Jean-Pierre Winter « Dieu, l’amour et la psychanalyse » Une lecture profane des dix commandements

Editeur Bayard Centurion, 2011

Françoise Hermon-Vinerbet

Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Françoise Hermon-Vinerbet a lu « Dieu, l’amour et la psychanalyse »

Le sous-titre de l’ouvrage annonce l’enjeu éthique du propos de son auteur. Pourtant, J.P.Winter interroge le texte biblique non pas du côté de l’impératif moral, mais en tant que ces  dits commandements seraient  la condition de la parole pour les humains ; et bien que ce soit Dieu le premier mot des trois termes du titre, nous sommes conviés à une lecture profane où le divin  est ce qui instaure  et représente la division au cœur de tout sujet ; c’est l’inconscient freudien et l’Autre Lacanien.

C’est avec l’assurance d’un maître en matière talmudique que Winter nous expose son éthique de la psychanalyse et sa lecture attentive et savante conduit notre auteur à penser que la peur des textes religieux  nous vient du fait qu’on renonce à les interroger. Ainsi, il nous invite à une lecture psychanalytique aux antipodes de toute religiosité ; il souligne (page15) « là où la religion éternise le transfert à Dieu en soumettant l’homme à une crainte perpétuelle pour son avenir….le psychanalyste propose au sujet de replonger dans la crainte pour en sortir et pour finir par l’éjecter de cette place ».

 Le caractère paradoxal de ses affirmations nous maintient en haleine et l’humour  de l’auteur nous permet d’accéder à des textes des plus énigmatiques. Par exemple, pourquoi dieu a t-il endurci le cœur de Pharaon au point que dix horribles plaies aient été nécessaires à la sortie d’Egypte? Il s’agissait pour dieu d’obliger celui dont le narcissisme ne voulait pas céder à prendre la mesure de ce qu’est la parole, de  ses effets et de son prix. Il ne suffit pas de l’annuler pour effacer les effets d’une parole meurtrière.

J.P.Winter profite de ce chapitre pour expliquer le sens de la prière collective du Kol Nidré  qui chaque année nous délivre des promesses proférées lors de l’année passée. Il en profite aussi pour nous offrir un fragment de clinique illustrant combien il est parfois humiliant de constater le peu de maitrise dont on dispose quand l’inconscient fait irruption.

Mais nous ne sommes pas seuls à être démunis car « Dieu est un orphelin », c’est le titre d’un chapitre de ce livre. En effet nous dit la kabbale, c’est parce qu’il ne savait pas à quoi il ressemblait que dieu fit  l’homme à sa ressemblance, et ce n’est pas dans un excès de puissance, bien au contraire, mais à travers  un mouvement de retrait qu’eut lieu une création. Dieu  qui n’avait pas d’image   « voulait voir Dieu » (cf. Page19) un peu comme l’enfant adopté qui toujours cherche son origine pour trouver à qui il  peut bien ressembler.

 La question de la divinité et la détresse humaine sont intimement liées, complétude  et toute puissance divine nous renvoient bien évidemment à la projection d’un vécu infantile. Le supposé savoir attribué au psychanalyste y fait écho.

Si Dieu est projection  à l’extérieur de l’étranger en nous, le signifiant par excellence du manque, il est essentiellement langage. Au commencement, c’est par « il dit » que le monde est créé. Ensuite une loi est nécessaire pour que les humains aient accès au langage  et à un vivre ensemble qui ne soit pas chaos. Des lois sont nécessaires pour faire obstacle à la sauvagerie des pulsions.

Pourquoi  Dieu commence-t-il par se présenter comme  celui qui  a libéré le peuple hébreux de l’esclavage du Pharaon, avant de nous donner le contenu de ses ordres? C’est, nous dit Winter, pour insister sur le fait que lui seul sera désormais leur maître. Ne plus être sous les ordres, les caprices  et les ruses de ce « roi-dieu », implique  que les Hébreux traversent le désert  pour  « fêter » leur Dieu, l’unique et le jaloux.
Contrairement aux idoles, Dieu, comme l’écrit E Jabès, n’a pas d’existence  en dehors du langage, sa fonction est symbolique d’où l’interdit d’en faire des représentations. Le peuple élu n’échappe au caractère répressif  des lois Pharaoniques que pour être «  l’esclave »  de la dure loi de la castration symbolique.  Cela se fait, écrit J.P.Winter  « par la mise en place d’un dire venant du père en tant que nom et non en tant que tyran. »

 Le repos hebdomadaire obligatoire qui fait l’objet du cinquième commandement  est  l’occasion  de se retirer et « sanctifier le Shabbat, c’est opérer le même retrait que dieu lors de sa création », car
« on ne participe à la création qu’en mettant en acte sa capacité à pratiquer le retrait »  Winter ajoute  que dans notre monde actuel  les séances d’analyse sont une des meilleures « ponctuations shabbatiques » L’absence de sollicitations consuméristes, conjuguée au retrait essentiel à la place du psychanalyste, est condition, par le vide ainsi produit, de la naissance de la subjectivité.

Honorer son père et sa mère, la sixième  des Paroles, donne l’occasion  à notre auteur de préciser qu’être père c’est être «  le passeur de la loi et non l’auteur ». Il conclut ce chapitre avec un humour  que lui même dit provocateur : « je dirais que psychotique, dieu l’était avant son acte créateur et que pervers, il l’est devenu après ».

 « Tu ne tueras point ».
L’interdit du meurtre est proféré au futur car au commencement Caïn a tué Abel et cela parce qu’ « il a dit…… » !! Le meurtre succède à l’absence transmise d’un contenu de cette parole. Caïn n’est non seulement pas le gardien de son frère mais il en est l’ennemi. Le pronom mployé, « anohi »  réservé au divin et non « ani » nous signale que c’était à Dieu seul  qu’incombait  le devoir de    protéger Abel.
La kabbale dit que celui qui tue un homme tue toutes les générations qui auraient pu lui succéder.

C’est le langage non comme outil de communication mais en tant que symbolisation de nos pulsions sadiques meurtrières qui remplace et interdit le meurtre.

Les  interdits concernant l’adultère et le vol renvoient à la nécessité de ne pas faire de la jouissance de l’autre le modèle de son propre désir car « attribuer à l’autre le phallus c’est s’imaginer que c’est lui qui l’a et que si l’on parvenait à lui prendre, on pourrait en faire le même usage que lui ».

Après la convoitise c’est d’amour que nous allons parler.

Dans toutes les religions, Dieu est amour mais la question essentielle qui se pose, et elle ne manque pas de faire écho à des problèmes  autant cliniques que théoriques, c’est de savoir si dieu est une mère juive. Le texte biblique nous permet de penser que sur ce point « Il » ne fait pas exception, l’amour divin est lui aussi  une « hainamoration ».

Winter définit l’intégrisme par le caractère  dépourvu d’ambivalence qu’a pour lui son objet.

Comme la mère juive des blagues, «  Dieu est un obstiné. » et on ne sait pas si c’est notre bien ou notre destruction qu’il veut ; en témoigne le fait que pour un enfant juif, un pull over c’est ce qu’il met quand sa maman a froid.  A cause de cette emprise, « L’enfant ne sera plus jamais en mesure de croire à ce qu’il perçoit, il ne fera pas confiance à son corps, à son regard, à son toucher ».

L’auteur remarque et déplore que « à présent, tout se passe comme si on privilégiait le champ du langage au détriment des perceptions et des pulsions originées dans le corps. Or l’inconscient est réel, imaginaire et symbolique. Se débarrasser du réel au nom du symbolique ou l’inverse, c’est une façon de se débarrasser de l’inconscient »

C’est dans son commentaire de Job  que J.P.Winter est me semble t-il le plus audacieux, il fait de ce  prophète héros dans la souffrance, le comble de la subversion, car à travers « un orgueil et une présomption intolérable à Dieu » il  maintient  sa certitude d’être  innocent et   en même temps le caractère indestructible de son amour.

Ainsi, c’est dans le comble de l’irréligiosité que se termine ce livre car les horreurs traversées par le pauvre Job permettent nous dit l’auteur d’ouvrir la sulfureuse question « de la jouissance cruelle de l’Autre et celle de la cruauté de sa propre jouissance ».

La conclusion nous dit Winter est que pour éviter une position mélancolique « il faut renoncer à atteindre la vérité », en faire un usage modéré et qui n’est pas destiné à persécuter, ni soi même ni les autres.

En conclusion, la psychanalyse ne peut être qu’athée, elle exclut quelque dieu que ce soit, comme l’a dit Freud « la psychanalyse est exclusive de la psychanalyse ».

Winter pour sa part avance que « s’il n’y avait pas l’amour on serait tous athées ».

Par ailleurs nous pouvons lire que « l’analyse consiste à faire avec Dieu tout en amenant le patient à se débarrasser de Dieu dans sa forme la plus illusoire en tout cas… ». Une certaine illusion restera nécessaire, différente pour chacun, illusion qui permette  de rester désirant.

C’est parce que nous sommes rendus vulnérables par l’amour que nous avons besoin d’un Dieu, «dicteur » et néanmoins jaloux, qui s’interpose entre nous et nos amours humaines, nous protégeant des ravages de l’exclusivité. Lacan a dit que « qui que ce soit, à partir du moment où il parle, croit en Dieu ». Winter avance « cet ajout de l’âme qui est l’amour sous toutes ses formes nous oblige à supposer Dieu,  il n’y aurait de véritable athée que le pervers.»

Grâce à son style clair et précis mais néanmoins subtil qui tisse avec amour les fils bibliques et psychanalytiques ce livre réussit à préserver énigmes et paradoxes, ingrédients essentiels à « l’ordinaire de la psychanalyse ».

Françoise Hermon-Vinerbet

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