Des solitudes

Sous la direction de Franck Chaumon et Okba Natahi. Ont participé à cet ouvrage: Marie Josée Corentin Vignon, Josiane Desroses, Brigitte Edward, Cécile de Ferrières, Pascale Hassoun, Isabelle Heyman, Guy Leyres, Kathy Saada, Claude Spielman. Editions érès 2017

Françoise Hermon

Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du Cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié dans la revue Patio N° 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ».
En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Cet ouvrage est issu d’un colloque tenu par des psychanalystes appartenant à deux associations interculturelles de France, des Antilles et du Maroc (GRAEFP et Réciproques)
L’être seul se décline de multiples façons et c’est à travers un point de vue tout à fait personnel que chacun des auteurs, féminins et masculins, déploie cet univers éminemment contradictoire des solitudes et de la solitude, le diffractant dans un espace pluridisciplinaire bien que vectorisé par la pratique de la psychanalyse.
La qualité d’écriture de chaque article rend la lecture plaisante, et la variété des champs travaillés permet d’approfondir, d’étendre et de délimiter avec précision mais aussi poésie, le contenu du concept et de l’expérience de la -et des solitude-s.
Plusieurs écrits cliniques mettent en lumière le fait que la réalité de l’abandon dans la problématique de l’adoption redouble la solitude originelle vécue à la naissance de manière biologique comme détresse (Hilflossigkeit), et que cela peut entamer la capacité de l’individu à vivre l’épreuve de séparation nécessaire à la naissance d’un sujet.
«Quoi que fasse ou désire l’Autre, il est le seul à devoir supporter ces changements biologiques, seul en proie à ce réel. Bien que plongé dans la lalangue, le nouveau né traverse là un moment de dialogue muet avec le réel de son corps, produisant une solitude fondatrice au départ d’une vie qu’il doit construire» écrit Claude Spielman page 18.
La jouissance d’une solitude triomphante et ravageante, peut être assimilable à la mélancolie; elle est opposée à celle banale constitutive de toute humanité. Ainsi Pascale Hassoun avec un texte fluide et sensible parle du passage de la seulitude à la solitude «qui fait sol», à propos du déroulement d’une cure.
Dans un style radicalement différent, Okba Natahi construit un texte des plus savants s’appuyant pas à pas sur des séminaires de Lacan où il repère de quoi déterminer le mode particulier de solitude qu’entretient la mélancolie propre à l’humain en général, et plus spécifiquement encore, le sujet diagnostiqué mélancolique, à travers son rapport au corps, à la lettre et à l’être. L’auteur reprend et termine ce travail minutieux, original et ambitieux par un prolongement différé intitulé coda, par le truchement duquel se dévoile le mode transférentiel qui peut être préside à la sortie inattendue d’une femme mélancolique murée dans une incapacité à être affectée. «une larme et une seule est ce qui fait signe de ce – je qui parle avec son corps- pouvant expérimenter cette solitude qui, elle, ne peut s’écrire car elle concerne l’être, l’un du corps qui parle et qui ne va vers aucun rapport».
La solitude paroxystique du fou qui se trouve exclu de la communauté des êtres parlant est à juste titre pointée comme paradigme de la fabrication de solitudes désespérées, exaspérées par la nécessité de constituer et rassurer un groupe d’humains se voulant sains d’esprit et raisonnables. C’est ainsi qu’Okba Natahi a pu répondre à sa patiente indifférente à tout qui l’invite à se prononcer sur le verdict psychiatrique d’un diagnostic de mélancolie assorti d’un traitement médicamenteux à vie, «je n’en ai rien à faire de votre mélancolie, il me suffit de voir et de savoir que c’est une femme qui me parle ici».
La fonction du psychanalyste se situe grâce au lien du transfert, dans l’entre deux du solitaire et solidaire, et il nous est rappelé par Franck Chaumon que Lacan affirmait «loin que la folie soit la faille contingente des fragilités de son organisme, elle est la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence. Loin qu’elle soit pour la liberté une insulte, elle est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre».
Ce périple au cœur des solitudes sillonne le terrain  politique, littéraire, et mystique, ce qui contextualise et précise l’objet de la recherche. Ainsi Brigitte Edward consacre un écrit à la pensée d’Hannah Arendt qui distinguant la solitude de l’isolement et de la désolation nous aide à comprendre ce que sont ces «parias» sans inscription à l’intérieur d’un «monde commun».
La désolation s’inscrit dans un contexte d’effondrement du légitime assimilable à une mise hors jeu de l’ordre du symbolique. Catastrophe du sujet, dit Agamben.
Comme le totalitarisme pour Arendt, l’esclavage est désigné à juste titre par Marx cité page 38, comme forme majeure de cet effondrement:«Il fallait pour piédestal à l’esclavage dissimulé des salariés, l’esclavage sans faille du nouveau monde».
Ainsi, le texte écrit par Marie Josée Corentin Vignon à propos du roman d’André Schwarz Bart «la mulâtresse Solitude»me paraît représenter un centre possible d’où pourraient après coup s’organiser les différents articles car il reflète avec égale intensité la dimension du politique, de la clinique psychanalytique et le génie particulier à la littérature pour dire le vrai à la limite de l’indicible.
C’est sur ce point que se conclut l’ouvrage avec un texte poétique de Cécile de Férrière qui parle de ce qu’est le don de la langue à travers la traduction des langues dans leurs singulière et plurielle solitudes réciproques.
Ainsi l’article de la fin fait écho à celui du début: «Ecrire la solitude» pour quelque peu la partager dans une adresse au monde commun des solitudes humaines.

Françoise Hermon Vinerbet

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