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Ce que nous propose l’auteur c’est un tissage, une lecture croisée à double foyer : la psychanalyse et la théologie. La méthode de travail est simple (à énoncer) et sophistiquée : comment la psychanalyse vient en aide de lecture à la théologie, comment, en retour, celle-ci soutient les avancées cliniques de la psychanalyse. On le voit donc, il s’agit bien d’une lecture tout à fait orthodoxe telle qu’elle a inscrit, pour Freud, le religieux comme illusion de la civilisation. Il y a dans votre style d’écriture une grande lisibilité tissée à un intérêt soutenu. Malgré ( !) l’érudition, le livre se lit comme un roman policier : un meurtre – toujours un père tyrannique – quelques tueurs en série qui oublient leur gestes ou le nient et des enquêteurs acharnés… Il y a même quelques Juifs zélés qui viennent au secours de St Augustin… Je reviens à notre grand Juif. Freud n’a jamais cédé dans son intérêt pour le religieux et l’athéisme dont il se prévaut est celui, éclairé, du chercheur. Comme phénomène humain, comme question d’appartenance, Freud s’applique à faire avancer l’un par l’autre, l’un avec l’autre, l’un contre l’autre, psychanalyse et religion. Jusqu’en 1910, Freud interprète la religion comme une projection des imagos parentales bienveillantes et comme l’équivalent de rituels obsessionnels, tous mécanismes qui méconnaissent la scène œdipienne. Puis, il y a ce que l’auteur relève comme le » tournant de 1911 » : La relation privilégiée avec Jung traverse une crise grave qui confronte Freud aux questions du père et de la transmission. Jung, fasciné mais dévoré par ses propres ambitions, se refuse à faire le fils docile. Freud – s’évanouissant – est, quant à lui, prêt à faire le Père, entendant enfin là ce qu’il savait déjà depuis sa découverte de l’Œdipe et son auto-analyse : la transmission s’appuie sur le refoulement du meurtre du père d’où l’ambivalence (c’est la culpabilité qui installe la tradition dans son caractère de contrainte). Freud remet alors sur le métier la lecture psychanalytique du monothéisme à la lumière cette fois de ce qu’il ne peut plus méconnaître : la culpabilité – au cœur du religieux – trouve sa source dans ce qui en autorise la transmission : le refoulement du meurtre du père. Et c’est la construction de » Totem et Tabou « . Vous nous emmenez au cœur du religieux, et avec une érudition superbe, vous nous conduisez patiemment dans les arcanes d’un parcours théologique construit autour de quelques clés : problème du mal, le dogme du péché originel, la question du salut et du libre arbitre, sans oublier, bien sûr, Luther et le » serf arbitre « . Nous suivons les démêlés de St Augustin avec les gnostiques et les pélagiens autour de cet infernal paradoxe : tout homme naît pécheur et est – néanmoins- responsable de ses actes. Prenons Pélage, par exemple : ce qu’il refuse c’est précisément ce dogme du péché originel et ce que vous nous montrez bien, c’est que, si pour les pélagiens, le péché est acte volontaire (c’est de ses œuvres que l’homme fait dépendre son salut), le martyr de la croix est vaine rédemption. Voilà bien un tour de pensée qui rend caduc comme étant non advenu le meurtre du père : c’est le registre freudien du DEMENTI. Au vif de votre travail, joue l’opposition du démenti (qui porte sur l’acte) et de la dénégation en tant que supportée par le refoulement (qui porte sur la représentation). Ce sont ces deux termes qui organisent la pensée théologique. Dans une reprise serrée de » Totem… » autour de la culpabilité, vous montrez que c’est la haine qui est l’affect central organisateur du passage du mythe à la tradition, étant entendu que la tradition qui soutient toute transmission s’étaye sur le procès du refoulement. La mise à mort du père et l’ambivalence ne suffisent pas, dites-vous, à expliquer la culpabilité, il y faut encore le refoulement de la haine fratricide et l’échec consécutif des frères à s’approprier les femmes. Votre texte s’appuie sur cette exclamation de St Paul » Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais « . Lorsque Freud, à la fin de sa vie, ouvre à nouveau le dossier psychanalytique de l’illusion monothéiste c’est avec le » Moïse « . On en connaît les circonstances prises, elles aussi, dans cet affect de haine. Ce sur quoi bute Freud, comme une question lancinante, c’est ceci : Pourquoi le judaïsme, première des religions monothéistes, est précisément la seule à ne pas correspondre à la construction psychanalytique de la religion. Selon Freud, en effet, la religion s’appuie et se transmet sur le mode des névroses par le jeu du refoulement qui transforme l’angoisse de castration en culpabilité et donne à la tradition ce caractère de contrainte acceptée. Le judaïsme, quant à lui, est fondé sur le démenti du meurtre du père. Le démenti ( » le meurtre ? quel meurtre ? « ) transforme la religion en morale et n’assure aucune transmission mais produit la révolte du peuple sous le joug incompréhensible d’une tyrannie morale. Peut-être pouvons-nous commencer par le retour sur cette question complexe au cœur du judaïsme, complexe en tant qu’elle brouille le démenti – Akhenaton et le martelage du nom du père- à la dénégation – le Décalogue, par sa formulation négative reconnaît en effet ce qu’il dénie. Alors qu’en est-il du Judaïsme ? comment allez-vous sortir Freud de ce mauvais pas ? Par Serge Sabinus |
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L’Invité : mardi 13 mars 2002
Daniel ROQUEFORT pour son livre "l’envers d’une illusion" Editions érès Présentation par Serge Sabinus