Gérard Pommier Féminin, révolution sans fin

Fayard/ Pauvert, 2016

Hélène Godefroy, Psychanalyste, Paris
Membre de Espace analytique et de la FEP.
Enseignante, Université Paris 7
Thèse de psychopathologie et psychanalyse « La subversion du désir féminin » (publication en cours)
Dernières publications : « Qu’est-ce que le masochisme pour la psychanalyse? », Clinique lacanienne n° 27 (à paraître 2016), « Comment un sujet s’invite-t-il en analyse? », in Clinique lacanienne, n° 25, 2015,
« Les femmes transgenres. Une clinique à la marge », Coll. Actualités de la psychanalyse – Eres, 2014

Bien que le féminin n’ait jamais été un concept psychanalytique, l’auteur, lui-même un homme, s’est lancé le défi d’écrire le premier ouvrage psychanalytique sur la femme. Celle précisément, qui depuis sa libération sexuelle, ne cesse de subvertir les préjugés masculins. De fait, cet essai aurait pu tout aussi bien avoir pour titre « la révolution du plaisir féminin ».

La question du féminin est un fil rouge que Gérard Pommier déroule depuis 1985, avec la publication de L’exception féminine, suivie de L’ordre des sexes. Un thème repris dans l’ouvrage particulièrement singulier, Que veut dire faire l’amour ? Celui-ci posant, en premier volet, les paramètres de ce qui est, aujourd’hui, largement développé dans ce second volet de 2016 plus révolutionnaire encore. Le texte, particulièrement riche en réflexion, en analyse et en démonstration, est en effet traversé de bout en bout par ce féminin nouveau, enfin sorti de sa répression et de son mutisme. Un féminin devenu visible et parlant, aussi désirant que dérangeant, si ce n’est un tantinet angoissant pour le monde phallique.

La pensée de l’auteur est d’autant plus singulière qu’il ne se positionne pas comme un commentateur de Freud et de Lacan. Il poursuit bien plutôt leurs travaux en déroulant toujours plus loin les fondements de la psychanalyse, voire les bases mêmes de la Métapsychologie, jusqu’à déplier certains recoins de l’économie psychique encore peu explorés et théorisés.

C’est avec une grande liberté qu’il se permet ainsi de bousculer les dogmes, tels que la théorie de la sexuation, ici éclairée par la bisexualité psychique. Proposant des pistes particulièrement innovantes, démontrant par exemple que la sexualité n’est pas hétéronormée, mais est d’abord psychiquement déterminée par un choix subjectif qui s’est refoulé. Ce qui, de ce point de vue, met à découvert d’autres conceptions inédites, telles que celle du Phallocentrisme. En tant que celui-ci ne peut être une disposition propre aux hommes, puisqu’il concerne structuralement tout autant les femmes.
Ce raisonnement subversif mais avisé, dans lequel on détecte une clinique omniprésente à chaque énoncé, pris dans ce nouveau sillon, ne peut que réinterroger les aphorismes traditionnels et ronronnants, mettant inévitablement en exergue tout un enchaînement de théories inédites et précieuses. Nous découvrons, notamment, que le féminin est ce qui fait flamber la pulsion d’emprise, réservant ainsi à la jalousie d’être, tout compte fait, le moteur du psychisme ! « C’est elle qui fait fonctionner le conflit ». D’où découle ensuite l’hypothèse que la jouissance Autre aurait à voir avec une demande d’amour jamais possible à combler, et non avec un éprouvé particulier du côté de l’orgasme.

L’auteur a, de toute évidence, à cœur de proposer de nouvelles perspectives de réflexion, mais pas seulement. Il réaffirme également l’action psychique de certains invariants, en tant que passages obligés lors du développement sexuel infantile. Des faits de structure que la modernité, et ses nouvelles formes de symptômes, tendent à éclipser. Ainsi, à chaque démonstration théorique, est réhabilité l’incontournable dispositif œdipien, et avec lui la notion de « père » dont la fonction psychique reste infaillible. Par exemple, il est décrit que le féminin apparaît à l’enfant sous les coups du Père, en écho à la Scène primitive, lorsque la mère devient Femme sous les coups de l’homme. Ou encore, nous pouvons déceler que la transgression de la fille, à l’endroit de son père, la fait inévitablement progresser et devenir femme ! Et bien sûr, il est rappelé que la Loi (de l’interdit de l’inceste) résulte du parricide, et non d’un ordre qui viendrait du père lui-même (le papa). Mais aussi, dans ce droit fil de l’investiture paternelle et de son impact politique, comment ne pas avoir pensé plus tôt qu’être de Gauche, c’est être le fils rebelle qui en appelle au fantasme parricide ! Alors qu’être de Droite, c’est convoiter le pouvoir en s’identifiant au Père ! 

En définitive, quel impact le féminin peut-il avoir à l’endroit du sujet, mais aussi au cœur même de la société ? Sur ce point, Gérard Pommier apporte un éclairage capital, démontrant que la pierre angulaire du patriarcat a précisément été le rejet du féminin. Celui-ci a suscité, chez les hommes, la répression de leur propre désir pour le féminin, sauf que c’est le désir des femmes qui en a payé les frais pendant des millénaires ! Un constat culturel qui, dès lors, amène l’auteur à déduire que ce n’est pas la répression culturelle qui engendre la Névrose. Mais la névrose qui engendre une société répressive ! Or, l’intérêt de ce livre fondamental est de montrer que, en ce lieu de la division des sexes, le déverrouillage de la répression a engendré un basculement du fantasme, puisque le désir a récupéré son bon droit, replaçant désormais l’homme et la femme sur le même pied d’égalité structural. D’ailleurs, par voie de conséquence, les symptômes névrotiques viennent témoigner de cet état de fait, par des changements d’apparence aux formes les plus insolites.

Et pour autant, l’angoisse face au dévoilement du féminin continue à mettre en porte-à-faux la différence des sexes, ne cessant aujourd’hui plus que jamais de convoquer l’actualité. C’est pourquoi on ne peut faire, en aucun cas l’économie d’un tel ouvrage aussi éclairant que passionnant. À la faveur du Féminin et de sa révolution sans fin, Gérard Pommier ouvre un débat, non seulement psychanalytique, mais aussi bien au-delà, pouvant être une référence assurée dans certains milieux intellectuels et politiques. Sachant que la lecture de ce livre est, tout au long, soutenue par sa pensée originale et brillante, nourrie de cette acuité et de ce génie, que nous lui connaissons, à saisir l’insu.

Hélène Godefroy

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