existence d’une telle pulsion et nous nous sommes efforcés, ces dernières années précisément, d’en étudier les manifestations… » Sigmund Freud, Pourquoi la guerre ?, 1933 Dès les premières pages de ce numéro hors-série, nouage entre la théorie, l’actualité et la pratique, Francis Cohen annonce : « Le motif du meurtre, c’est l’écriture, alors prenons pour motif d’écriture le meurtre. Aucune équivalence entre ces représentations de mots et les effets des armes de guerre qui doivent mettre fin à toute question. Le meurtre crible les corps de trous par où la vie s’échappe. L’écriture fait trou, introduit de l’étranger, du neuf dans l’obscurité et la compacité du passage à l’acte. » Cette revue hors-série rassemble dix-neuf auteurs dont les écritures, dans leur disparité, assument le projet Du meurtre au regard de la psychanalyse, nouant ainsi le langage à la pulsion de vie et à la pulsion de mort. Une belle unité de questionnements se dégage des textes, lesquels conservent leur style, leur approche, leur ton, se répondant les uns les autres en d’incessants mouvements de gravité. La psychanalyse freudienne et lacanienne constitue la référence fondamentale du Cercle Freudien. Che vuoi ? est, depuis 1994, la revue du Cercle Freudien. Le comité de rédaction de la revue est actuellement composé de Francis Cohen, directeur de la publication, Jeanne Claire Adida, Jef Le Troquer, Claude Rabant. Francis Cohen explique, dans son texte « Mais qui a tué Moïse ? », quelle a pu être l’intrication entre la psychanalyse et le judaïsme. En référence aux grands livres de Sigmund Freud et aux séminaires de Jacques Lacan, par lesquels les écritures se tressent, il observe : « L’équivoque est le corollaire de l’écriture et le nœud borroméen de la fin “fort semblable à un chandelier à sept branches” n’est pas sans affinités à l’Odyssée du Moïse de Freud et aux tribulations du peuple ou du signifiant juif. » Dans son article « Des effets symboliques, après un meurtre originaire », Alain Deniau retrace les meurtres mythiques et fondateurs sur lesquels s’appuie la psychanalyse. Il indique que le statut de l’assassinat porté par un désir collectif est un passage à l’acte social qui doit être analysé comme le serait le retour hallucinatoire dans la psychose. Alain Deniau remarque : « Notre responsabilité historique comme analystes est de conforter les gains du Symbolique sur l’emprise pulsionnelle qui pousse collectivement à tuer l’autre, soit par l’assassinat légal, soit par la guerre ». La seule réponse aux blessures narcissiques de ces meurtres ne pouvant être qu’une avancée dans la construction du Symbolique. Dans « Le geste meurtrier », Jeff Le Troquer offre une méditation sur le geste meurtrier à partir d’une métaphysique du geste dont la source est l’Éthique de Spinoza. L’acte de tuer est la base même de la guerre, dit-il, comme la douceur de la parole est la base de la paix. Et d’ajouter cette phrase de Spinoza : « Seuls les hommes libres sont très reconnaissants les uns envers les autres ». Jeanne Claire Adida, quant à elle, propose une lecture de « Maîtriser la mort » sous le prisme du temps, avec l’idée d’un inconscient qui ne connaît ni le temps, ni la mort. Elle écrit : « Et si le pouvoir destructeur des assassins, les plus cruels fussent-ils, n’était rien, comparé à la puissance extraordinaire du temps ? N’en était qu’une pâle copie ? Le temps est un meurtrier. (…) Le temps tue indistinctement, universellement tout le monde. » Claude Rabant signe un article sur « Survivre, ou penser l’atroce ». L’atroce comme catégorie du meurtre ? L’atroce comme transgression définitive du pacte social ? L’atroce, source de terreur et de gloire. Claude Rabant écrit : « « Qu’est-ce qui fonde le pouvoir d’un individu sur les autres, qu’est-ce qui fait le dictateur, sinon cet absolu désir d’être le “dernier survivant”, puisant dans ce désir la force de tenir indéfiniment contre tous, engendrant l’impossibilité d’abandonner le pouvoir ? » Quelques mots encore sur « Du, de la, des », du texte de Claude Maillard. Mais de quel sujet et pour quel meurtre ? Et aussi de quel meurtre et par quel sujet, interroge l’auteur : « Du meurtre », de la mort, des lois; de la machine, des guerres. «Du meurtre » de père en fils et de la mère; du stupre, de la babelle, des web. Marie-José Sophie Collaudin conclut sur le « Meurtre d’âme : déni du féminin du meurtrier et meurtre du féminin de la victime ? » Elle remarque : « Ce meurtre du féminin des femmes et des hommes est le “meurtre d’âme ” qui dans ces nombreuses violences affecte les victimes, quand elles n’en sont pas mortes dans la réalité de leur vie. Les meurtriers sont dans le déni – inconscient bien sûr – de ce féminin et sont ainsi utilisés, parfois au risque de leur vie, à des fins hors loi humaine. » Autour de la question ici évoquée, le lecteur trouvera, à la fin du volume « Une tentative de réflexion sur l’acte de tuer » de Régis Levetti, avocat; et mis en annexe les Lectures, dont La parole oubliée de Karima Lazali, Une archéologie de la toute-puissance de Guy Le Gauffey, ou La persuasion et la rhétorique de Carlo Michelstaedter. Annik Bianchini |