Robert Samacher, Psychanalyste, membre de l’Ecole Freudienne, ex-maître de conférences à l’Université Paris-Diderot (Paris 7). |
|
Dans ce livre, Emile Jalley s’engage de façon très courageuse, il s’agit non seulement de l’analyse mais de la dissection du livre de Michel Onfray Le crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne qui pose problème à plusieurs niveaux. Tout d’abord comment comprendre que des éditeurs qui ne sont pas nés de la dernière pluie puissent accepter de publier un livre truffé de contre vérités et qui apparaît comme un livre de propagande, une interprétation personnelle de la saga freudienne? Jalley remarque qu’il n’a jamais lu dans le champ des sciences psychologiques un ouvrage d’une telle absence de qualité et aussi ennuyeux. Il s’engage néanmoins dans l’inventaire des nombreuses contradictions présentes dans ce livre compte-tenu du scandale que représente ce type de publication. Aujourd’hui, le livre étant devenu une denrée commerciale comme une autre, peu importe son contenu pourvu qu’il se vende et la marque Onfray tout comme les marques C…, L… ou B… propose un produit qui sur son nom fait recette! Le nom de Michel Onfray envahit toute la couverture du livre, alors qu’on a du mal à appréhender le titre du livre ! On peut se demander comment il se fait qu’un philosophe aussi averti que J.P. Enthoven, responsable de la collection dans laquelle est publié le livre d’Onfray ait accepté de promouvoir une telle somme de mauvaise foi et de désinformation! Jalley évoque cette question de la façon suivante : « Je m’étonne qu’un éditeur consciencieux puisse en proposer la pâtée confuse à un vaste public, et que celui-ci confiant puisse en promouvoir la substance indigeste en tête des chiffres de ventes ». Compte-tenu de l’esprit du temps, je répondrai à Jalley que la réponse est présente dans sa question. Ce livre fait scandale, plus on en parle et plus ça fait monter les ventes ! Tout est marchandise que ce soit les produits de la pensée ou les organes du corps. On peut publier des ouvrages qui véhiculent des contre-vérités, sans états d’âme, sans éthique, pourvu que ça rapporte en vendant du papier! Plus c’est én(ô)rme et plus on en redemande ! Comme le fait entendre Jalley, certaines allusions, « saillies » sont dignes des brèves de comptoir. Sous prétexte de bon sens, il fait des concepts freudiens reçus partout une présentation d’un genre vulgaire, d’une rhétorique aussi sommaire qu’assommante. Onfray n’aime pas les citations précises, il préfère plutôt les racontars à distance des textes. Cette façon de procéder pose la question du niveau culturel moyen dans lequel il s’agit de maintenir la population en France. Jalley remarque que les lecteurs qui lisent « ce livre provocateur et tempétueux en zappant un peu, à la manière de Da Vinci Code, n’y voient que du feu, mais ils n’en conserveront pas moins une impression très négative de Freud (p.94) »…« Médisez, médisez, il en restera toujours quelque chose (Voltaire) ». De son point de vue, Onfray aborde Freud sans aucun complexe, toujours par le petit bout de la lorgnette, par le menu détail scabreux, « il glousse dans son style instillé d’une ironie dépourvue de tout humour ». Le livre du « maître Michel Onfray », Le crépuscule d’une idole, passe sous le scalpel pertinent et informé d’E.Jalley qui lui, a le savoir nécessaire pour lui répondre en « expert ». On se rend vite compte que l’ouvrage ne tient pas la route dès lors qu’on a les connaissances nécessaires et qu’on le soumet à une critique érudite et précise ! Emile Jalley commence par critiquer la démarche méthodologique d’Onfray et son interprétation des mouvements philosophiques. Onfray essaie de montrer que « le freudisme est un nietzchéisme, dans le lignage de Schopenhauer via Nietzsche… » mais d’après l’auteur du Crépuscule d’une idole, « l’objectif de Freud est de dissimuler ses sources d’inspiration ». Par exemple la notion freudienne de pulsion aurait été empruntée au vouloir de Schopenhauer, à la volonté de puissance de Nietzsche déniant ainsi toute circulation de pensée entre les auteurs et de tout temps. Jalley argumente en rappelant que « Nietzsche était justement doué, d’après certains de ses biographes, pour assimiler très rapidement les idées des autres et ensuite en oublier l’origine. » (p. 84) Tout d’abord Onfray se prévaut d’un modèle aberrant de la genèse strictement autobiographique de toute idéologie, y compris la philosophie, c’est cette méthode qu’il va utiliser pour se pencher sur l’œuvre freudienne. Il se met en position de Grand Inquisiteur, en inspecteur de police…recherchant le détail scabreux dont le lecteur pourra se gausser. Son discours, qui est un discours « comme si » vise à mettre « Freud à nu, sans masque, en chair et en os » (p.37) ! Il s’en tient au Réel (lacanien) du corps, sans jamais situer la dimension métaphorique du discours freudien. En ces conditions, il peut voir de « l’inceste partout » ! Si la philosophie de Freud, c’est la «méta-psychologie » (le trait d’union est du cru d’Onfray) psychanalytique qui rend compte d’un modèle abstrait du fonctionnement psychique, comment peut-elle être en même temps ‘L’exégèse du corps de Freud’ ? Jalley remarque qu’Onfray critique Freud avec l’appareil conceptuel freudien, il se prend pour le psychanalyste de Freud. En fait, Onfray produit son propre mythe à propos du soi-disant mythe freudien qui, pour Jalley « est un vrai roman d’aventures, à base d’un préjugé essentiel de réduction et de déformation franchement caricaturales ». Onfray soutient que la psychanalyse n’est que l’écriture des confessions de Freud qui n’aurait fait qu’écrire un roman pour l’éditeur en vue d’obtenir le prix Goethe. Ainsi d’après Onfray, Freud a produit une affabulation lui ayant permis de présenter objectivement, scientifiquement le contenu très subjectif de sa propre autobiographie. Donc, selon Onfray, Freud n’a rien produit qui relève de l’universel, « sa doctrine est une création existentielle fabriquée sur mesure pour vivre avec ses fantasmes, ses obsessions, son monde intérieur, tourmenté et ravagé par l’inceste. » On se demande qui affabule ! Le caractère profondément dualiste de la pensée freudienne échappe complètement à Onfray qui a horreur de toute pensée dialectique, on peut se demander comment il a fait pour admirer Marx ! Sa présentation de la pulsion de vie et de la pulsion de mort est caricaturale, Ainsi, lui, Onfray l’hédoniste, serait du côté de la pulsion de vie, alors que le pessimisme de Freud montre combien il est travaillé et se situe du côté de la pulsion de mort, ceci est une conception aberrante du dualisme pulsionnel. A lire Onfray, Freud n’a pas de clinique, il parle d’une « clinique introuvable ». A-t-il vraiment lu Freud : tout d’abord les Etudes sur l’hystérie écrites avec Breuer, les Cinq psychanalyses qui ont fait et qui font travailler des générations de psychanalystes ? Lorsqu’il parle d’Emma Ekstein, patiente de Freud, Onfray oublie de dire que c’est Fliess qui l’a opérée et non Freud. Pourquoi ces contre-vérités concernant les cas cliniques ? Onfray prétend, d’une part que Freud tire sa théorie de lui-même pour en faire un modèle universel et d’autre part, qu’il dérobe et plagie partout et cache ses emprunts. On ne peut soutenir à la fois que Freud a inventé la psychanalyse tout entière à partir de son journal intime et qu’il ne cite pas ses sources ! A partir de sa réinterprétation de l’œuvre freudienne, Onfray propose un modèle contradictoire incohérent. (p.38-39). Il se fait du savoir une conception totalitaire qui n’a rien à voir avec le savoir « troué » de la psychanalyse. Il décrète la vérité et ne supporte pas l’objection, Jalley remarque que ce savoir indiscutable est du registre de la paranoïa (cela ne préjuge pas de la structure psychopathologique de celui qui affirme une telle rhétorique. Il se sert des faits qui lui conviennent (pour lui, ils sont vrais) et laisse tomber les autres (qui ne peuvent qu’être faux), ce mode de fonctionnement psychique relève peut-être de la psychopathologie, mais surtout de la malhonnêteté intellectuelle. Onfray, qui n’a jamais été analysé, se permet de mettre Freud sur le divan, récusant ainsi l’argument fondamental que l’on ne peut tenir en connaissance de cause la place de l’analyste si l’on n’est pas soi-même passé par une psychanalyse personnelle. Sa façon de procéder pour réfuter la psychanalyse, correspond pour Jalley, à une forme dévoyée et vicieuse de « cure » psychanalytique, qui lui permet de raconter sa propre histoire en se servant du miroir projectif que représente pour lui la biographie de Freud. Jalley parle d’ « un usage pervers du raisonnement, Onfray prend « la partie pour le tout » et s’investit dans l’interprétation du signe minime, de l’indice, du stigmate, chez le policier, le juge, l’inquisiteur jadis, la « science raciste » aussi. » (p.64). « Le style ordinaire de la contre-histoire fait toujours dans le registre des ragots insidieux, et de la stigmatisation fielleuse (p.67). Plus loin, « On n’a jamais vu un tel acharnement de dénigrement, de médisance, de calomnie, de haine passionnelle sur les circonstances de la vie personnelle d’un homme célèbre disparu voici soixante dix ans. » (p.68) Jalley remarque aussi que l’ouvrage d’Onfray accumule les détails hostiles et les imputations à charge sans aucune note de référence précise pendant plus de 600 pages. Il pratique rarement l’hommage, préfère le dénigrement : reproche projectif : ce qu’Onfray ne reconnaît pas en lui-même, il l’attribue à Freud. Pour Jalley, cette dimension projective se retrouve dans la méthode psycho-biographique en usage dans l’école normande de la contre-histoire de la philosophie, consistant à référer la problématique soi-disant intime de l’auteur (« l’incestuosité pathologique perverse comme dimension caractérielle du seul Freud dans toute l’histoire de pensée occidentale… secondairement attribuée par le complot d’une « église » (sic) à l’humanité entière ! » p.87). Nous connaissons le procédé ! Il est ainsi fait retour à un antisémitisme des plus traditionnels, celui qui remonte à Gobineau ou à Drumont qui ne peut se passer de la dimension projective paranoïaque que le juif Freud alimente ici. La psychanalyse ne serait donc pas une technique thérapeutique, une science, mais une croyance, une « thaumaturgie », « une fiction performative » dont Freud serait le gourou. De là à évoquer le complot freudien…! Pour Jalley : « L’intentionnalité hostile du discours à charge est constante, infiltrée partout, présentant Freud comme un juif inconséquent, somme toute un hypocrite, faisant profession d’athéisme tout en continuant à cultiver l’esprit du judaïsme. » (p.150), De là, le pas est franchi et Onfray va chercher à démontrer la compatibilité du freudisme et du fascisme d’autant que Freud a accepté de dédicacer l’un de ses livres à Mussolini à la demande d’Eduardo Weiss, pensant à l’époque, que le Chancelier Dolfuss et le Duce pouvaient être encore un rempart contre le nazisme en Autriche (p.147) Encore faut-il être en mesure de faire la distinction entre nazisme et fascisme ! Il n’échappe pas à Jalley que, dans la démarche d’Onfray, se profile « l’abominable portrait du juif Freud…disséminé partout de manière insidieuse dans son ouvrage. L’auteur remarque que nous ne sommes pas loin de l’ouvrage apocryphe Le Protocole des Sages de Sion, programme juif de conquête du monde dont l’auteur était un ressortissant russe, Mathieu Golovinski, agent de la police politique tsariste. Ce document avait pour but d’entretenir l’antisémitisme, et de rendre les Juifs, éternels boucs émissaires, responsables, aux yeux du peuple russe, de tous ses malheurs. Hitler s’en servira en 1925 dans Mein Kampf afin de démontrer la perfidie et le danger constitué par le peuple juif. Onfray, dans son parcours révisionniste, fait à son tour de Freud une sorte de bouc-émissaire juif, comme le souligne Jalley, son « transfert négatif d’une violence extrême, le double renversement-contradiction et la projection » fait de Freud le miroir de ses propres turpitudes. Le livre d’Onfray est dangereux parce que les mass-médias s’en sont saisis et lui ont fait une publicité extraordinaire. Pensez ! Cet homme qui, contre l’établissement a ouvert une « Université populaire » et professe devant 700 personnes ! Comment ne pas prendre sa parole pour argent comptant, d’autant qu’il se proclame homme de gauche et proche des petites gens ! Ce «dit-philosophe» procède bien plutôt à un dévoiement sémantique et à une falsification de l’histoire, de la pensée philosophique et freudienne et s’inscrit ainsi dans une dérive « populiste » ! Comme le souligne Jalley : « Ce qui se passe sous nos yeux à propos de Freud a quelque chose d’hallucinant, on dirait une sorte de psychose collective, limité à un certain milieu cognitif et culturel certes, mais de caractère quelque peu apparenté au délire hilare des foules nazies, tels que les documents filmiques d’époque nous en restituent la réalité onirique, qui dépasse la fiction » (p.69). Comme l’écrit Jalley : « Non, on ne « se fait pas » Freud lu à toute vapeur en six mois, en le réduisant d’abord en charpie, pour en arranger les pièces déchirées dans un montage caricatural, et en jetant à la poubelle les déchets qui n’entrent pas dans le cadre ! » (p.178). Je souscris à l’affirmation de Jalley qui voit dans le livre d’Onfray, avec son « fondement méthodologique aberrant qui en appelle à l’autobiographie comme clé d’interprétation ultime des configurations idéologiques, n’est pas un symptôme si éloigné, même si caricatural d’un esprit du temps plus général reflétant un certain climat de difficultés croissantes de la recherche dans les sciences psychologiques tout autant que dans le reste des sciences humaines » (p.162). Je me permettrai d’étendre cette affirmation à l’ensemble de notre société à la recherche d’explications faciles rendant compte de son malaise : derrière le Rom… se profile aussi le juif comme bouc-émissaire ! En effet, je me demande si Onfray, avec son livre construit comme le Protocole des Sages de Sion, ne participe pas au climat de désinformation qui devient très vite propagande ! Après toute la publicité qui lui a été faite, fallait-il faire semblant d’oublier ce livre et le traiter comme une irruption de boutons ou de fièvre qui vont disparaître rapidement ? « Qui ne dit rien consent » ! De mon point de vue, Emile Jalley avec ce livre et les suivants Anti-Onfray II et III fait œuvre de salubrité publique, et je lui suis reconnaissant, de remettre l’homme Freud et son œuvre à la place qu’ils méritent dans l’histoire des idées et dans les champs philosophique et psychanalytique. Robert Samacher |
Jalley Emile
"Anti-Onfray 1" Sur Freud et la psychanalyse Editions L’Harmattan, Paris 2010