Docteur Nasio | Dix histoires de vie, de souffrance et d’amour

Editions France Inter/Gallimard, 2023

Article rédigé par : Monique Zerbib

Ce livre au titre romanesque est une retranscription des entretiens radiophoniques que Juan David Nasio a donnés avec succès à France Inter dans l’émission l’Inconscient durant la saison 2022-2023.

S’il signe ce livre sous le nom de Docteur Nasio, Il n’y a cependant pas d’ambiguïté, il est toujours question tout au long du livre de psychanalyse et de son concept majeur à savoir l’inconscient avec une volonté de s’adresser à tous dans une langue simple, sans jargon.

Il a à cœur d’être “le bon docteur”, celui qui écoute passionnément ses patients, enfants et adultes, celui qui met tout en œuvre pour les aider à guérir leurs blessures psychiques, à résoudre leur conflit et à trouver des solutions pour mieux vivre. Ses histoires de vie, de souffrances et d’amour, il les écrit et nous les raconte à la manière d’un conteur. Et les séquences thérapeutiques évoquées ne sont pas sans rappeler la série télévisée En thérapie qui a eu un franc succès auprès d’un public averti et non averti.

Juan David Nasio nous invite tout d’abord à rentrer dans son cabinet dont il aime le décor qu’il décrit avec précision. Il se sent bien dans ce lieu où il exerce et il ne se prive pas de le dire. Son travail de clinicien psychanalyste animé par un puissant désir non seulement de soigner la souffrance mais aussi de transmettre les fondements de sa pratique le passionne.  Il est un pédagogue né, il sait depuis toujours, c’est à dire depuis ses années d’enseignant à Paris VII dans les années 80, et lors de ses conférences à la Cite Universitaire ou à Pasteur, expliquer et définir clairement et précisément les concepts freudiens et lacaniens de la psychanalyse.

Dans la première histoire de cas, en présentant le cas de Mathieu, il n’hésite pas, avec son audace de clinicien à sortir justement de son beau cabinet et à se comporter en psychologue, je dirai, comportementaliste, qui va jusque sur les lieux de la phobie de son jeune patient qui ne peut franchir le seuil de son école. Mais ne nous y trompons pas, le Docteur Nasio est psychanalyste dans l’âme, il n’est pas question pour lui de se trahir et quoiqu’il fasse, les concepts psychanalytiques sont opérants dans sa tête.

La névrose, qu’elle soit hystérique, phobique ou obsessionnelle ne semble plus avoir de secret pour lui. Il n’est pas question pour autant d’épingler ses patients sous un diagnostic enfermant. Son savoir lui est sans doute utile pour gagner du temps dans le repérage et la compréhension des entraves symptomatiques, mais ne limite en rien son écoute et sa compréhension de la singularité de chaque cas. Il intériorise les scénarios traumatiques de ses patients pour mieux les verbaliser et les conduire à les revivre et à s’en libérer, la peur de la répétition d’un épisode traumatique étant à la source de la phobie.

Il aborde aussi l’épineuse question de l’anorexie avec une patiente qui ne peut supporter son corps de femme et qui aurait tellement voulu être le fils de son père qu’elle adore.

La troisième patiente obsédée par l’idée de tuer son enfant est accueillie avec confiance par le docteur qui ne la stigmatise pas. Il n’a aucun doute sur l’amour qu’elle peut porter à cet enfant. Il comprend que cette obsession maladive lui vient de sa culpabilité d’être vivante et heureuse alors que son frère aîné est mort trois jours après être né.

La lecture du chapitre intitulé La répétition d’un passé douloureux saura convaincre ceux qui doutent encore de la force heureuse ou malheureuse de l’inconscient. Le retour du passé dans le présent, cette inévitable répétition, a plus d’une façon de modeler notre mémoire et de nous jouer des tours plus ou moins douloureux au cours de nos vies.

S’il n’est pas question ici d’égrener l’ensemble des histoires passionnantes racontées dans ce livre, nous ne passerons pas sous silence ce chapitre incroyablement émouvant consacré à son amie et mentor la psychanalyste Françoise Dolto. Son admiration et sa reconnaissance est grande pour celle qui lui a donné une solide formation en lui permettant, avec d’autres internes, d’assister aux séances cliniques particulièrement difficiles avec des enfants lourdement traumatisés. Par l’intensité de ses souvenirs et la force de leur évocation, Juan David Nasio nous fait revivre avec lui quelques séances de travail au cours desquelles se déploient magistralement la créativité psychique de cette thérapeute hors pair au service de la souffrance de l’enfant.

Comme le démontrent la photo intitulée Dolto et la petite-fille au collier (p.103), ainsi que le récit du cas de la petite Houda, particulièrement tragique, Dolto se met à la hauteur de l’enfant, mentalement et physiquement, pour comprendre et déjouer les scénarios mortifères inconscients dans lesquels ce dernier s’enferme jusqu’à vouloir se détruire.

Juan David Nasio retient de l’enseignement clinique de Dolto cet engagement total à l’égard de son ou sa patient.e. Il retient cette communication mentale nécessaire pour comprendre au plus profond de son écoute et de son empathie les scénarios mentaux qui nourrissent la souffrance pour mieux les expliciter et peut-être les déjouer par le biais d’une interprétation ou d’une formulation éclairante.

Cette disposition clinique, Nasio va la mettre aussi au service de son analyse du tableau de Francis Bacon, inspiré lui-même par le tableau de Velázquez, le portrait du pape Innocent X qui va obséder le peintre toute sa vie. Si Bacon n’entre pas dans le cabinet du docteur, c’est lui, l’analyste-spectateur, qui va vers l’artiste pour s’attacher à comprendre cette obsession à la lumière de la vie tourmentée du peintre. Et son interprétation qui ne manque pas d’audace nous engage à repenser la question de la sublimation. Elle n’est pas oubli de soi désexualisé mais tout à la fois projection narcissique et métamorphose de l’objet, mouvements inconscients, forcément à l’insu de son créateur, qui donneront à l’œuvre sa fulgurance et son énigme.

Les entretiens radiophoniques et ce livre du Docteur Nasio ont le mérite, à une époque où la psychanalyse est tellement décriée, de donner à saisir, en particulier pour les non-praticiens, le fonctionnement de ce puissant projecteur de l’inconscient au cœur des processus psychiques.

Monique Zerbib

Psychanalyste, membre affilié de la Société de Psychanalyse Freudienne, Psychologue clinicienne, anciennement attachée á l’EPS de Maison Blanche. Membre des associations Oedipe Le Salon et Pandora. Auteure de divers articles sur psychanalyse, art et littérature, coréalisatrice des numéros de la revue Chimères : les Paradoxes du Rêve, Avec Édouard Glissant et Folies en Partage.

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