François Pommier

"L’EXTREME EN PSYCHANALYSE" Editions Campagne Première

 

Catherine Weismann-Arcache a lu …
Psychologue clinicienne
Maitre de Conférences en Psychologie Clinique, Université de Rouen, équipe Traumatismes Individuels et Familiaux, Laboratoire Psy.Nca.
Chercheur associé au Laboratoire de Psychologie Clinique et de Psychopathologie de L’Université Descartes

« L’extrême en psychanalyse » peut se lire comme la mise en abîme d’une situation extrême – la cure psychanalytique- avec les situations extrêmes auxquelles elle s’adresse de manière inhabituelle : analysants sidéens, toxicomanes, suicidants, à la limite de décompensations somatiques et psychiques. La conception de l’ouvrage composé de cinq parties dites « Livres » rappelle à la fois les textes sacrés et les symphonies : du Livre I au Livre V, la lecture s’enrichit d’associations littéraires, théâtrales et musicales à travers lesquelles s’exprime aussi l’humanité de l’auteur et sa capacité à jouer sur différents registres, jusqu’au vertige qu’il considère d’ailleurs comme « le nécessaire désarroi du thérapeute ». Les positions contre-transférentielles sont courageusement mises à l’épreuve de ces rencontres avec des personnages tragiques qui transforment le psychothérapeute en « bricoleur d’outils », forçant véritablement sa créativité. Aux enjeux vitaux qui pourraient paralyser ou fasciner l’analyste tout comme le funambule se laisse hypnotiser par son fil, F. Pommier oppose l’audace de l’acrobate qui joue avec le vertige sans tenter de le combattre. Il propose ainsi de véritables dispositifs cliniques et théoriques, et le livre suit aussi le processus de la cure psychanalytique avec ses histoires, ses trouvailles, ses incertitudes, ses mouvements progrédients et régrédients, et sa fin qui ne saurait se confondre avec la finitude du sujet.

Le Livre I « Histoires Cliniques » met en scène trois rencontres que l’auteur nous fait éprouver à travers une écriture sensorielle qui n’oublie ni le corps souffrant, ni le corps pensant, le sien et celui du sujet. François Pommier utilise d’ailleurs la métaphore théâtrale qui associe le corps, la voix et le décor pour rendre compte de la manière dont Gérard, Tom, puis Anne vont cheminer du drame qu’ils semblent subir, à la tragédie qui donne sens et s’approche au plus près de l’énigme du sujet. C’est la condition préalable pour que le clinicien ne soit ni happé par le caractère dramatique de la situation, ni mis à distance par une pitié qui le rendrait totalement extérieur. Les positions contre-transférentielles de l’analyste sont exposées en regard de la réactivité transférentielle – ses excès ou ses absences – de l’analysant.
Le Livre II « La pulsion de mort en question » propose une clarification des différentes positions théoriques autour de la très controversée pulsion de mort. Les références essentielles témoignent de la manière dont Freud, Klein, puis Laplanche, Dejours ou encore Green et Ségal ont conceptualisé l’articulation pulsion de vie, pulsion de mort. Ce dualisme pulsionnel est discuté de manière nuancée et l’auteur élargit le point de vue en faisant appel à d’autres épistémologies, comme « la tectonique des plaques terrestres » ou encore les recherches en géophysiologie, ce qui donne à son propos un ton poétique : « les couches minérales de notre terre, qui glissent et parfois s’entrechoquent, donnent une image de la pulsion de mort ». F. Pommier développe ici une perspective originale selon laquelle la passion et la sublimation constitueraient les deux destins de la pulsion de mort.

Le Livre III « Anticipation de la mort et temporalité psychique » et le Livre IV « Clinique de la fin de vie » explorent la temporalité particulière de ces situations extrêmes. L’auteur maintient le rythme qui alterne agréablement vignettes cliniques et aspects philosophiques, entrainant le lecteur –tout comme l’analysant- dans une circularité temporelle qui fait retour vers la relation précoce et le transfert maternel qui s’adresse à l’enfant dans l’adulte. Winnicottien, il risque une comparaison entre la mort et le jeu, par le truchement de l’incertitude commune à ce qui caractérise le vivant. Il ne se laisse pas prendre, cependant, au mirage de l’archaïque, et continue de s’interroger sur la finalité d’une cure « cimentée par le réel ».

Dans le Livre V « L’interprétation dans les situations extrêmes » c’est la partition de l’analyste qui se fait entendre : F. Pommier est aussi un musicien qui utilise les concepts musicaux pour mieux entendre et paradoxalement mieux « visualiser les sentiments de l’autre ». Les sujets suicidants ou toxicomanes sont comme l’analyste, en quête de la voix perdue de l’enfance, mais chacun est porteur d’une mélodie unique dans laquelle le thérapeute devra entendre les « dissonances ». Il faut dire que F. Pommier est un virtuose de l’interprétation adressée à ces analysants aux frontières de la vie et aux confins de l’analyse.

Pour conclure, des concepts communs aux situations extrêmes seront explorés, comme l’addiction –au VIH, à l’absence – ou « contrainte par corps », et des opérateurs psychopathologiques seront recherchés. L’objectif de F. Pommier n’est pas du côté d ‘une psychologisation systématisante du fait « extrême », mais du côté de l’extrême de la cure qui n’est pas là où on l’attend : il s’agit de se « distraire de la mort qui plane » tout en continuant à rêver, sans tenter de « se soustraire à soi-même » ultime tentative du suicidant. L’extrême à minima se trouve au cœur de la rencontre analytique, dans cette modification conjointe du patient et de l’analyste au sortir de la cure. C’est sans doute cette part d’extrême qui profitera également au lecteur qui se laissera « distraire » de la mort et du temps par ce livre vivant.

     

Catherine Weismann-Arcache

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