Henriette Michaud « Les revenants de la mémoire »

Freud et Shakespeare Presses Universitaires de France 2012

Claude Maillard, écrivain, médecin, Docteur ès Lettres et Sciences Humaines, psychanalyste. Membre, de l’Association des Amis d’André Gide, de la Société de Bibliologie et de Schématisation. Membre fondateur du groupe LAIRE, première revue sur disquette de littérature informatique….Elle est l’auteur de très nombreuses publications, dont des romans, des œuvres photographiques, des œuvres sonores, des poèmes électroniques sur ordinateur….Après, « Sat.L.Robot », « Machines vertige », « Les masques d’écrits », « Le Scribe », « Agataké, fille et sœur du scribe », « Les Pommiers de Sodome », « La Canopée malaise », « Massada », « 82 dressages », elle aborde avec force la question de la domination de la technologie sur la vie de l’homme « La Grande Révolte, le tragique de la technique » éditions Frénésie 2010. Ses plus récents ouvrages sont présents dans de prestigieuses bibliothèques et fondations internationales.

Claude Maillard a lu « Les revenants de la mémoire »

(De part et d’autre)

Vous vous promeniez dans Hyde Park. Vous étiez seule. Vos pas vous conduisaient à la Freud Museum London, où vous alliez rencontrer Michael Molnar – il était encore Directeur du Musée – et déposer un livre : Agataké, fille et sœur du Scribe. Ce jour-là, vous n’aviez pas encore commencé à écrire votre livre. Mais déjà, vous le portiez ce livre au titre quelque peu inquiétant et paradoxalement savoureux : Les revenants de la mémoire.

Vous alliez suivre Freud pas à pas dans son œuvre et ses voyages. Avec une précision historienne et savante, mais aussi avec une certaine jubilation et fraîcheur, ce que permet le conté d’une fable.

Vous alliez nous emmener par la main d’écriture de Vienne à Londres, à New-York, à Rome, à Athènes, ou plus autrement d’Hamlet à Michel-Ange, des Moires à Moïse, de la Gradiva à Lady Macbeth…

Quel échiquer est le vôtre, avec ces personnages que sont celles et ceux de l’œuvre de Shakespeare. Nous sommes tout à la fois fabulés et intrigués. Quel est notre voyage de lecteur lectant psychanalyste. Que va-t-il être.

S’arrêter à ce mot écriture, à ce : qui écrit et d’où ça écrit, et de là à souligner un autre mot ; ce mot : poétique (à vous le décerner ?).  Mot si délicat, si a-vide de folie babelle, si éphémère, si impossible de cet impossible si réel de ce que donne à entendre les toujours possibles ( ?) recommencements dans cet à lire comme à écrire passant d’une langue d’histoire à une langue de parole. Poème… “Il y a poésie, écrivait Lacan, chaque fois qu’un écrit nous introduit à un monde autre que le nôtre, et, nous donnant la présence d’un être, d’un certain rapport fondamental, le fait devenir aussi bien le nôtre. La poésie fait que nous ne pouvons pas douter de l’expérience de saint Jean de la Croix, ni de celle de Proust ou de Gérard de Nerval. La poésie est création d’un sujet assumant un nouvel ordre de relation symbolique au monde.”

Je reprends avec vous et vous lis à haute voix dans ce passage (dans ce partage) : “Freud, écrivez-vous, ressentait, évidemment, le puissant effet de théâtre de chaque tragédie, écrite dans une langue qu’il aimait et comprenait. D’autre part, il pressentait et ressentait l’affinité de structure entre la langue de la scène de théâtre et celle de l’Autre scène, celle des rêves et des processus inconscients ; un même rapport au mensonge “vrai” et à une vérité qui échappe toujours, mais parvient à se mi-dire”. Et voilà qu’à quelques lignes près, vous reprenez ce point qui interroge : “Qui est Shakespeare pour Freud ( ?)”, ce qui pour moi, de proche et  de lointain, touche entre autre, précisément à la question de l’athéisme de la psychanalyse, tel que ce mot s’inscrit en 4ème de couverture du Scribe  : athéisme, cette plusieurs langues touchant au mal d’ancêtres. Alors, Shakespeare, un des Ancêtres…

Enigme du sujet, sujet de l’énigme, ce retournement ouvrant paysage de la lettre et de son littoral, et retournant à la ligne d’écriture de Freud sur cette grande feuille de papier, où il avait réécrit les notes griffonnées à la Galerie lors de son premier séjour à Londres. “Remarques sur des visages et des hommes”. Comme l’exclamiez : quel beau titre”. Aussi, ai-je souligné ce mot : re-marques. Qu’est-ce qu’une marque ? “Autrement dit, comme l’écrivait Lacan, une mère, une matrice qu’anticipe le sujet de la parole. C’est cette marque déjà ouverte à la lecture qui est imprimée sur quelque chose qui peut être un sujet qui va parler”.

Neuf chapitres s’ouvrent à nos yeux, de ce livre que je vais lire comme …j’allais dire un polar, je dirai plutôt une fiction. D’une écriture rapide, raffinée et amoureuse, la mémoire devient paysage.
Prenant racines en Moravie, bien sûr, comme il se devait pour qui allait engendrer la psychanalyse.
Et alors… alors, l’Angleterre. Ce paysage-théâtre, vous le dessinez avec précision, délicatesse aussi et tous les personnages de cette “famille de Manchester”, famille de Freud, se déplacent sous nos yeux ; une certaine joyeuseté nous amène même en courts instants éblouissants à en faire partie, tout au moins à en entendre de ces strates freudiennes socles d’une “histoire” qui allait tant nous concerner, chacun de nous, psychanalystes de la psychanalyse. Et nous voilà, avec cette pluralité de langues, anglais, hébreu, latin et grec, français, autrichien, yiddish… si nécessaire dans nos trouvailles énigmatiques et les blancs-seings des déplacements de strates. Cette “plusieurs langue” telle qu’elle s’est inscrite en 4ème de couverture du Scribe se rappelle à ma mémoire quand je lis la citation que vous faites (citation Shakespeare Hamlet) dans le sous-chapitre intitulé les lettres de jeunesse : “… Nous ne possédons pas d’idée vraie de Dieu, nous ne pouvons le penser que par analogie car cette idée vraie échappe aux déterminations humaines… ”. Les investigations de Freud sur l’athéisme de la psychanalyse sont déjà là et ce qui donnera Moïse et le monothéisme s’ourle en murmure et prémices de cette très longue et continue histoire freudienne.

N’anticipons pas la lecture. Mais nous n’avons pas à craindre de le faire. Car votre livre est vraiment cousu mains. Et nous y avançons grâce à la dextérité de la lecture de vous en tant que premier lectant de l’histoire que vous vous contez, que vous nous contez.

Qu’il y ait dans cette pluri langue une place forte donnée à la langue anglaise et plus précisément à la langue de Shakespeare, vous nous le faîtes entendre. Et qu’elle soit – cette dominante – présente dans le discours freudien – discours de la psychanalyse – ne manque pas d’inventivité, même si on le sait ou si on croit le savoir, le fait que vous le soulignez jusqu’à en faire livre montre combien l’écriture en ses formes, en ses mouvements, en ses naissances est à interroger pour le psychanalyste car si William Shakespeare est anglais, il est surtout un écrivain et plus encore un poète, et plus encore une énigme à identification si variable qu’impossible et si impossible que réelle.

Ces quelques variations épistolaires nous amènent à nous ouvrir à d’autres de vos chapitres. De surprise en surprise, à vous en remercier.

Au fait, votre livre serait-il un rêve. Analysante de Freud, et sœur d’Hamlet, vous vous y interrogez. A quel temps, “je” ce lieu d’itinérance est le vôtre.

Les citations précises et nécessaires, en deux voies parallèles – celle du poète William Shakespeare et celle de Freud en ses lectures shakespeariennes, vous permettent par ce laisser d’intervalle, cet écart d’inscrire vos remarques et trouvailles de psychanalyste. Les lectures que vous continuez de faire et de nous faire entendre de Freud lecteur de Shakespeare – Shakespeare l’analysant – nous conduisent subrepticement et subtilement dans le labyrinthe de votre création. Labyrinthe somptueusement éclairé et ombré tout à la fois, dans lequel se croisent, s’entrecroisent, se tuent et ressuscitent les personnages croisés de l’histoire que vous contez. Et alors, le fil d’Ariane n’est-il pas, ne serait-il pas, le fil de l’écriture.
Et dans ce labyrinthe, qu’entendre et que lire au miroir de ghosts en père et fils. Folie, amour, poèmes s’en viennent à apparaître, reparaître et disparaître dans le labyrinthe d’une étendue freudienne, celle qui n’en finit pas. Créer est au centre de la plus inénarrable aventure. Dionysos n’est pas absent de cette danse du Verbe assujetti au voyage. Car vous nous l’inventez, ce voyage de lecture. Forme informelle d’invitation au voyage nous prenant en surprise par l’art que vous avez et dont vous nous offrez le partage, cet art de la fable. Avec beaucoup de finesse et pas sans amusement, vous nous apprenez que si vous êtes freudienne vous êtes aussi lacanienne.

Et nous, lecteurs, que lisons-nous. En quelle langue se résonne ce travail pluriel de langue de tisserand qui ose nous aventurer. Une des réponses – parmi d’autres, bien sûr – ne tarde pas à se faire entendre. C’est un titre d’un des chapitres de votre livre : la langue joueuse (entendrai-je jouisseuse) et sa relation à l’inconscient, ajouterai-je. Ce tressage de 3 langues (français, anglais, allemand et quelques autres) procure à qui vous lit ces rebonds faisant ouïr l’illisible ou plutôt l’imparlable de la lettre. Avancée de lecture non pas flottante – et encore – mais d’entre l’ombre et la lumière, d’entre la réalité et les fantasmes, celle donc d’un impossible saisissement qui en fait la grâce et l’audace.

La mémoire ne s’y perd dans ces tours, ces détours, ces retours. Ça prend, ainsi, d’innombrables figures dans lesquelles les ghosts voyagent en se métaphorisant, s’étrangetant, plus réels que nature dans cette “hanthologie” freudienne. Belle question que celle du : qui peut venir nous hanter et quelles revenances nous aident-elles à entendre de l’inconscient théâtre côté réel et côté imaginaire.

Au fait, qui est sur le divan de qui. Freud, l’analysant de Shakespeare, Freud le psychanalyste analysant Shakespeare… Et vous, à quelle place, êtes-vous, et mettez-vous, au un par un, vos lecteurs. Au divan de l’hospitalité – mot revenant que vous accueillez et conjuguez – la bienvenue des revenants de la mémoire.

Bienvenue, donc, à la poursuite de la lecture. Justement là, où le mot “tournant“ se joue en tête d’un de vos chapitres – le 6ème , je crois – nous conviant à d’autres ouïsages. Tournant de langue – langue vivante voire sorcière, et qui plus est en continuels mouvements d’aventures – où langue, langage et parole sont intimement et indissolublement liés. Savez-vous que par ce mot “tournant“ vous me fîtes faire une re-lecture de l’article de Gérard Guest “Le tournant – Dans l’histoire de l’Etre” paru dans le numéro 95 de L’Infini (Tournant… serait-ce pour moi, comme pour d’autres, un “réveil de mots“). Je cite : “A même les moindres mouvements de “la langue”, aux moindres inflexions de la manière même dont (en tout temps et en “toute langue”) “la langue parle”, et dont nous l’“écoutons” (ou ne l’écoutons pas) – , vibrent aussi les “inflexions” et “mutations” les plus sensibles (voire : les plus insensibles) de “notre rapport à l’Etre” et “à la vérité de l’Etre”.

Lecture palimpseste, cadavre exquis – avec Shakespeare, on ne pouvait pas faire mieux – ainsi se trouve à être votre travail d’écriture qui ne cesse de nous donner à lire.

Et ce “soin” que vous apportez à ces mouvements de langue est bien là comme une nécessité risquée pour aborder ce chapitre : Lady Macbeth, le tournant, et le traverser. Pages en péril de meurtres – mais de quel meurtre, le péril – et pour quel destin. Ce requiem pour une femme au destin tragique, vous le faites entendre du haut de l’Acropole – Lady Macbeth sur l’Acropole, intitulez-vous l’un de vos sous-chapitres. De là où Freud découvrait en 1916, lors de son voyage à Athènes avec Alexander son frère, la terre inconnue en l’inconnu de langue dont il parlerait une autre fois, deux ans avant sa mort, dans la “lettre ouverte” adressée à son ami Romain Rolland en vue de célébrer les 70 ans de celui-ci. Que l’inconnu chemine dans vos avancées et “médiumnise” vos doutes et vos croyances de lectante analyste fait partie des enjeux tramés et croisés de vos lectures freudiennes et shakespeariennes et de celles que, très subtilement et délibérément, vous souhaitez nous voir faire.

Quand retournerez-vous à Londres.

Ce livre Les revenants de la mémoire appelle à la lecture

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