Guy Le Gaufey |
L’OS DU SUJET Les loges du sujet «C’est à quel sujet?» La formule fait mouche et tout le livre est propulsé par cet élan. Un humour pince sans rire «en pincer pour ce sujet presque ringard» tout de suite et qui se prolonge dans les échos d’une sociabilité désuète, les loges de concierge ont fermé, la question ne sera plus posée, les transformations de la subjectivité sont du même coup confirmées. |
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Francis Cohen |
Ce ton alerte ne peut qu’alléger la densité du propos. La virtuosité de l’auteur nous fait plonger avec délectation dans les arcanes d’une navigation érudite pour laquelle l’index du livre tient lieu de boussole, indispensable instrument qui en livre le construction et en permet la déconstruction, c’est un mode d’emploi au service d’un dispositif homogène à la constitution- même du dit sujet. D’Aristote à Lacan avec des ponctuations inattendues comme celle de l’averroïsme latin, ce sujet ne cesse de se chercher, la démarche de Le Gaufey consiste à s’inscrire dans ses pas, l’insistance dans le texte des pas de Vendredi qui ne cessent de surgir sous les yeux de Robinson : «Il y a les traces d’un pas, il n’est pas seul.» * La méthode suppose des choix, un trajet singulier, indissociable du résultat produit dans cette recherche et qui en constitue réellement le mode de réponse. Démarche subjective qui mobilise sur le mode freudien une histoire, avec beaucoup de noms et de dates alors même qu’assujetti aux détours de la rhétorique du maître, le psychanalyste de l’école lacanienne, doit soutenir sa recherche par les deux bouts : «C’est entre les deux extrémités de la chaîne et nulle part ailleurs que le sujet peut surgir», va souligner Lacan.* Le frayage de la voie d’accès proposée ici entrecroise donc un repérage précis du cheminement de Lacan et des prélèvements dans un champ philosophique fécond où les apports d’Aristote, Descartes, Leibniz ou Foucault sont incontournables tandis que d’autres sont plus inattendus tels Averroès, Maine de Biran ou Colingwood mais engagent personnellement l’auteur. Le parcours comprend des étapes, il débute à « La fabrique du sujet » pour se terminer lors qu’il «se barre». Du jeu grammatical des voix procède l’émergence du nouveau sujet qui dès lors ne l’est déjà plus tellement, et bien que maintenant dépourvu d’identité et de réflexibilité continue cependant de coexister avec l’ancien, le sujet de l’intersubjectivité, menteur et rattaché au signe. «L’intersubjectivité n’est ce pas ce qu’il y a de plus étranger à la rencontre psychanalytique?» s’interroge Lacan. C’est déjà là un enjeu majeur de cet ouvrage que de dégager à la fois les moments surprenants de cette émergence et les hésitations de Lacan en même temps que la coexistence fatale des élaborations successives qui se superposent sans s’abolir. |
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Jacqueline Massola |
L’effet sujet L’apparente contingence des choix subjectifs de l’auteur participe au principe de sa recherche. Impossible d’aborder le sujet sans rappeler la puissance et l’acte chez Aristote ou bien sûr le cogito de Descartes mais modifié par Lacan, le sujet menteur. Mais l’approche est renouvelée paradoxalement par la saturation archéologique. Archéologie du sujet d’Alain de Libéra dont le tramage du sujet médiéval, l’averroïsme latin, parcourt tout le livre. Agamben, son archéologie du serment n’est pas mentionnée mais ses formulations : «L’homme est ce vivant qui pour parler doit dire je, doit donc prendre la parole» coïncident de près avec l’insertion théologique pratiquée par Guy Le Gaufey à propos de la présence réelle, aporie tranchée par : «Les paroles attachées à tout sacrement». Enfin Foucault et son archéologie du savoir mais au terme le projet est «de bannir le logos de l’arché». Par une série de retournements successifs d’abord l’énoncé n’est plus une structure mais une fonction qui appartient en propre au signe puis se dégage un sujet possible mais indéterminé dans son identité enfin avec la notion de signature proposée par Agamben le sujet porte l’énoncé à l’existence. Ultime avatar Foucault qui avec son Histoire de la sexualité introduit un retour à la réflexibilité mais introduit alors un sujet acéphale. Au cœur de cette question du sujet il y a un os qui est bien plus qu’une métaphore. Le Gaufey y revient par deux fois, d’abord dans le chapitre intitulé «Le signifiant comme tel» qui reprend un énoncé du séminaire, L’Identification du 6 décembre 1961. C’est une leçon tout à fait exceptionnelle où Lacan raconte sa rencontre au musée de Saint Germain avec un os de renne daté du magdaléen sur lequel a été pratiquée une série de coches : «une série de petits bâtons, deux d’abord puis un petit intervalle et puis ça recommence… Voilà me disais-je en m’adressant à moi-même par mon nom secret ou public, voilà pourquoi en somme Jacques Lacan, ta fille n’est pas muette. Voilà pourquoi ta fille est ta fille car si nous étions muets, ta fille ne serait pas ta fille.» Pour qu’il y ait sujet il faut du signifiant et la suite énigmatique mais repérable des entailles en délimite le lieu ; «La trace de quelque chose qui tient sans ambiguïté au signifiant… le signifiant comme tel, sert à connoter la différence à l’état pur»*. Le passage du signe au signifiant suppose ce que Lacan nomme les effaçons, les divers effaçons dont vient au jour le signifiant.* Les pas de Vendredi authentifient Robinson mais il y a distinction du pas de Robinson avec le pas de la négation. «La dimension du pas est essentielle parce qu’elle tient aux deux bouts de la chaîne, d’une part le signe et d’autre part le signifiant où peut apparaître le sujet».* Francis COHEN * L’Identification séminaire du 6 décembre 1961 |
L’Invité : mardi 13 octobre 2009
Guy Le Gaufey pour son livre "C'est à quel sujet?" Editions Epel Présentation Francis Cohen