L’Invité : mardi 9 décembre 2008

Giovanni SIAS "Fuga a cinque voce" L'anima della psicoanalisi e la formazione degli psicoanalisti - Antigone Editions Présentation Jacqueline Massola et Annik Bianchini

 

Présentation Jacqueline Massola
Il s’agit du livre d’un psychanalyste. D’un psychanalyste italien, Giovanni Sias. Et, pour le moment, lisible seulement dans sa version d’origine, l’italien.
Giovanni Sias, s’étonnant de l’incongruité des modalités de formation adoptées par les écoles de psychanalyse, rafraîchit une question qui, en principe est fondamentale. Celle du rapport du sujet au savoir.
D’emblée, donc, s’impose le contexte de la cure, qui révèle la nature de ce rapport et en modifie radicalement les coordonnées : le savoir demandé à l’Autre, attendu de l’Autre n’est que mise à l’écart (refoulement) d’un savoir déjà là, magistralement organisé, inconscient.
Pour un psychanalyste, il s’agit en principe d’entendre un sujet, d’entendre la question active, ouverte, singulière, qui l’anime.

 

 

 

 

Giovanni Sias interroge : comment entendre qu’au cours d’un tel travail de la cure, ce qui se propose comme école de psychanalyse soit d’une telle déplorable orthodoxie, pure reconduction, à l’identique, d’une théorie ?
C’est là que Giovanni Sias prend le risque repéré, assumé, de proposer sa version singulière de la formation du psychanalyste, celle qu’il estime être la suite logique du travail de la cure : une école de lecture. Il pose une équivalence : apprendre à entendre, apprendre à lire.
Il invite à une lecture sans préjugé, hors maîtrise. Une lecture qui reste dans le souci , non pas de comprendre mais au contraire de repérer ce qui, encore et toujours, reste incompris, ce qui reste question ouverte.
Méthode talmudique dit-il. Tout ceci implique une théorie de la lettre. Celle de Giovanni Sias peut, certes, laisser dans une certaine perplexité.
Sa référence s’affiche kabbalistique, référence explicite du principe de la création divine. S’affirme que le monde, l’existence des objets du monde relève de la matérialité de la lettre, entendue comme combinaison infinie des lettres de l’alphabet.
Une telle théorie combinatoire de la lettre implique (ou présuppose) un positionnement quant au statut du sujet : qu’il se réduise à se penser comme objet du monde.
Giovanni Sias soutient : « le moi se regarde, et seulement se regardant, trouve le monde, et lui-même comme objet du monde ».
Mais cette minimisation-là (se repérer, se penser comme objet du monde) n’est-elle pas ce dont se soutient le psychotique ? N’est-ce pas-là ce à quoi prétend la science ?
On peut objecter à Giovanni Sias que le statut même du sujet reste-là en souffrance. Et que Walter Benjamin (une de ses références) y objecterait que « l’homme est le seul être auquel Dieu ne donne pas de nom » (« sur le langage en général et sur le langage humain »).
La théorie de Giovanni Sias se soutient d’un double déplacement.
Ce n’est pas, écrit-il, en la parole qu’existe un pouvoir de création mais en la lettre. La question est cruciale en effet. Mais la théorie de la lettre que Giovanni Sias déploie rend-elle compte de la faculté de création dont s’anime le sujet ?
Le deuxième déplacement, sûrement premier, est de fait réfutation passionnée de la fonction fondamentale, génératrice, du manque dans la théorie lacanienne (il est pourtant, ce manque, permanence de la position freudienne).
Est-ce de cette double réfutation que lui vient : « la psychanalyse ne peut se penser hors de la Méditerranée, dans une fracture décisive avec la philosophie franco – germanique » ?
Cette radicale assertion vient faire résonner cette autre : « Jacques Lacan oscille entre Kant et Hegel » …
Le présent paradoxe montre que Giovanni Sias a le souci de la dimension éthique constituante de la psychanalyse, dimension qui tient à ce « que la narration, dans une psychanalyse, impose au psychanalysant d’assumer la responsabilité de son dire ».
On serait tenté d’entendre-là l’inscription du douloureux statut de la finitude chez un sujet.
Mais Giovanni Sias vise, par l’expérience psychanalytique, un dépassement qu’il introduit comme « moment extatique, qui libère une connaissance autrement impossible » … « qui lie la psychanalyse à la sagesse antique grecque et hébraïque ».
Là se redit le suspend de la question du sujet, d’affirmer que « dans cet état hallucinatoire de la connaissance, sujet et sujet coïncident ».
Qu’est-ce qui est  exclu ? Qu’il y ait lien avec la chrétienté ? Mais n’est ce pas plutôt la question de l’incarnation qui est mise à l’écart ?
Relief est là donné à ce qui se propose comme « nouvelle alliance ».
Ce qu’il en serait d’une alliance avec la médecine est vigoureusement critiqué. Mais quel psychanalyste songerait à une telle alliance ?
Et si une « nouvelle alliance » avec la philosophie se présente pour Giovanni Sias comme une évidence, il faut prendre pour ancrage la première phase de l’abrégé de psychanalyse (S. Freud 1938) : « La psychanalyse suppose un postulat fondamental qu’il appartient à la philosophie de discuter mais dont les résultats justifient la valeur ».
Alliance ? Il resterait à voir ce qui se joue entre la psychanalyse et les champs qui lui sont connexes. Car y a t-il alliance, continuité entre les concepts philosophiques et ceux de la psychanalyse ?
Car ici on n’entend jamais, dans la position de Freud, que la reconduction des points de certitude de la psychanalyse, qui ne s’assure que de son mouvement propre.
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 Cette référence à la lettre s’efforce d’épuiser sa fonction dans une combinaison à l’infini. Elle impose à la fois un infini comme limite, impossible à atteindre (l’ombilic du rêve) et l’infini « qui bouleverse le lecteur dans l’horreur de cette ouverture » Cette dimension du sacré vient à prendre place comme au-delà de ce qui peut se comprendre, se maîtriser.

 

Présentation Annik Bianchini
Un axe fort de cet ouvrage se trouve dans les positions prises par Giovanni Sias autour de la loi sur les psychothérapies.
Historien de formation, Giovanni Sias exerce en Italie, à Milan et à Florence. Pour lui, il devient urgent et important, après sa prise de position sur la loi italienne sur les psychothérapies, approuvée il y a environ quinze ans en Italie, de repenser la formation en psychanalyse. Notamment en France, où la profession de psychothérapeute est en passe d’être réglementée, avec une réglementation très dure pour les psychanalystes. “Nous désirons moins que tout au monde que la psychanalyse soit engloutie par la médecine et finisse par trouver une place dans les traités de psychiatrie au chapitre thérapeutique”, indique-t-il. En Italie, les candidats à la pratique doivent passer par un programme d’état. Les grands centres lacaniens ont choisi la constitution d’écoles de psychothérapies reconnues par l’état italien. “Un analyste peut-il se former dans une école, quand bien même il y étudierait Freud et Lacan”, s’interroge l’auteur ? Maintenant, en Italie, seuls existent les médecins psychothérapeutes et les psychologues psychothérapeutes. La psychanalyse n’étant jamais nommée, elle n’existe donc pas. Le psychanalyste non plus, au niveau social juridique, fiscal et civil.
Il s’agit ici, pour Giovanni Sias, de reconnaître la spécificité de la psychanalyse -qui résulte de la reconnaissance de l’inconscient-, par rapport à la médecine, aux neurosciences et aux psychothérapies. Une démarche qui s’inscrit dans l’actualité des préoccupations de la psychanalyse.
Un autre fil rouge de cet ouvrage, en lien avec le précédent, se situe dans la formation du psychanalyste. Ce dont parle Giovanni Sias n’est pas de la transmission de la psychanalyse à travers un enseignement validé par des structures institutionnelles et universitaires, hauts lieux du savoir. Il s’agit-là de l’apprentissage d’une théorie et d’un langage. La dimension de l’analyse ne pouvant se réduire à un cours classique de matières à apprendre, Giovanni Sias parle de la psychanalyse en tant que pratique. Ce dont il nous fait part, c’est de son expérience à lui, singulière.
Mais alors, quelle école pour un psychanalyste ? Selon l’auteur, elle est très sélective et s’adresse à ceux qui sont capables de trouver dans la psychanalyse (et pendant leur analyse), la façon dont va s’organiser leur propre parole et leur propre existence. Sans rester prisonniers des idéologies, des croyances, des mythologies, qui se sont imposées comme savoir. Pour Giovanni Sias, se former à la psychanalyse implique que l’analysant ait déjà développé quelques qualités indispensables, définies à travers quatre thèmes essentiels.

  1. La reconnaissance du divan comme fondement de l’expérience analytique.
  2. La capacité de l’analysant à reconnaître les tours et les manigances de son propre désir. Non qu’il puisse les éviter, car l’être humain n’est ni ange ni bête, simplement, le reconnaître, permet de ne pas se détourner de son chemin; de ne pas opposer des résistances et utiliser ses symptômes comme armes de défense.
  3. Une autre condition indispensable est la reconnaissance et l’absence d’aucune fin, d’aucune finalité, mais surtout d’idée de fin d’analyse. Ce qui serait une représentation de la mort. Le psychanalyste est celui qui est toujours en action, qui ne s’arrête jamais, car il sait que marcher est la condition de son existence. Jusqu’à ce que la mort ne l’arrête.
  4. Le dernier thème concerne le style. Arrivé à un certain stade de son analyse, l’analysant doit être capable de distinguer son travail personnel de celui des autres. Son but n’est pas de s’appuyer sur les positions de ses maîtres ou de son analyste. Mais d’utiliser son propre langage, et non celui qu’on lui a appris. D’être capable d’interroger un livre, sans avoir recours à des définitions toutes faites. Pour cela, il est nécessaire que l’analysant ait lu les textes classiques de la littérature et de la philosophie, qu’il les ait médités. Il ne parlera alors pas de ce qu’il sait d’un ouvrage, mais il s’interrogera plutôt sur ce qu’il n’a pas compris. Ainsi, ce qui se transmet, c’est-à-dire le style et non une somme de connaissances acquises, ne peut avoir lieu qu’entre l’analyste et l’analysant.

La pratique de la psychanalyse est avant tout, pour Giovanni Sias, celle de l’analysant, qui articule sa propre demande et l’engouffre dans la brèche ouverte par cette même demande, et qui plus jamais ne se refermera.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

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