L’Invité : 8 décembre 2009

Isabelle Mangou pour son livre "Le cas du psychanalyste" Lacan, Celan, Bachmann Unebévue Editions Présentation Jacqueline Massola

UN LIVRE POLEMIQUE

De cette polémique même dont Lacan donna repère à dire que «les psychanalystes de deuxième et troisième génération (et les suivants …) se sont employés à suturer cette béance constitutive du sujet en la psychologisant». Et I. Mangou veut maintenir ce nécessaire niveau polémique à l’intérieur même d’un champ qui se réclame de la psychanalyse.
D’emblée s’en pose le contexte de ce qui dans le passage de frontière Autriche-France c’est joué d’universalisation psychologisante de l’Œdipe.
I. Mangou tranche la béance dont se constitue la subjectivité, la béance propre au champ de la psychanalyse c’est de la lettre qu’elle se soutient, qu’elle existe. Du tragique de la lettre.
«La structure de la lettre est le tragique». Mais à cette béance à ce tragique de la lettre il n’est pas dit que le psychanalyste entende se tenir. C’est même toute la question.
Ce que dès lors I. Mangou présentera comme «cas du psychanalyste», jamais réductible à une définition univoque, est «le repérage du poids de la lettre», le repérage de la tragédie de la lettre d’où peut se lire, s’entendre la déchirure interne à toute activité langagière.

I. Mangou à beau jeu d’y opposer, fiction (?) aidant la radicale réduction psychologisante.
Celle du psy Léo Jordan (in «le cas Franza», d’I. Backmann) faisant cas, faisant écriture du cas de son épouse et «patiente» Franza jusqu’à ce cas, l’épuiser, le réduire à son effacement, a mort.
«La structure de la lettre est le tragique» se déploie, se tresse, s’invagine ou explose dans une référence constante à Jean Bollack, le doublant, l’épousant, le plagiant.
Car le plagiat (Celan oblige) trouve nécessairement ses lettres de noblesse de «passer par la ruine de la langue pour lui permettre de parler»
Jean Bollack ce fabuleux, ce fabulant lecteur des tragiques grecs (et de Celan et de Backmann et de la psychanalyse, …) est l’éclat référenciel permanent du livre I. Mangou.
Dans «la disjonction entre un évènement subjectif ravageant (qui peut tuer la langue). Et la langue (qui risque de faire disparaître l’évènement violent)» se tend le tout de ce livre.
Intenable disjonction dont s’anime le sujet. Car à cet évènement la langue peine à donner place sans le réduire: Part d’ombre de silence. Négativité de la lettre et sa problématique mise en scène, mise en lumière; part d’ombre qui anime la langue, l’infiltre, la creuse.
Mais les ravages du langage réduit au communicationnel (celui dont les nazis firent leur comble mais qui n’est pas sans nous habiter très actuellement), dans sa passion aveugle d’objectivité, de positivité ne peut qu’être effacement permanent de cette part d’ombre, effacement du sujet, son meurtre.
Vigoureuse dénonciation que l’auteur reprend à son compte avec Celan, avec Backmann, avec …
Ce qui insiste c’est qu’à tenter, être tenté par une mise hors jeu de ce silence de la lettre, qu’a tenter de réduire cette disjonction, cette tension permanente, de réduire l’ampleur de cette torsion constituante c’est la subjectivité même qui est mise hors jeu.
Dès lors ce qui vient faire insistance est l’incessante variation de la négation dans une tension qui «préserve et transgresse ce point de mutisme». Ce sera, par exemple «ne pas dire en disant», énoncé très bollockien.
Ce seront les formules poétiques de la négation, leur douloureuse, leur impérative permanence chez Celan.
Ces grands témoins se mettent ainsi à l’épreuve d’un dire.
Reste que la psychanalyse, immédiatement impliquée dans le tragique de la lettre, sait (se doit de?) reconnaître comme topologie dite lacanienne, le déploiement même de ce tragique.
Le sujet est toujours «libre» de le réduire à la part qui s’en maîtrise au risque de s’y effacer.
I. Mangou préfère le creusement tragique de la langue de ces grands témoins mais ne manque pas d’évoquer cette topologie, l’inscription même de cette négativité permanente qu’est la structure subjective. I. Mangou tente de faire entendre le silence de la lettre, cette «densité noire», l’approche brûlante de cette densité noire.
C’est un dire qui creuse la langue, un passage ophique par cette négativité …
Creuser la langue, introduire une faille dans la faille au risque, paradoxal, de son comblement.

Paris, 15 juin 2010
Jacqueline Massola

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