Nabile Farès, écrivain et psychanalyste. Ces livres : |
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« Psychanalyse » d’un président Ces guillemets qui entourent le terme de psychanalyse accolé à celui « d’un président » disent la distorsion qui serait faite d’un savoir dont disposerait le psychanalyste – « le » – comme tel et non plus « un » – et la psychanalyse pour dire, sans divan, et autre dispositif essentiel à toute psychanalyse, la ponctuation des séances, quelque chose à propos « d’ un » président et non pas de n’importe quel président, mais d’un président, président de tous les présidentiables parmi les citoyennes et citoyens d’une société où a lieu cette présidence, cette prétention de présidence, le président d’un état, en l’occurrence, ici, le président actuel de la république française, dont le nom n’apparait pas sur la couverture-titre du livre, mais tout au long des pages qui concerne cette « psychanalyse d’un président », livre parlé entre un psychanalyste Jean-Jacques Moscovitz et un journaliste, écrivain, qui fut directeur de la rédaction du journal l’express de 1987 à 1994, Yann de l’Ecotais, comme nous le précise la présentation des auteurs. Cette absence du nom du président dans le titre désignerait déjà que la personne du président, nommons, cette fois Mr. Nicolas Sarkozy, figurerait , serait analysée, dans la trame des questions qui tissent le livre, par rapport à une fonction présidentielle en tant qu’elle serait un mode de gestion, d’appropriation, définition, élaboration la plus souhaitable de la vie humaine, sociale, culturelle, économique, politique, de la vie en commun ; celle-ci étant le lieu des conflits, affrontements, inégalités, disparités, dont Freud, dès les pages qui analysent d’une façon si intenses pour la psychanalyse et la civilisation, « Les considérations sur la guerre et sur la mort » de 1915, indique les enjeux, les possibles, les nécessités, et, surtout, les apories. Prenons, par exemple, dans « L’avenir d’une illusion » les premières pages qui, sans doute poursuivent les réflexions, analyses, engagées dès cette date de 1915 : « La culture, je dédaigne – précise Freud – de séparer culture et civilisation – doit donc être défendu contre l’individu par ses dispositifs, institutions, commandements, qui se mettent au service de cette tâche ; ceux-ci visent non seulement à instaurer une certaine répartition des biens mais encore à la maintenir ; de fait, ils doivent contre les motions hostiles des hommes tout ce qui sert à contraindre la nature et à produire des biens. Les créations humaines sont faciles à détruire et la science et la technique peuvent être aussi utilisées pour les anéantir. » Gageons que ce qui anime les échanges dans ce livre « psychanalyse » d’un président » touchent précisément à l’incertitude d’un savoir sur les diverses intentionnalités non seulement les traits d’une personnalité telle que serait celle de Mr. Nicolas Sarkosy mais aussi ce que l’on pourrait nommer, après Freud, « L’avenir d’une illusion ». Si nous nous en tenions qu’à des « traits de caractère », ce livre, « Psychanalyse » d’un président », aurait le « défaut » d’un portrait psychologico-moral tel celui proposé par Freud et son ami Bullit « Le président Wilson », analyse d’un chef d’état comme représentant d’une idéologie obsessionnelle très particulière, dont on aurait quelque écho, aujourd’hui, non du coté du président français actuel mais bien du coté américain, c’est-à-dire, le président Bush. Qu’en serait-i, alors, de « notre » président français ? Et bien, c’est en ce sens que nous avons recommencé notre lecture du livre de Jean-Jacques Moscovitz et Yann l’Ecotais, non pas du coté de « l’analyse caractérielle » singulière, mais celui d’une fonction présidentielle qui s’incarnerait, se personnaliserait, en un collage des stigmates, mœurs, souhaits, actions transgressives manifestes d’une époque qui exposerait ce qu’elle serait et désirerait être – libérée des contraintes d’un passé devenu « trop lourd », transparente et visible, légère et brillamment mobile, vue de tous les cotés, extasiant son intimité d’une façon aussi spéculaire et publicitaire que possible, libre de toute culpabilité vis-à-vis de ce qui aurait eu lieu de monstrueux, gênant, peu recommandable, non pas dans une antiquité barbare, mais le passé le plus proche. Sans aller jusqu’à désigner le « Grand Autre » comme étant « nous et le monde », comme le fait Jean-Jacques Moscovitz, on peut entendre que l’un des vœux, parmi d’autres, le plus « sensible » du président français actuel, d’autres comme lui, serait, aujourd’hui, de se montrer actif et assez ubiquitaire dans l’espace planétaire des conflits et dans le temps privé, temps commun d’une société dont la culture serait historiquement fixée, tout de même depuis longtemps, reines et rois compris, par la grandeur de ce qui fut empire, la notoriété de ses idéaux républicains, l’universalité de « sa » religion, la foi en son code civil et pénal…et, à travers cette panoplie, représentative d’une identité continuée, sans fissures ni tremblements devant l’incertitude d’un temps présent – terrorisme difficilement maitrisable, inégalités, guerres, chômage, fluctuations économiques, financières, dépressions… – d’un malaise, du « malaise » présent « dans la civilisation. », et non plus simplement chez ceux que l’on désigne toujours comme « les barbares. » Autrement dit, ce collage entre un président, une fonction présidentielle, un monde, « nous », et la psychanalyse, se ferait au titre d’une incarnation d’idéaux dissemblables offrant leur semblant de… « concordances » – un mot de Freud pour « Totem et Tabou » – dont on pourrait avancer une phrase accentuée ainsi : « la fonction idéaleet idéelle d’une présidence est d’être incarnée par un président qui se donnerait – sans, doute, il s’agirait d’un don personnel, de « dons » personnels –une parure d’exposition et d’agir à l’encontre d’un monde redevenu hostile et menaçant, tout en jouissant pour un temps de cette fonction. Dans ce contexte exquis, pour parler comme Sciascia, la psychanalyse viendrait nous dire pertinemment, que, manifestement, s’il n’y a pas tyrannie, il y a bien une bonne trame singulière et commune de névrose et angoisse sécuritaire au-dessus d’un nid de coucous, de casses-coups, glissements, ressemblant à ceux de dessins animés, aux bords de précipices, au-dessus desquels, assez miraculeusement, providentiellement, on passe ou s’arrête, pour plonger dans l’océan des médias d’où l’on ressortirait indemne, miraculeusement jovial, sûr et efficace, pointant un doigt intelligent et autoritaire, anticipateur, dans la direction d’un « nul ne peut savoir à part moi ce qu’il en coûte, me coûte, vous coûte, d’être à cette place qui est Sa place et ma place. » Ce qui ferait dire à Jean-Jacques Moscovitz : – … Il me fait penser à Zélig. Sans trop savoir, semble-t-il, ce qu’il remue, Sarkozy nous fait percevoir des surprises inouïes, choquantes même, quelque soit l’évidence démagogique qui peut lui être reprochée… – Zélig, s’étonne Yann l’Ecotais ? — Oui, ce héros qui, s’identifiant à son entourage, s’y retrouve aliéné, dans un monde d’apparences. Et, dans nos sociétés, les apparences sont notre lot. Ainsi, au fur et à mesure qu’il s’installe dans son poste à la Zélig, du nom du fameux film de Woody Allen, Sarkozy double le père, grand-père, frères et lui-même, doubler au sens de miroir et être en fusion avec ses images. Il veut être agréable aux juif au diner du Crif, agréable aux catholiques à la basilique de Latran, agréable, agréable aux arabes à Riad, agréable aux victimes potentielles de crimes non encore commis ou déjà punis… Zelig enfin au pouvoir… Victime de la culture néolibérale, il en est le produit. ;. » Pas du tout en « défaut » cette fonction du Zélig qui recoupe cette note du « Cinéphile » : « Léonard Zelig est en apparence un homme tout à fait quelconque, mais bientôt l’Amérique des années 20 va littéralement se passionner pour lui ; on constate en effet que ce petit homme banal a en fait tendance, par des qualités chimiques inexplicables, à se transformer à l’image des êtres qu’il cotoie ; en présence d’un obèse, il grossit à vue d’œil, face à un noir, sa peau noircit, aux cotés d’un asiatique, ses yeux se brident…Une charmante doctoresse s’occupera de son » cas » et traitera Zélig par l’hypnose, et, sous l’effet du traitement, il parlera de ses problèmes d’enfance, d’identité juive, et lâchera quelques mots révélateurs : « je veux être aimé ». Volontaire, intéressant ? ne supportant pas la…déception ! De la fonction au président, Jean-Jacques Moscovitz et Yann l’Ecotais mettent à l’œuvre, à travers une dialectique du dire et du dissimulable, du « ce qui pourrait s’entendre dans ce dire d’être… aimé », une analyse subtile, drôle, de ce que l’on pourrait appeler l’indécidable d’une fonction, d’un président qui, comme l’écrit René Major dans un livre récent, serait « sans particularités », comme vous et moi, sans pouvoir extrême ni intime, sorte de ludion suspendu à la grâce du désirable et de …l’imprévisible… |
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Nabile Farès |
Jean-Jacques Moscovitz et Yann de L’Ecotais
"“PSYCHANALYSE” D’UN PRESIDENT" Editeur L’Archipel