Gérard Haddad Dans la main droite de dieu

Psychanalyse du fanatisme Editions Premier parallèle 2015

Francoise Hermon
Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

 

Gérard Haddad nous offre avec ce livre court mais efficace, une sorte de manuel à l’usage de ceux qui veulent comprendre ce phénomène qui nous ravage, le fanatisme.
Ce mal n’est pas nouveau mais se transforme selon la géopolitique du moment, et il s’agit d’un livre dont la clarté nous fait du bien, nous guide à travers les méandres de la complexité du monde actuel qui est le nôtre, un monde où les lumières semblent perdre du terrain et laisser place à la terreur que sème l’obscurantisme.
Malgré l’importance grandissante du fait religieux Gérard Haddad pense que la religion n’est pas en soi source de fanatisme mais il affirme qu’elle le devient lorsque  la volonté farouche de certains veulent l’ériger en vérité universelle. Ainsi, comme en témoigne l’épisode biblique de la tour de Babel, le respect de ce qui est particulier serait garant de beaucoup plus d’humanité.
La vérité est une, nous dit l’auteur, mais elle est par essence inaccessible, et pour les humains que nous sommes, seule sa quête nous concerne, et les chemins qu’elle emprunte ne peuvent être que multiples. Le titre de son livre fait allusion à la citation qu’on peut lire en exergue:

« si Dieu tenait dans Sa main droite toutes les vérités et dans Sa main gauche l’effort infatigable vers la vérité et qu’il me disait: « choisis! » je m’inclinerais avec désespoir vers Sa main gauche en disant  « Père! donne! La pure vérité n’est que pour toi seul »

Gérard Haddad n’en admet pas moins que le religieux représente l’un des quatre domaines fondamentaux du fanatique, les trois autres étant le nationalisme, le racisme et l’idéologie totalitaire.
L’auteur distingue dans son écrit ce qui caractérise le phénomène dans ses composantes sociologiques et historiques, et ce qu’il en est de la pathologie de l’individu qui va s’en emparer.
Pour ce qui est du premier point de vue, c’est l’amour de l’universalisme qui fait de tendances tenues pour normales et respectables un danger redoutable. Défendre son territoire, la religion de ses pères et ce que l’on considère comme essentiel à sa nature biologique n’est devenu vraiment problématique que lorsque un germe de mondialisation est apparu.

« l’idée a balbutié de  la Mésopotamie aux cités Hellènes avant de s’affirmer dans le modèle d’Empire … Rome! Rome, l’unique objet de mon ressentiment! Dira Corneille-objet de ressentiment mais aussi possible objet d’amour, méritant qu’on lui sacrifie sa vie »

Les religions chrétienne puis musulmane ont fixé cette propension à l’universalisme, contrairement à la religion juive, religion de castes particulières, opposée à tout prosélytisme, et dont les fanatiques nous dit Gérard Haddad, cherchent plutôt à s’isoler, se replier et à rester entre eux.
Chez eux aussi les fanatiques existent mais ils ne font d’après l’auteur, que déguiser un sentiment nationaliste sous l’apparence d’une vertu religieuse. Ainsi pour caractériser ceux qui se prévalent du texte de la bible pour élargir les frontières d’Israël, Gérard Haddad ne fait preuve d’aucune indulgence.

« L’inanité de ces références, concernant en particulier la définition des frontières bibliques a été démontrée par ce grand croyant qu’était  Y. Leibowitz. Ces invocations ne parviennent pas à masquer la véritable forme de ce fanatisme, à savoir le nationalisme débridé, mâtiné parfois de la seconde, à savoir celle du racisme. La religion n’est ici que prétexte »

Cette réflexion s’applique aussi bien à toutes les religions comme en témoignent toutes les guerres qui se font en leur nom.
Le monothéisme, contrairement à ce qu’en pensait Freud, est un gage de progrès et Gérard Haddad  rappelle que selon le philosophe Koyré cité en l’occurrence par J. Lacan, il a permis la science moderne en supposant une cause invisible aux phénomènes de la nature. Seul le judaïsme serait selon lui dans le respect du caractère totalement invisible du principe qui organise l’ordre du monde dans la mesure où le Christ incarne Dieu et où Mahomet  aurait selon l’auteur,  tendance à prendre dans le Coran, plus d’importance que Dieu lui-même. Notons que dans son livre « La guerre des subjectivités en Islam » Fethi Ben Slama affirme le contraire et fait du caractère éminemment abstrait d’Allah l’objet d’une particularité du dogme coranique.
La partialité dont Gérard Haddad pourrait être accusé, il la pondère toujours lui-même en soulignant que toutes les religions sont à la merci des fanatiques qui les dévoient;

« En régime  de croisière tous les monothéismes conservent en eux des restes de paganisme…..Ils agissent comme des modérateurs contre le risque d’emballement et de fanatisation du système religieux… mais, en certaines périodes de crise ou de déclin des sociétés, surgissent des prédicateurs qui pointent un doigt accusateur à l’encontre de ces contradictions ….et exigent une purification…..Le fanatisme se présente souvent sous la bannière de la pureté du message originaire. »

Par ailleurs l’auteur nous dit sa répugnance pour les croyances millénaristes  messianiques, qu’elles soient d’ordre religieux ou politique, car l’advenue d’un ordre nouveau où règneront égalité, justice et beauté justifie des moyens sanguinaires qui ne feront que perdurer alors que les lendemains promis ne chanteront jamais.
La seconde partie du livre est consacrée à l’analyse de l’univers psychique du fanatique et Gérard Haddad y témoigne d’une pensée plus directement psychanalytique. Les masses ne sont pas seules à faire l’histoire, il faut aussi considérer quels sont les fondements subjectifs des individus qui les portent, les animent et s’en font les hérauts.
Le chapitre intitulé la quête du même dégage une caractéristique essentielle du fanatique, et c’est le stade du miroir conceptualisé par J. Lacan qui va en étayer l’analyse. « La passion du même », comme la nomme l’auteur, est un phénomène d’une banalité incontournable autant que consternante par ses effets délétères.
Freud avant Lacan a insisté sur la nécessité pour tout enfant de constituer son identité en relation avec un voisin proche et secourable qui lui ressemble, mais cette opération ne se fait pas sans mal et pour certains, elle donne lieu à de multiples pathologies  dont certaines sont sources de souffrances personnelles pas toujours perceptibles en tant que telles, mais parfois sources de pathologies plus proprement sociales. Le groupe, et plus particulièrement si son but affiché est d’apporter un changement radical, est une aubaine pour des individus qui n’ont pas réussi à se constituer un abri, une enveloppe suffisante pour aborder et affronter un monde extérieur représentant de ce qui leur est hostile. Se séparer d’un monde interne perçu comme chaotique  par un processus intra-psychique nommé clivage, projeter à l’extérieur ce dont on ne veut pas et puis s’agglomérer à ceux qui vous proposent un autre monde homogène pur et idéal représente pour celui qui se sent pauvre, informe, exclu et humilié une issue des plus désirables. Gérard Haddad avance que le fanatique est « normal », mais c’est d’une normalité au sens de la normo-pathie qu’il s’agit, d’une absence de symptômes constitués proche de la psychose; ces fanatiques correspondraient peut être à ceux qu’on a parfois nommés les psychopathes.
Cette pathologie narcissique est décrite de manière tout à fait réaliste et particulièrement pertinente pour rendre compte de ce que nous vivons précisément en ce moment:

« Nous observons la même dualité dans le fanatisme musulman actuel…volonté de détruire tous les états musulmans existants, d’en dissoudre les frontières. On ne peut imaginer destruction plus complète de l’image corporelle, à laquelle les frontières d’un pays font écho. Il faut donc,  simultanément, projeter la construction d’un nouveau corps unifié, plus majestueux que celui qui a été détruit……..Califat, Oumma, reconstruction d’une communauté qui aurait retrouvé son homogénéité et sa dignité, ces rêves utopiques ont pour fonction de renforcer l’image corporelle de tout individu chez qui cette image vacille. »

La rivalité fraternelle est une conséquence de cette fragilité narcissique à laquelle nous avons tous affaire, mais chez les fanatiques elle prend des formes meurtrières et la fraternité, concept clef en politique autant qu’en religion, devient source d’une haine maximale lorsque la place du père n’est pas suffisamment assurée pour instaurer la loi, ainsi Gérard Haddad remarque que dans l’ancien testament, c’est pour l’amour du Père que Joseph pardonne à ses frères qui avaient voulu le tuer. La problématique du manque est ravivée par la vue du frère qui a ce qu’on n’a pas, lorsque l’ancrage symbolique ne permet pas de supporter la frustration.

« Ne nous trompons pas: cette douleur du manque peut devenir si atroce que la mort, voire le suicide, en devient souhaitable. Elle est la cause de la haine absolue. »

Choisir l’objet que Dieu tiendrait dans sa main droite c’est pour le fanatique s’assurer  d’une jouissance illimitée en évitant le doute corrélatif à toute activité de pensée.
Gérard Haddad ne sous estime en rien les souffrances suscitées par le doute et il termine par un propos intime: Lacan ne s’est pas contenté de l’adopter mais l’a aussi sauvé du fanatisme stalinien. Ce propos singulier s’accorde avec la préférence de notre auteur qui ne cesse de regretter la fascination qu’exerce l’universel.
Ce livre sincère et clair laisse entrevoir l’ampleur de la tâche qui s’annonce pour celui qui veut s’attaquer à ce qu’on nomme la « déradicalisation, mais n’exclut pas que les psychanalystes puissent y contribuer.

Françoise Hermon -Vinerbet

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