Eliane Allouch Corps et psyché en psychanalyse. L’apport de l’autisme et des psychoses infantiles

Éditions Campagne Première. Paris, 2015.

Philippe Porret,

Psychanalyste, Paris. Auteur de « Joyce McDougall, une écoute lumineuse » Éditions Campagne-Première Paris 2006 ;

« La Chine de la psychanalyse » Éditions Campagne-Première Paris
2008 ;
« Paris sur le divan. Les ombres de la Ville Lumière » Éditions Parigramme. Paris 2012. (Prix Haussmann)

C’est un livre d’alliance: pas seulement parce qu’il établit des rapports féconds en psychanalyse entre ces respectables concubins que sont le corps et la psyché; mais parce qu’il convoque également, en ces noces, des témoins plus imprévus –  le féminin et puis l’autisme, les psychoses infantiles – dans une fonction originale d’ « apport »… Ouvrage de synthèse, par conséquent, par un maillage serré de réflexions ou travaux dans ce vaste champ, mais d’engagement clinique aussi, celui d’une analyste fidèle à l’esprit comme à la méthode, tout en se montrant frontalière… L’on apprend beaucoup, au fil de ces pages, et l’on se déplace tout autant; sans doute y est-on invité par la pensée de l’auteur, toujours en mouvement, et les récits cliniques qu’elle livre fort à propos. La frontière, qu’Eliane Allouch traverse et retraverse, sans se perdre ni nous égarer en chemin ?

Celle qui rapproche l’écoute d’une parole incarnée (pardon du pléonasme) et celle d’un corps parlant, pulsionnel et libidinal, tout en les distinguant. Pratiques mitoyennes, mais jamais étrangères, que l’originalité d’un cursus rend possibles: professeur émérite en psychopathologie et psychanalyse à la Sorbonne, cette psychanalyste, auteur de nombreux ouvrages sur la psychose, le narcissisme, la violence, l’altérité ou la confiance, fut aussi, en ses commencements, élève de l’Ecole normale supérieure d’éducation physique et sportive, et à ce titre enseignante d’éducation physique et sportive, de danse, en lycée puis en hôpital de jours pour adolescents. Alliance déjà, dont Corps et psyché en psychanalyse consacre aujourd’hui l’anneau…

Du corps-machine du petit René que fut le grand Descartes, à la déchirure du féminin qu’exprime l’œuvre de Lautréamont, en passant par Fritz Zorn et son corps-coquille, une thèse s’affirme: les liens entre corps et psyché – entre la sensation et le sens – fondent  » la possibilité de devenir sujet, et d’y persévérer de manière créative, même douloureusement ». Eliane Allouch en démontre la pertinence en s’attachant aux contre-exemples et destins pathologiques (autiste, psychotique, délirant) qu’elle retrace au fil des chapitres, autour de ce qu’elle conçoit comme « clinique de l’être plus que du sujet », en évitant l’impasse de l’ontologie. Ce que la psychanalyste saisit chez l’autiste et le psychotique comme « le déficit tragique de sa corporéité », part d’une observation questionnante par sa récurrence: « les sujets atteints de tels troubles, ne pouvant exprimer leur détresse par un dire, la transposent dans des manifestations corporelles qui frappent l’observateur par leur étrangeté en même temps qu’elles agressent sa sensibilité ».

La corporéité – le fait qu’un corps acquiert l’existence pour le sujet qui l’habite – se fera seuil et enjeu thérapeutique pour qu’une possibilité d’éprouver un corps de désir soit envisageable; l’auteur montrera comment la prise en compte de la corporéité de ces patients participe de leur prise en charge thérapeutique, comme de la reconstruction-interprétation de leur fantasmatique personnelle. Patience et longueur de temps seraient ainsi à l’œuvre ? Pas seulement, et cette apparence de positivité thérapeutique cède rapidement le pas à l’examen des difficultés, à la conclusion auxquelles elles mènent:  » c’est une clinique du chaos, du non-être où, non pas l’angoisse, mais la terreur – un travail de mort au plus profond – prend le pas sur un travail de vie ».

L’on suit pas à pas cet engagement de l’analyste dans la difficulté de cette tâche que vient éclairer une approche originale du féminin élémentaire – cet état de passivité active, sentiment-sensation de l’intime, du familier – qui « introduit « au sens du réel, notamment au sentiment-sensation d’exister ». L’autisme en signe l’échec, Les Chants de Maldoror, la déchirure intime, au profit d’une poésie de la violence pure.

On ne s’étonnera pas de rencontrer au cours de cette réflexion interrogative sur le corps et la psyché en psychanalyse, Freud, Lacan, Winnicott, Ferenczi, Joyce mcDougall, Piera Aulagnier, mais aussi Blanchot, Michaux, et quelques autres bons compagnons de route.

Eliane Allouch, sensible au corps subtil de la parole (Lacan) comme à l’être de la danse (Michaux), fait aussi entendre poétiquement combien chez le parlêtre, corps est ce pont dense donné par la parole et l’altérité de l’échange. Une correspondance, somme toute…

Philippe Porret

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