Jean-Marie Jadin La structure inconsciente de l’angoisse

Arcanes- Eres 2017

Françoise Decant
Publications : «L’écriture chez Henrik Ibsen : Un savant nouage.» Essai psychanalytique Ed Arcanes Eres dec.2007. «La ronde des pères» in «Kafka, le procès du sujet». Figures de la psychanalyse. Logos Ananké Ed. Eres 2008 Ouvrage collectif. Arthur Schnitzler : «Le mélancolique inconstant. Fantasme de séduction et répétition» Revue La Clinique lacanienne N° 19  Ed. Eres  2011. «Un nom du père parmi les noms du père : Trois inventions» Revue La Clinique lacanienne N° 22 Ed. Eres 2013. «Personne(ne) sait comment on fait les papas» Revue Enfance et psy N° 66 Ed Eres 2015.

C’est à un voyage au cœur de l’angoisse que nous convie l’auteur de « côté divan, côté fauteuil » avec ce livre d’une grande richesse tant théorique que clinique.
Existe-t-il un psychanalyste qui pourrait prétendre ne pas se sentir concerné par cette question ? Qu’elle soit diffuse, ponctuelle, ou bien massive, compacte, envahissante, paralysante, l’angoisse est toujours invitée à franchir le seuil du cabinet du psychanalyste.
Il ne s’agit certes pas de vouloir supprimer l’angoisse, de vouloir l’éradiquer, car sans angoisse, il n’y aurait pas d’humanité chez l’homme, nous rappelle J. M. Jadin qui avance néanmoins des hypothèses théoriques émaillées de nombreux exemples cliniques permettant de soulager l’angoisse.
Ce livre se propose, par le biais de l’angoisse, de cerner le réel, mais aussi en analysant les rapports de l’angoisse et du désir, de montrer les avancées de la cure, lorsque l’on accepte de considérer l’angoisse comme un passage obligé pour l’advenue du sujet. (Le sujet de l’inconscient)
Mais l’angoisse constituée pendant la cure n’est bien sûre pas la même -normalement- que celle, paralysante, envahissante qui s’offre à l’analyste en début de cure.
La citation que J. M. Jadin a choisi de placer en exergue de son livre ouvre le bal de l’angoisse en nous faisant, telle une valse, trou- billonner
C’est Marcel Camus qui parle de Faulkner : Ce que voit Faulkner, c’est que la souffrance est un trou. Et que la lumière vient de ce trou, oui. » Très beau…
C’est la nature de ce trou et sa complexité que Jadin s’attache à explorer sur les pas de Freud (L’Esquisse) et de Lacan, nous invitant à nous replonger dans le Séminaire sur l’angoisse, mais aussi à relire « L’identification » après avoir fait longuement retour sur le schéma optique qu’il utilise (entre autres) pour l’analyse du tableau de Vélasquez « las Meninas ».
De Freud, est empruntée Das Ding, la Chose, que l’auteur superpose au trou du tore (véritable trouvaille), le sujet angoissé ayant tendance à s’égarer dans ce trou en voulant récupérer la Chose, lieu d’une trompeuse promesse de jouissance.
De Lacan, J. M. Jadin emprunte la figure topologique du tore, qu’il s’approprie pour affiner son approche de l’angoisse, n’hésitant pas à parler de structure torique (c’est l’apport premier de ce livre), qui peut sous l’effet de l’angoisse massive, se déformer et prendre par exemple la forme d’un cylindre , qui se resserre tel un étau comparable au Terrier de Kafka.(1) On peut dire que c’est son outil pour penser l’angoisse et approcher le réel.
La littérature aussi nous enseigne, en particulier, la littérature fantastique. Comme le nœud borroméen, elle indique l’intrusion du réel dans l’imaginaire, en tentant de nous faire « apercevoir » l’autre côté de nous-même, cet envers que Lacan a représenté avec les fleurs du vase que l’on ne peut pas voir du fait du trou dans le regard.
Mais toujours à propos de trou, n’est-ce pas du trou dans le langage dont il est question dans l’angoisse ? Nous sommes bien dans la question de la structure, une structure trouée du fait du trou creusé par le langage dans le corps du sujet.
« L’angoisse ne s’atténue qu’à la condition de s’en approcher au moins une fois. (de ce trou) Le refus de ce lieu est ce qui la provoque. » Insiste J. M. Jadin qui propose de dessiner sur le tore un chemin de parole permettant de soulager l’angoisse et de mener au désir.
C’est ce qui se passe dans une cure psychanalytique au moment d’une interprétation, qui va avoir pour effet de produire une coupure là où le fantasme fait suture, démontre ce grand clinicien qu’est J. M. Jadin en prenant appui sur une séance qu’il rapproche d’une coupure faite dans cette autre figure topologique lacanienne qu’est la bande de Moebius.
Un livre passionnant que je vous invite à découvrir rapidement tant est riche son enseignement.

Françoise Decant
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(1) De très belles pages sont consacrées à F. Kafka dans ce livre. Voir aussi J. M. Jadin « La détresse de Kafka » in la revue Logos Ananké N° 16

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