L’Invité 9 novembre 2010

Jean-Pierre Winter pour son livre "Homoparenté" Editions Albin Michel Présentation Francis Cohen


Jean-Pierre Winter

METAMORPHOSE DE L’HOMOPARENTALITE

« Effacer les différence des sexes et la filiation en légalisant l’homoparentalité », c’est par ces propos sans équivoque que Jean-Pierre Winter conclut son dernier livre « Homoparenté », à la fois une enquête et un réquisitoire. L’ouvrage pourtant s’ouvre sur un autre versant, l’auteur s’interroge sur le signifiant. En émule de Lacan (cf. Le Sinthome) Jean-Pierre Winter « s’appuie contre un signifiant pour penser » donc homoparentalité : « On peut l’entendre sur le plan du signifiant parent- alités, qui dit non sans ironie comme par un bégaiement qu’être


Francis Cohen

parent est désormais déconnecté de ce qui se joue au lit entre deux personnes non sans suggérer le contraire ». La place de l’équivoque est maintenant au contraire parfaitement soulignée, c’est une interprétation. Il faut donc s’attacher à la sonorité et aux effets de résonance. Ainsi du rôle essentiel donné aux mots : homo? Homoparentalité, un néologisme créé il y a plus de trente ans par l’association des parents et des futurs parents gays et lesbiens, il est évoqué ici en relation avec l’œuvre d’Orwell, 1984, la novlangue et ses sinistres résonances totalitaires.

Les deux termes opposés, homoparentalité et homoparenté sont les deux fils qui s’entrecroisent donc constamment et se superposent pour tisser le texte.
D’une part, une controverse d’apparence scientifique qui porte sur l’aspect social des bouleversements actuels de la biologie et d’autre part une prise de position subjective de l’auteur, d’ordre éthique sur les limites à apporter aux revendications familiales des homosexuels. Le débat auquel convie ce travail polémique s’inscrit dans l’air du temps et suscite l’intérêt des médias, il recoupe la bioéthique, à la fois les progrès de la génétique dans la recherche, et ses applications médicales. En contrepoint  pèse la médicalisation croissante de l’environnement social avec son corollaire, l’envahissant paradigme du principe de précaution. Les progrès, sur le plan scientifique, incontestables conduisent à des bouleversements de l’ordre familial qui semblent désintégrer les repères ancestraux. L’origine est une préoccupation religieuse constante. Ses mythes anticipent parfois les questions soulevées autour de la bioéthique, la Genèse préfigure le clonage avec Eve extraite directement des tissus d’Adam, ou Jésus conçu sans géniteur dans L’évangile. « Pour faire des enfants il ne faut plus un pénis mais du sperme ou une cellule reproductive mâle qui peut s’unir à une cellule reproductive femelle », expose le psychanalyste Serge Hefez dans une récente Tribune du Monde qui le confronte à Jean-Pierre Winter. L’évolution du droit familial ne fait pas seulement l’objet de l’intérêt constant des médias. Les difficultés liées à la procréation, affectent depuis toujours les couples hétérosexuels qui peuvent avoir recours à l’adoption, elles ne sont pas sans conséquences au niveau de la filiation. Paradoxalement la fracture généalogique est moins complète généralement dans les cas d’homoparentalité que dans l’adoption classique, envisagée comme un processus purement symbolique.


Hélène Korganoff

Mais la dissociation de l’engendrement et de la procréation qu’introduit notamment la PMA (procréation médicale assistée), en même temps qu’elle ouvre aux homosexuels la possibilité d’accéder à une position parentale, touche au réel : de nouvelles combinatoires prennent la place d’adjuvants traditionnels (le père n’est jamais certain) mais la division sexuelle reste irréductible, elle se déplace seulement au niveau de la cellule. Les homosexuels veulent éventuellement se marier et avoir des enfants. Peut-on les en empêcher? Peut-on reconnaître l’union (Pacs ou mariage) mais décourager la filiation? Bien sûr, traditionnellement l’engendrement préside à la filiation, c’est la position que défend Jean-Pierre Winter. Pour Serge Hefez au contraire, la filiation détermine l’engendrement.

Par ailleurs ne faut-il pas tenir compte d’une certaine dissymétrie entre homosexualité masculine et féminine qui n’ont pas les mêmes conséquences au niveau de la gestation? Les différents types de conception assistée paraissent plus anodins que la gestation pour compte d’autrui. C’est là que s’insère le champ de la loi que vise en priorité Winter. Mais dans le champ du droit aussi règne une certaine disparité. Le législateur français est plus restrictif en ce qui concerne les mères porteuses que dans d’autres pays avancés. La jurisprudence élargit donc le champ de la parentalité et prend en compte dans l’intérêt de l’enfant les réalités actuelles de la recomposition familiale. Plus largement les clivages politiques habituels sont brouillés, partisans et adversaires de l’homoparentalité se retrouvent à droite comme à gauche mais l’Eglise qui n’y est pourtant pas pour rien persiste à condamner les errements de la chair et ne soutient pas l’homoparentalité.


Bernard Balavoine

Jean-Pierre Winter rappelle dès le début de son ouvrage: « Les défenseurs de l’homoparentalité justifient leur demande d’une loi en leur faveur au nom de l’amour ». Il remarque « devant l’importance symbolique de la filiation, l’amour fait figure d’accessoire peu sûr » et certes la durée de ce sentiment est imprévisible et il n’est jamais dépourvu d’ambivalence. Mais justement, pour la psychanalyse le nom de l’amour c’est aussi le  transfert, ressort de la cure et il passe par la langue. Lacan énonce vers la fin de son enseignement : « la parenté … l’analysant ne parle que de ça parce que ses proches parents lui ont appris la langue » C’est un de ses derniers séminaires « L’insu que sait de L’Une-bévue s’aile à mourre” l’homophonie y préside, homoparenté ou homoparentalité, homophonie partielle, l’omission modale d’une syllabe met en jeu « cet impossible à dire ce qu’est la différence sexuelle » selon la formule de Winter. Prise au mot, la langue fait trou, c’est la trou-vaille du titre de l’ouvrage. L’équivoque est le principe du mot d’esprit, remarque Lacan dans le même séminaire. Il ajoute aussi que le Witz consiste : « à se servir d’un mot pour un autre usage que celui pour lequel il est fait. » A la fin du célèbre film de Billy Wilder « Some like it hot, » le vieux milliardaire amoureux de la chorus girl apprend que c’est un homme …« Personne n’est parfait ». Cette étourdissante réplique du vieux maître viennois laisse supposer qu’un  trait d’esprit n’est pas sans portée pour l’ordre sexuel qui préside à la filiation mais implique nécessairement la nomination.

Francis Cohen

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.