Gaetano BENEDETTI Séminaires cliniques sur la schizophrénie

La maison jaune, Erès, 2014

Marie-Françoise Laval-Hygonenq
Psychanalyste, membre titulaire de la Société Psychanalytique de Paris.
Dernière publication: Nouveaux développements en psychanalyse
Autour de la pensée de Michel de M’uzan Editions EDK, 2011
Article dans RFP,4

Gaetano Benedetti, psychiatre et psychanalyste est né à Catane le 26 juin 1920. Il quitte d’abord sa Sicile natale pour  la clinique du Burghölzli à Zurich, dont Eugen Bleuler, l’inventeur du terme de schizophrénie, fut le directeur, puis il prendra en 1956 un poste de professeur de psychothérapie et de Santé mentale à l’Université de Bâle jusqu’en 1985. Toujours d’une extrême exigence sur l’efficacité thérapeutique, résolument freudien, il va s’occuper de ce qu’on a reproché à Freud d’avoir trop négligé, la clinique des psychoses, et fonde l’Ecole de psychothérapie psychanalytique des psychoses à Milan. Marqué par Carl Gustav Jung et Marguerite Sèchehaye, il a formé trois générations d’élèves en Suisse et en Italie.  Il a reçu le prix Mychkine à Paris en 2012 pour l’ensemble de son œuvre.
Grand clinicien et théoricien des psychoses, nous le découvrons ici dans ses qualités de superviseur, avec au centre de sa réflexion, l’analyse de la résistance et du transfert psychotique, et toujours le point de mire des possibilités de guérison, au-delà de la compréhension du fonctionnement délirant. Les séances de supervision rapportées dans ce volume ont eu lieu dans le cadre de l’Institut Psychanalytique de Milan.
Il est mort le 2 décembre 2013 alors que Danièle et Patrick Faugeras mettaient la dernière main à l’édition de ces Séminaires dont ils ont assuré la traduction. La conclusion de la préface Patrick Faugeras souligne l’importance de ce travail de supervision qui sera de permettre au thérapeute ‘de se laisser aller à la créativité de son inconscient et de découvrir, au-delà de la clinique des psychoses, une liberté dans sa pratique’.
Comment trouver une place dans le monde clos de l’existence psychotique ?
Comment supporter le sadisme de transfert, le neutraliser sans l’inhiber ?
À quelles conditions le thérapeute peut-il accepter l’idéalisation ?
G.Benedetti invite le thérapeute à se laisser posséder, à entrer en résonnance avec le délire du patient qui est pour lui sa véritable réalité, et une voie de sortie de la fermeture autistique ; plutôt que de s’allier à la partie ‘saine’ du patient pour proposer à celle-ci l’interprétation de la partie ‘malade’, comme le suggère Rosenfeld, G.Benedetti légitime le délire, se saisit des images hallucinatoires, en joue, pour tenter une dualisation qui n’a jamais été possible avec les parents et ouvrir de nouveaux horizons vers une possible alternative à la fermeture autistique. Il s’agit de pouvoir se situer dans le lieu significatif du passé du patient pour le transformer, d’utiliser tous les moyens pour tenter sans relâche d’entrer en communication et rendre le délire superflu. Tâche ardue et déroutante pour le thérapeute ! C’est l’espoir que les aires duelles fragiles puissent être nourries par la dualité thérapeutique. On voit là tout le rôle et la fonction de la supervision pour supporter cette phase nécessaire de symbiose thérapeutique, garder un pied dans la réalité, et soutenir la motivation à traiter ces patients en difficulté.
En référence à M. Sèchehaye, G.Benedetti soutient que c’est le développement du transfert positif qui constitue la base fondamentale de la thérapie des psychoses. Il rappelle que Jung est celui qui lui a appris le plus à ne pas se laisser idéaliser par les patients. L’idéalisation doit être référée à un sujet tiers qu’il a appelé ‘ le sujet transitionnel’, notion essentielle dans sa théorisation, qui l’oppose aux positions de O. Kernberg et H. Kohut sur l’idéalisation et le narcissisme. Il précise : ‘Dans notre modèle théorique, la symbiose ne précède pas dans le temps la séparation : selon nous, Soi symbiotique et Soi séparé naissent et se développent en même temps….sont présents tout au long de la vie. Au cours de l’évolution de l’individu, leur degré d’intégration et de coopération varie. En accord avec de nombreux auteurs parmi lesquels Winnicott et Stern, nous faisons l’hypothèse que le Soi de l’enfant….se développe en – au moins – deux espaces distincts : un espace intrapsychique et un espace interpersonnel, dans la relation symbiotique entre l’enfant et la mère-milieu… À l’aube de la vie, l’auto-conscience serait donc discontinue, oscillant entre un être soi-même dans son Soi corporel et un être soi-même dans la relation spéculaire avec l’autre.’
Selon que ces fluctuations seront agréables et positives, ou anxiogènes et même catastrophiques, une intégration suffisante entre Soi symbiotique et Soi séparé sera ou non possible ; s’ils restent scindés, ils ne peuvent coexister et tendent à se détruire réciproquement. Cette scission est pour G.Benedetti la condition existentielle et psychodynamique de nombreux cas de psychoses.
Qu’est-ce que le sujet transitionnel ? C’est le pont jeté sur l’abîme de la scission vers le champ d’une symbolisation jusque-là impossible. Il est constitué des parties du patient et des parties du thérapeute, d’où naît une ‘dualisation’ qui représente un point de rassemblement en vue d’une possible séparation. La supervision va permettre au thérapeute de se ressaisir de ce qui de lui a migré chez le patient, et seulement alors de se livrer à l’interprétation de ce qui se joue dans son engagement avec les patients. La supervision est le lieu véritable de l’interprétation dont l’effet sur le patient est la possible transformation des résistances en défenses qui autorisent plus de porosité et de respiration ; lieu de recherche, de créativité et de  liberté pour le thérapeute, et de soutien de son désir de guérison constamment attaqué par la résistance du patient. Se laisser attaquer, se laisser posséder, c’est descendre dans le chaos du patient, à la rencontre de la panique dont il est la proie, l’accueillir, la vivre avec lui sur le mode symbiotique en tentant d’instituer une dualité pour le ramener dans la dimension de la communication et le sortir de sa solitude autistique. ‘ C’est un saut dans un bateau qui est en train de couler afin de pouvoir se sauver à deux’.
Pour G.Benedetti, le thérapeute ne se limite pas à être un écran de projection, mais entre dans la projection du patient pour y introduire une part de lui-même : « il se crée ce que j’appelle ‘le sujet transitionnel’ par le fantasme créé aussi bien par les projections du patient que celles du thérapeute ». Selon ce point de vue, la projection du patient n’est pas seulement une défense contre l’objet projeté sur le thérapeute, mais aussi une tentative de s’approcher de lui. Le patient espère que la projection du thérapeute pourra neutraliser sa propre projection négative. Ainsi le moment essentiel de la rencontre n’est pas la réduction interprétative du transfert, mais cette neutralisation par la création d’un sujet transitionnel bienveillant qui rassemble en lui l’énergie curative du thérapeute et celle, vitale, du patient.
On pourrait penser ici à la théorisation de la chimère de Michel de M’Uzan.
Comme l’étude de la névrose avait permis à Freud l’analyse du fonctionnement psychique ‘normal’, ce saut dans la psychose vient enrichir notre compréhension de la névrose car il nous permet de mieux observer de nombreux écueils de la relation thérapeutique qui peuvent être présents aussi chez des patients non psychotiques.
Je voudrais signaler la méthode originale de thérapie par le dessin spéculaire progressif thérapeutique élaborée en collaboration avec Maurizio Peciccia. Contrairement au squiggle de Winnicott, il ne s’agit pas de compléter l’esquisse du tracé de l’autre dans l’interaction avec le patient, mais de laisser le patient dessiner, commenter verbalement ses images ; le thérapeute duplique alors avec un calque le dessin du patient, et réalise la progression associative asymétrique au moyen de déplacements et condensations des images dupliquées, obtenant ainsi de nouvelles images et de nouvelles associations. Ce processus, très semblable à celui du rêve est très souvent inconscient, y compris pour le thérapeute comme la méthode winnicottienne du squiggle. Le cas Renata présenté par Maurizio Peciccia au chap. 10 de l’ouvrage nous présente cette technique, et les images ‘positivantes’ obtenues dans la thérapie.
Je ne peux rendre ici toute la finesse de l’attention à l’autre et à soi dans la recherche de la communication, ni la richesse des échanges cliniques entre les thérapeutes et G. Benedetti qui partage avec générosité sa grande culture et sa profonde expérience de la psychose à l’écoute des 9 cas cliniques rapportés par les thérapeutes.
La grande originalité de ce livre est de témoigner combien la supervision est non seulement le lieu de l’analyse des difficultés transférentielles, mais aussi le lieu de naissance de l’interprétation. Ces séminaires cliniques sur la schizophrénie sont une bouffée d’oxygène.

Marie-Françoise Laval-Hygonenq
juillet 2014

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