Françoise Decant à lu … |
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Ce livre aurait pu s’intituler “De la passion” car c’est bien de passion dont il est question, de celle de l’auteur, mais aussi de quelques autres… Le sous-titre du livre en mentionne trois : Virginia Woolf, Herman Melville, Vincent Van Gogh, auxquels il faut ajouter Freud et Lacan. La littérature nous enseigne.Mais il n’y a pas que les mots qui s’égrènent, il y a aussi les heures au clocher de Big Ben qui s’égrènent et trouent le silence, la répétition sonore signant le retour de l’angoisse et le réel qui lui est attaché. La même phrase, toujours la même revient de manière lancinante pour tenter de conjurer ce réel. Cette phrase, c’est celle que répète Mrs Dalloway: Fear no more. (N’aie pas peur) La littérature nous enseigne, et là, en l’occurrence, c’est Virginia Woolf qui nous enseigne, qui nous transmet à son insu son savoir sur la psychose. Cette petite phrase, Fear no more, qui apaise Mrs Dalloway lorsque l’angoisse est à son paroxysme, Jacy Arditi la rapproche de ce que Lacan dit sur «la paix du soir» dans le séminaire «Les psychoses». Cette invocation «à la frange du réel, à la limite où le monde nous parle» est venue à Lacan à propos de Schreber et témoigne de son propre abord subjectif du phénomène psychotique. Sur le tranchant de l’angoisse.Se tenir sur le tranchant de l’angoisse, c’est ce que fait Jacy Arditi en choisissant d’interpréter une partition de douze mouvements pour accueillir l’angoisse de l’avoué qui a embauché le scribe Bartelby dans la nouvelle de Melville. La réponse immuable, inflexible de Bartelby, à chaque demande qui lui est faite, signant un conditionnel sans condition «I would prefer not to» -que J. Arditi choisit de traduire par «je préférerai ne pas»- ne manque pas de produire chez l’autre un effet de sidération. Sidération qui va se transformer, évoluer, jusqu’à devenir une passion. En témoigne cette phrase de l’avoué: «Et, fait étrange, j’eus alors à m’arracher à sa présence, de laquelle pourtant j’avais tant désiré être délivré» Les pérégrinations de FreudSe tenant toujours sur le tranchant de l’angoisse, sans jamais lâcher le fil, Jacy Arditi nous invite à suivre Freud dans ses pérégrinations à l’étranger, d’abord en Bosnie-Herzegovine, puis en Grèce. Vous avez de suite reconnu l’oubli du nom Signorelli ainsi que le trouble de mémoire sur l’Acropole. Vers une clinique de la sublimationLa sublimation occupe une place importante dans le livre de Jacy Arditi. Présente un peu partout, et même entre les lignes, elle est dépliée ici sur son versant théorique dont l’objectif est le repérage du passage vers la sublimation tel qu’il peut se faire dans les névroses et les psychoses, mais aussi tel qu’il peut en être empêché. A partir des outils proposés par Lacan, à savoir deux tableaux, l’un extrait du séminaire «L’Angoisse» (inhibition, symptôme, angoisse), l’autre étant celui des trois formes du manque, l’auteur nous fait découvrir ce qu’elle appelle le jeu de bascule, jeu qui inscrit la Versagung (frustration) qu’elle écrit Ver- Sagung en travers du tableau. Cette trouvaille va lui permettre de faire pivoter les trois bandes RSI en les disposant à la manière des hélices d’un avion. Retenues par le point central fixe (l’imaginaire), ces trois bandes forment ce qu’elle appelle les trois procédés de l’inconscient, à savoir, le refoulement, la forclusion et la sublimation, l’objet crée venant à la place de l’objet perdu. Au commencement était l’angoisseNe croyez pas avoir fait le tour de la question de l’angoisse, de son énigme, de son origine. On peut encore la questionner par un autre biais, et pas n’importe lequel quant on est analyste. Ce biais passe par le cheminement de Lacan qui propose d’inscrire le déroulement d’une cure à partir d’un triangle dont les arêtes sont RSI (conférence du 8 juillet 1953). Avec le talent artistique qui est le sien, l’auteur nous suggère une mise en scène du parcours analytique en dix étapes le long de ce triangle, chaque étape relevant d’une clinique du transfert. L’humour de l’auteur est au rendez vous lorsque l’analysant aborde l’étape 5 et se retrouve sous les sunlights du transfert…Il faudra attendre le huitième temps pour la sublimation, et accepter le passage par le temps 9, temps de l’angoisse et du Réel. Si le temps 10 se superpose au temps 1, alors le temps 9 est le temps zéro, «c’est de l’angoisse que provient le refoulement…C’est l’angoisse qui oblige à dire…» Dire l’angoisse par le biais des lettres : les lettres de Vincent à ThéoThéo n’était certes pas l’analyste de Vincent, pourtant sa place n’était pas mince aux yeux de son frère. Il était une adresse, pas seulement pour recueillir la souffrance de Vincent, mais aussi quelqu’un à qui il pouvait adresser son travail, ses œuvres. En témoigne cette lettre, la dernière que Vincent ait adressée à son frère, et que Jacy Arditi cite en ouverture de ce long chapitre qu’elle a intitulé: «La raison d’un peintre, les lettres d’un frère» Françoise Decant |
Jacy Arditi-Alazraki
"Un certain savoir sur la psychose" Editions L’Harmattan Octobre 2009