L’Invité : mardi 14 novembre 2006

Guy LE GAUFEY pour son livre "Le pastout de Lacan" Editions Epel Présentation de Jacqueline Massola

 

 

 

 

 

 

J’ai eu un intérêt particulier à lire ce livre. Il m’a remis en mémoire un de vos textes que je suis allé rechercher dans les « Lettres de l’Ecole » 1979. Vous lui avez donné pour titre « Tantale logicien. » Il m’a semblé que vous aviez persévéré dans votre question. Et il m’intéressait de savoir comment vous avez mené ou orienté votre travail. Déjà en 1979, il s’agissait de la consistance logique, de la consistance des théories, de la consistance logique du savoir psychanalytique. Appui pris sur des références logiciennes (programme de Hilbert, Frege), vous considériez que cette logique était celle en jeu dans la psychanalyse (dans sa pratique et sa théorie) : De repérer une accointance entre ce que la logique moderne articule comme indécidable (qu’un système symbolique est toujours, en un point, défaillant) et ce à quoi le sujet a affaire : L’incomplétude. Que déjà vous disiez en ces termes : « Cet objet qui toujours se dérobe à la saisie, que peut-on en dire quant à son existence. »

Vous avez persévéré, disais-je, dans cet abord logique, purement logique. Ce dont témoigne le sous-titre de votre livre : « Consistance logique, conséquences cliniques. » C’est l’armature forte de votre livre ; ça vous amène (latéralement ?) à quelques considérations plutôt réjouissantes sur ces fameuses « vignettes cliniques dont raffole le monde psychanalytique ».

Ce jour vous abordez cet enjeu à partir de la logique revue par Lacan. Plus précisément par le carré logique aristotélicien revu par Lacan via Brunschwig. Comment tenir compte de votre travail de logicien dans le contexte lacanien ? Car Lacan a posé la question de la logique mais aussi de ses limites, de ses insuffisances quand il s’agit de psychanalyse. Autrement dit la question de la logique pas sans la topologie. J’insisterai – à vous suivre – sur un commentaire de ce carré logique. Ce commentaire vous l’enrobez dans une question de fond : Il s’agit pour vous de soutenir conjointement faille logique et faille sexuelle : le non rapport sexuel.

« Quelle est l’opération linguistique qui fait exister homme et femme ? » questionnez-vous pour avancer une « conception de la différence sexuelle qui ne rate pas le problème logique sur lequel elle repose ».
J’en reviens donc au carré logique. Je me permettrai de dire qu’il faut l’entendre comme étant l’arsenal logique de la connaissance pour maîtriser, c’est-à-dire pour parer au réel. C’est une mise en ordre qui fait monde. Un monde qui consiste en 2 universels = un universel dit positif (tous les x sont blancs) et un universel négatif (tous les x sont non-blancs) ; et ce qui s’en déduit d’existence, des deux cotés. Toute existence est déductible d’un universel de référence. D’un « tous x sont blancs peut se déduire qu’il existe des x blancs ».

La clinique s’articule autour de la question de l’existence, de son enjeu.
Qu’on l’aborde pour le biais du statut de l’existence de l’objet, toujours manquant, ou par celui de la théorie de l’existence à laquelle se réfère un sujet :

-  L’obsessionnel qui tente une inscription totale dans l’universel, qui théorise encore et encore l’existence comme étant pensable totalement dans la référence à ce qui vaut pour tous.

-  L’hystérique se fait objection à l’universel, son existence se propose comme pure objection à cet universel qui ne saurait rendre compte, aucunement, de son existence à elle.
Trois points forts sont audibles de votre chemin avec ce carré logique que, pour les besoins de la cause, je présenterai dans le contexte des formules de la sexuation.
La mise en évidence via Brunschwig d’une particulière maximale. Brièvement : Il est traditionnellement supposé que d’une universelle qui pose : « tous les x sont blancs » il s’ensuit qu’il existe « quelques x  » blancs. Ce « quelques » pouvant aller jusqu’à tous, jusqu’à la saturation de la question de l’existence. Vous préservez, via Brunschwig, cette fameuse particulière maximale : Il y a à considérer que ce « quelques x » ne va pas jusqu’au « tous ». C’est-à-dire qu’il y a là l’existence non référable à l’universel, non déductible de l’universel. Reste ouverte donc la question de l’existence singulière telle qu’elle n’est pas toute référable à l’universel. C’est celle qui concerne, fondamentalement, la psychanalyse.
2.) L’usage formel des quantificateurs http://www.oedipelesalon.com/ZZZ_clip_image002.gif et http://www.oedipelesalon.com/ZZZ_clip_image004.gif et de la négation permet à Lacan d’écrire la torsion propre du sujet dans un carré logique, d’y exhiber ce http://www.oedipelesalon.com/ZZZ_clip_image002.gifx Φx qui répond (sans en être le complémentaire) de l’existence de la particulière maximale. Qui y répond d’une existence non universalisable.
3.) S’impose, paradigmatiquement, le statut logique du sujet. Pour tenir cette existence « logiquement » il y faut le paradoxe, celui d’Epiménide le crétois : « Tous les crétois sont menteurs ». Statut majeur de l’énonciation qui soutient l’existence dans ce paradoxe.
« Lacan traque une existence sans essence », « l’existence d’un objet qui n’en est pas un, c’est-à-dire l’objet a ». Est-ce votre ancrage logique, puissant et exclusif, qui vous amène à insister, répétitivement : « L’objet est exclu de tout rapport à l’Un », « qu’il est insaisissable avec les pincettes de l’unité ? », « que son destin l’oblige à ne pas entrer en rapport avec l’Un » ?

Vous avez choisi d’exposer, brillamment, la logique en jeu dans la psychanalyse, de dire cet enjeu avec la seule logique. Mais justement, cet objet « a », est insaisissable avec les pincettes de l’unité (en tant qu’elle ferait bord donc), ou y a-t-il à reconnaître là la logique ET son point d’insuffisance en ce qui concerne le sujet de la psychanalyse ?

Que l’objet « a » puisse être dit n’avoir pas de rapport avec l’un c’est-à-dire pas de rapport avec la logique du nombre est vrai jusqu’ à ce point de renversement majeur ou il a affaire à la topologie des nombres réels. (Ce que vous réfutez, me semble-t-il, en une rapide note de bas de page.)
Et de là ma question : vous résumez : « Lacan dit qu’en niant l’homme ┐  on passe côté femme mais qu’en niant la femme rien ne garantit qu’on repasse côté homme ».
Ou : « Il fait équivaloir ┐ à  , mais niant ( ┐┐) il ne revient pas à « . Donc : à partir du coté homme, vers ce qui se passe d’existant du coté « non homme » dit « femme, que se passe-t-il quand la négation se redouble : « non non homme ». Est ce que ça revient à « homme » ?
A ce retour côté « homme », il y a deux abords dont je serais curieuse de savoir vers lequel vous penchez :
– L’abord de Tiresias qui va faire son marché, involontairement, coté femme et qui est réputé en être revenu avec un savoir en plus quant à la jouissance.
– N’y a-t-il pas un abord autre, qui révélerait une structure, qui assurerait un extension structurale ineffaçable ?

N’y a-t-il pas là une lecture possible, dans ce cheminement spécifiquement de l’après-coup constituant du sujet ? Le pas-tout n’est pas localisable. Il n’existe que de l’inscription après coup.
Soit : de partir du Un, de ce Un premier, dit « homme », que ce Un se trouve revisité, du fait de ce mouvement vers l’Autre et retour, et qu’il se sache (seul juste savoir du sujet) produit par le manque. Un tour est fait tel que dans l’après- coup, le Un de départ, le signifiant maître peut être dit produit par le manque.

A été ramené de ce voyage la trace d’un redoublement de la négation, ce qui n’est pas rien. Cette coupure interne assure le sujet : Elle l’assure de la permanence du manque structural. N’est-ce pas là l’opération essentielle, celle du non rapport sexuel. C’est juste un ratage, c’est un ratage juste.
Il m’est dès lors apparu étrange que vous entendiez dans le noeud borroméen l’échec de Lacan à donner un objet qui soutiendrait l’existence du non rapport sexuel. N’est-ce pas là, au contraire, l’écriture même de la coupure interne, l’écriture de ce qu’on appelle ratage.
N’est-ce pas au contraire par la topologie, celle du nœud borroméen, qu’il y aurait l’abord le plus juste possible, rétif à toute maestria maîtrisant ?

Mais il m’a semblé pouvoir lire dans votre présentation « en scorie » du nœud borroméen un message subliminaire : que la topologie serait superfétatoire quant à la question de la psychanalyse. Cette scorie, en quelque sorte ferait preuve que la logique y suffit.

Vous questionnez disons… sévèrement les vignettes cliniques appelées souvent à donner quelque illustration à des concepts confus. Plus précisément « la vignette illustre par un exemple démonstratif quelque énoncé trop aride et donc qualifié de théorique ». Sont visées là les vignettes qui réduisent le cas à ce en quoi il est entièrement déductible du concept référentiel. S’en efface dès lors tout ce qui fait problème, question : La singularité, c’est-à-dire l’existence même en tant qu’elle n’est pas toute déductible de l’universel.

Peut-être un point encore sur les vignettes cliniques et leur rapport avec ce que j’appellerai la politique des institutions psychanalytiques : la vignette clinique qui pose, à partir du surplomb du concept, les cas qui font illustration, n’est-elle pas pervertissante ? Elle entraîne à réduire tout cas à sa congruence avec le concept, qui se constitue en dogme. Ce sont là procédures qui ne peuvent que servir le pouvoir. Ca s’adresserait à des débutants (pour bien leur illustrer l’affaire ?), à de non-initiés (non-initiés à la psychanalyse ? non-initiés à l’inconscient ?) pour leur faire entendre quoi ?

  
 

Jacqueline Massola

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

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