L’Invité : mardi 13 mai 2008

Erik PORGE pour son livre "Des fondements de la clinique psychanalytique" Editions érès Présentation Serge Sabinus

 

 

 

Le livre que nous propose ce soir Erik PORGE « Des fondements de la clinique psychanalytique » est un livre que je dirai « suivant ». Suivant à double titre : En tant qu’il suit à la ligne les leçons de Jacques LACAN qui nous a appris à pratiquer la psychanalyse freudienne en langue, en langue française plus exactement. Et sur cette ligne Erik PORGE avance d’un pas (le pas « suivant » après son livre « Transmettre la clinique psychanalytique ») considérant que la clinique lacanienne (qui semble avoir pour l’auteur l’exclusivité de l’héritage freudien) n’est pas un système, ne produit donc pas de concepts mais s’appuie sur des fondements qui pourraient être collationnés dans un nouveau vocabulaire en fonction de caractéristiques particulières (et l’on trouvera à la fin de l’ouvrage une amorce de ce projet à venir) :

  • Ils fondent la topologie lacanienne (comme il y avait une linguisterie…) pour décrire l’expérience clinique de la cure,
  • et, du même pas, énoncent dans la langue du commun (c’est-à-dire celle de l’analysant dans l’association libre, celle du bavardage, du « discours-courant ») les mots-clés de sa souffrance ; la clinique telle qu’on se couche (« clinique » vient du latin pour « lit »).

Mais Erik PORGE suit tout autant son entreprise de Transmission de la clinique psychanalytique par le retour à ses principes qui la forgent (il y a en effet dans le terme de « fondement » cette évocation du retour aux fondations). Pour paraphraser le pianiste Glenn GOULD qui répondait à une question sur sa réticence à donner des leçons en expliquant que jouer du piano était très facile – Il suffit, disait-il, de mettre les bons doigts sur les bonnes touches au bon moment – établir une clinique ne devrait guère poser plus de difficulté car il faudrait simplement mettre les bons mots sur les bons objets au bon moment ! Car la question du « moment » est cruciale dans le projet de l’auteur, à ce stade de son travail : la psychanalyse, précise-t-il, est à un « moment » de dérive, sollicitée qu’elle est d’avoir à sauver la psychiatrie de son allégeance contrainte aux lobbies pharmaceutiques et leur clinique ready made (exit alors les « nouvelles pathologies »), et plus encore menacée qu’elle, de l’effroyable popularité vulgaire de la psychologie, convoquée à toutes les sauces de la vulgarisation à prétentions scientifique et capitaliste.

Erik PORGE propose aux analystes une ligne de résistance nécessaire à ce moment menaçant : « J’ai resserré ce qu’il y a, à mon avis, de fondamental dans la clinique psychanalytique autour de deux termes : la coupure et le retour«  (page 9).

Ces deux termes clés produisent des fondements certes un peu tordus, mais tordus par la topologie ! Le « retour » c’est, par exemple, celui du signifiant : retour de S1 à S2 dans lequel S1 représente le sujet pour S2 et, du même pas, représente sa relation avec S2. La « coupure » (en tant qu’elle se relie à un Réel), c’est, par exemple, celle qui produit un savoir qui inclut après coup cette coupure même dont il procède !  » Le sujet est coupure. Coupure par le signifiant. Coupure par l’objet » (page 77) ; on reconnaît la lecture lacanienne du sujet visé par FREUD comme divisé.

Sur quoi se fonde, selon PORGE, une clinique psychanalytique ? Dans quels champs particuliers retrouve-t-on à l’œuvre retour et coupure, ces nouvelles mamelles de Tirésias de la psychanalyse ? Dans la cure – et cette singularité adossée au désir de l’analyste est pratique d’une parole adressée en tant qu’elle se réfère à la subjectivité d’un dire et non à une mise en cas – en casier, disait LACAN – psychopathologique. Dans le champ de la transmission tout autant, c’est-à-dire autour des modalités de nomination, d’inscription dans le social et de mise en ecclésia des analystes ; un dispositif est ici au centre : la passe.

 Avec notre auteur, revenons plus en détails sur ces 2 champs (On remarquera dans l’ouvrage, le soin apporté à les présenter comme noués, tressés au fil même du texte et de son ordonnancement en chapitres). La cure s’appuie sur la structure et non sur des agencements symptomatiques, ou sur une pathologie ; chacun, nous a appris LACAN, est normal dans sa structure. « Il ne suffit pas d’avoir des symptômes même graves pour vouloir en être débarrassé. Pour que cela se produise, il faut justement qu’un des éléments de la structure se soit déplacé ou ait vacillé. Si traitement il y a, son but n’est pas la restitutio ad integrum, même approximative, mais un dévoilement de la vérité scellée dans le symptôme, il faut que l’appel qu’il contient soit entendu. Il ne s’agit pas de supprimer le symptôme comme en médecine mais de se mettre à son écoute, de se laisser enseigner par lui pour apprendre comment le sujet fait avec son fantasme, comment le sujet résout l’énigme de son désir » (page 29).

 Si la névrose est posée par LACAN comme « coalescence de la structure avec le Sujet Supposé Savoir » alors l’acte de l’analyste peut se décrire comme cette coupure « grâce à quoi la supposition du Sujet Supposé Savoir est détachée, séparée de la structure » (Séminaire D’un Autre à l’autre). En 1977, LACAN tient son séminaire « Moment de conclure » (cette référence au « temps logique » est très présente dans le livre d’Erik PORGE, en tant qu’elle se profile en filigrane dans la robuste trilogie ISR et ses nouages topologiques), et ce qu’il dit de la cure c’est que c’est une pratique de « bavardage » (!), certes risquée, au plus près donc de ce que FREUD s’est vu à lui-même enseigné par ses hystériques comme « talking cure », pratique risquée donc sur fond d’une radicale dissymétrie de positions ; si lui l’analyste ne bavarde pas, s’il se tait, s’il se retranche donc du bavardage, c’est que, depuis cette place d’affût, il tranche : « L’analyste, lui, tranche. Ce qu’il dit est coupure, c’est-à-dire participe de l’écriture, à ceci près que pour lui il équivoque sur l’orthographe » (page 40). Par cette remarque, d’une belle profondeur, l’auteur noue le procès de parole à l’écrit pour un rappel de ce que FREUD avait mis en évidence par exemple en posant l’énigme du rêve à déchiffrer comme un « rébus ».

Cette coupure qu’opère le psychanalyste consacre la disjonction entre Savoir (dans son appui sur l’objectivité) et Vérité (en tant que portée par le subjectif), et cette disjonction prise dans la logique de la cure conduit au moment de la fin dans la chute du Sujet Supposé Savoir. Ce moment logique ouvre au questionnement d’un autre moment clé de la clinique en tant que transmission, le moment de passage de l’analysant à l’analyste, lancinante question portée à l’incandescence par LACAN après FREUD et qui a produit un dispositif, la passe : « Cela touche à ce qui est au cœur de sa fonction et du désir de l’analyste, à ce qui fait l’objet même de la passe. En outre cela permet de joindre deux bouts : l’entrée en analyse et la fin de partie … S’il y a un enjeu que la passe met à l’épreuve c’est donc cette endurance de l’analyste – de celui qui peut le devenir du fait d’un analysant – à se déprendre du savoir acquis, à le suspendre, le mettre en réserve, à la mesure même de l’effort qu’il fait pour l’acquérir et souvent contre la demande de sens de l’analysant » (page 64).

 Comme dispositif, la passe se doit de rester cohérente avec son objet – la psychanalyse – en tant qu’elle n’est pas systématique et qu’elle ressortit d’une logique du « pas tout » (lisez les pages éclairantes du livre, et l’ouvrage de Guy LE GAUFEY sur ce thème). Cette logique est celle qui invalide (au-delà de ses effets de prestance) la pratique des vignettes cliniques, au sens de la démonstration d’une exception qui laisserait supposer son intégration dans une forme totalisante, généraliste. Remarquons que ce même argument pourrait tout aussi justement être appliqué à une certaine pratique régulière de la citation, pratique qui fleurit parfois jusqu’à l’excès lorsqu’elle est posée comme argument de démonstration et non appui à la pensée.

La passe donc. Bien que consacrée par son inventeur lui-même comme un échec, elle est, pour Erik PORGE, une pierre angulaire de la clinique psychanalytique. La passe, c’est quoi ? C’est un dispositif qui s’établit (comme le mot d’esprit autour de la « dritte person ») sur un tripode « passant, passeur, cartel de passe » et dont la fonction est d’interroger le procès de nomination. Erik PORGE développe là un point crucial en rappelant l’évolution de la pensée de LACAN dans ses deux versants :
 1- Nomination en tant qu’elle est un « nommer à » (un titre, une fonction), appuyée donc sur l’effet de métaphore par laquelle la substitution d’un nom est productrice d’un sens – toujours phallique – (par exemple le Nom-du-Père est le sens du désir de la mère comme x).

 2- Nomination en tant qu’elle se réfère au nommer comme appel au dire : « La nomination dit que dans le parcours quelque chose a été nommé mais ne dit pas quoi et ce quid reste à dire ou à mi-dire autrement ou ailleurs. La nomination conclusive de la passe est donc plutôt une nomination de nomination, un nom de nom et même un nom de nom de nom, si l’on considère que le nom a fondamentalement affaire au trou, à un impossible à dire » (page 93).

On lira avec profit dans l’ouvrage le mouvement de la pensée de LACAN et ses commentaires de la Logique de FREGE, ou plutôt de RUSSELL commentant FREGE, voire même plus exactement, de CARNAP lisant RUSSELL lisant FREGE (ah nom de nom quelle logique !!). Je voudrais ici ouvrir une question, peut-être même un débat : si la passe comme dispositif est clé de voûte de la transmission de la clinique psychanalytique c’est aussi, me semble-t-il, en tant qu’elle se démarque – par son appui sur la Vérité disjointe du Savoir – de toute pratique universitaire. Je suis ainsi très étonné du peu voire de l’absence de prise de position critique à l’égard de cette pratique qui consiste à faire croire que la psychanalyse s’enseigne à l’Université ; si, selon moi, elle s’en trouve surtout en saigner à blanc dans un silence surprenant c’est peut-être que certains, et pas des moindres, y trouvent là une belle pitance tout apprêtée à leur dévorant « désir d’analyste » ; Question donc.

 Pour revenir au livre d’Erik PORGE, je n’insisterai pas sur cet autre point central, la prévalence de la Topologie, laissant à l’auteur et à l’auditoire soin et loisir de reprendre ce point évident. Dernier avatar (et pourtant premier tout autant) du LACAN qui va chercher dans de nombreux champs de la science son miel, la topologie (qui ponctue de sa présence multiforme et variée le vocabulaire en construction de notre auteur) semble inviter chaque analyste qui se veut lacanien à se plonger dans les méandres abstraits des nœuds, chaînes, surfaces et coupures. Invite qui inclut celle de mettre la main à la pâte pour jouer de la ficelle et des ciseaux. Mais peut-être pourrait-on dire que, tel Mr Jourdain avec sa prose, chaque analyste, dès qu’il tranche dans le bavardage du dire ce qui vient, pratique sans le savoir (pour autant que ne pas savoir ce qu’on fait approcherait de la vérité !), la topologie ?

Serge SABINUS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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