Jean-Richard Freymann L’art de la clinique

Les fondements de la clinique psychanalytique Collection Hypothèses, Éditions Arcanes-érès, 2013

Geneviève Kindo
Membre du Collège de direction de la F.E.D.E.P.S.Y.
Responsable des parutions d’Arcanes
Responsable de la bibliothèque

Geneviève Kindo a lu « L’art de la clinique »

« Dans ce livre, Jean-Richard Freymann nous invite à un grand périple à travers la clinique psychanalytique en empruntant un parcours bien balisé, jalonné d’arrêts à des points de vue soigneusement choisis qui se découvriront au fil de la lecture. Ces points de vue sont sans cesse articulés avec son expérience de psychanalyste, concernant en particulier le transfert, et accompagnés d’un certain nombre d’hypothèses dont chacune mérite d’être prise en considération. »
Ces quelques lignes ont été rédigées par Marcel Ritter, l’ami et le Maître, à qui Jean-Richard Freymann a confié la préface de son ouvrage, L’art de la clinique, édité aux éditions Arcanes-érès.
Le titre, à lui seul, appelle déjà une question. Comment définir cette clinique ? Mais le sous-titre, Les fondements de la clinique psychanalytique, apporte une précision. Son point de départ est bien spécifié : c’est l’expérience psychanalytique, la clinique des manifestations de l’inconscient, clinique fondamentalement différente de la clinique médicale, différente aussi de toute accumulation de savoirs.
L’ouvrage rend aussi hommage, en mettant en avant des liens de travail et de recherche, à plusieurs collègues estimés : Lucien Israël, Moustapha Safouan, Michel Patris, et bien sûr Marcel Ritter, qui a été présent pour les journées de travail autour de cet ouvrage.
À la première question posée à l’auteur afin de l’entendre nous expliquer « pourquoi cet ouvrage maintenant ? », J.-R. Freymann répond, et ses intentions sont clairement affichées :
Pour faire le point sur :

  • ce que fut la clinique du temps de Lacan et dans l’après-Lacan : « Je ne fais que reprendre les découvertes que j’ai pu croiser, les rencontres inouïes que j’ai faites, les amours que j’ai vécues et perdues, les Maîtres qui ne m’ont pas lâché et qui sont… derrière moi. » (p. 22) ;
  • ce que la clinique est devenue, ce que l’on peut en dire et en faire à présent : « La clinique psychanalytique dans ses spécificités doit être réinterprétée, retravaillée dans un contexte où le contenu manifeste est tout-puissant. Il s’agit de décristalliser l’écrit pour tenter de refaire émerger des nouveautés au sein des pensées latentes que, peut-être, on ne connaissait pas. » (p. 361) ;
  • mais aussi pour transmettre : « Pour les psychanalystes bien sûr, pour les psychiatres et les psychologues, pour les psychothérapeutes sans doute, mais aussi pour les gens de culture, il faut (sollen) avoir rencontré les mirages et les miracles de la clinique psychanalytique […] » ;
  • et pour que vive la psychanalyse : « Il faut faire retour à la psychanalyse pour des raisons vitales à l’humanisation, pour l’art et pour le métier ». 

Les textes qui composent L’art de la clinique ont été ordonnés selon plusieurs axes comme une évidence.
La première partie concerne la technique analytique. Voilà bien une spécificité de la psychanalyse, la pratique avant la théorie. On ne s’en étonnera pas puisque cette clinique est par essence liée à l’expérience psychanalytique. Mais comment entendre le terme « technique » dans le champ de la psychanalyse, champ de l’inconscient, de ses manifestations (rêves, psychopathologie de la vie quotidienne, vie amoureuse, vie de groupe…), de ses processus.
Clinique et pratique permettent de distinguer deux conceptions radicalement opposées de la clinique : d’une part quelque chose de général, de statique, basé sur des acquis, fruit des expériences antérieures – de Freud bien sûr, de Lacan –, sur quelque chose de tout à fait constitué ; d’autre part une manière dynamique partant du fait qu’une clinique ne cesse de se constituer dans une singularité mettant en jeu la parole d’une manière inédite, nouvelle à chaque fois.
Cette conception dynamique est celle de Jean-Richard Freymann : « Qu’est-ce qui le [le psychanalyste] pousse à soutenir, contre vents et marées, le tranchant de la singularité ? » Jean-Richard Freymann interroge la règle fondamentale, point de départ et mode d’emploi de toute cure analytique : « Quel statut donner à la règle fondamentale par rapport à l’émergence du discours analytique ? » en quoi l’analyste y est-il engagé, comment analysant et analyste y sont impliqués chacun d’une autre manière ; il interroge aussi l’interprétation dans la cure ; et la formation des analystes, ce qu’il en est du contrôle ; les modalités du transfert et son implication dans l’analyse, dans la lecture de la clinique. Une lecture de la clinique selon Sandor Ferenczi nous est aussi proposée.
La deuxième partie s’articule autour de la notion de structure, des faits de structures dans le rapport du sujet au désir, au lieu de l’Autre, au signifiant ; ces éléments qui interviennent dans la constitution du sujet et de son désir.
Qu’en est-il du désir ou de l’absence de désir, cette relation sujet-désir est étudiée pour chacune des structures à partir des trois termes que sont l’Autre (le grand), le corps et le phallus.
Pour la structure névrotique, l’auteur nous entraîne du côté de l’hystérie (où il s’agit de l’Autre, du désir de l’Autre confondu avec sa demande). Pour parler de l’hystérie, J.-R. Freymann cède aussi la place à Lucien Israël dont on sait combien « il a fait avancer les choses en introduisant de nouvelles clés de lecture » et dont de nombreux écrits se penchent sur cette structure.
Deux textes interrogent la perversion : « Questionner la perversion, c’est avant tout avoir recours à l’instance du fantasme en tant que le sujet y est lié à l’objet », cet objet qui, chez le pervers, est le regard. « Mais le pervers nous permet aussi de repenser la clinique psychanalytique, exemplaire est son interrogation sur le manque dans l’Autre et sur ses moyens de le parer. »
Pour la structure psychotique, l’auteur se tourne vers la mélancolie. Il émet une hypothèse (pour mémoire, « hypothèses » est aussi le titre de la collection) : « On pourrait formuler l’hypothèse que dans la mélancolie s’opère une sorte de suture entre l’objet a comme objet du fantasme ($>a) et ( i (m) ) comme image du Moi. » Il signale qu’un certain silence règne autour de ce sujet, qu’il est davantage question dans la littérature psychanalytique de moments mélancoliques dans la cure. « Quoi qu’il en soit, la mélancolie interroge la texture de l’Idéal du Moi et sa place structurale. »
Jean-Richard Freymann amorce cette partie sur les structures en émettant une hypothèse, celle d’une a-structure à propos de l’anorexie mentale. « Sommes-nous en train d’esquisser les arêtes d’une nouvelle structure qui trouveraient ses caractéristiques dans un symptôme spécifique, en un fantasme défini et en articulant les modalités d’un désir autre que prévenu, insatisfait ou impossible ? » Il détaille ce qui différencie anorexie hystérique et anorexie mentale, « la difficulté de l’anorexique à asseoir le manque ».
Nous trouvons également une réflexion autour de la lésion et de la psychosomatique avec des questions sur l’apparition possible d’une lésion : « Une lésion peut surgir en place d’un épisode délirant, d’un moment fécond, à l’endroit où une rencontre s’opère entre un pan du fantasme et une pointe de réel non symbolisable. […] Lésion comme défaut de symptomatisation. »
Dans la troisième partie, Jean-Richard Freymann interroge la théorie, en particulier la théorie du fantasme.
C’est bien l’articulation entre le désir et le fantasme qui constitue l’un des supports cruciaux de toute la démarche psychanalytique. Expérience de parole donc de désir, la psychanalyse inscrit sa spécificité dans une interrogation radicale sur l’énigme du désir, inconscient bien sûr, dont Freud pose les premiers jalons dans la Traumdeutung.
Le rapport du psychanalyste à la théorie est complexe. Quelle est la juste place de la théorie dans l’abord de la clinique ? Comme on peut le lire, c’est la pratique qui est première. Et c’est autour des Séminaires de Lacan que l’auteur interroge la théorie : « Chaque analyste, écrit-il, ne peut que tenter de se situer face à ces apports qui sont déjà les effets d’une certaine lecture de Freud et de Lacan. » Et un peu plus loin : « Le lien de l’analyste à la théorie n’est pas sans effet sur la cure analytique elle-même. » Le travail de théorisation de l’analyste ne peut être que dynamique, « il s’articule autour de l’Urteil, du jugement, face à la levée du refoulement. »… « Mais ce processus de théorisation ne peut être opérant que si la théorie analytique n’est pas interrogée comme un édifice clos ou en système linéaire. » Et en réponse à la question « comment l’analyste peut-il intégrer la théorie à la pratique ? », J.-R. Freymann précise que, pour Lacan, le discours théorique consiste à se rapprocher de la pratique, à partir d’une approche textuelle et référentielle.
Un échange, un questionnement adressé à M. Safouan à propos de la formation des analystes et de son ouvrage du même nom, nous donne à entendre ce qui permet – suite à une analyse didactique qui produit de l’analyste – une modification de l’économie libidinale, une modification de son désir : « C’est elle qui l’habilite à occuper la position qu’il prend en reprenant cette expérience au niveau d’autrui. (M. Safouan) »
Dans cette partie intitulée « théorie » sont développés les opérations de la constitution du désir par rapport au désir de l’Autre, le processus de symbolisation (dans une « symptomisation ») à partir du jugement d’attribution, le rapport de l’idéal du Moi avec le Moi idéal, les différentes formes d’atteinte du processus métaphorique.
La quatrième partie est une excursion du côté de la psychanalyse en extension, c’est-à-dire de la psychanalyse au-delà de la cure, du psychanalyste hors de son champ. Elle concerne la clinique entendue dans un sens plus étendu et consiste en une lecture psychanalytique de productions littéraires, d’œuvres d’art, de faits de société, du politique ou du philosophique. Le lecteur y traversera entre autres un essai sur la séduction, un commentaire de la tragédie de Médée, une étude du rapport de l’homme à la Terre et deux textes sur le totalitarisme.
Certains pourraient penser que ce n’est pas la place de l’analyste. J.-R. Freymann quant à lui est convaincu de ce que l’analyste y a sa place, non pas pour faire une psychobiographie ou de la psychosociologie, mais en y apportant une réflexion éthique « qui peut servir de guide lorsque tous les imaginaires s’affrontent ou s’effondrent ».
Dans cette lecture il n’est bien sûr pas question d’interprétation mais d’une lecture  nouvelle, d’une interrogation, d’un regard sur l’Umwelt.
Enfin la cinquième partie permet de revenir aux formations de l’inconscient comme création. L’aspect créatif de la psychanalyse est ici mis en valeur, en relief, dans le rêve ou dans le mot d’esprit. « Le désir inconscient est un mystère pour l’analysant ; et pourtant, à parcourir les boucles de la cure analytique, le volet créatif peut désincruster l’automatisme de répétition. » Le texte sur le Witz permet de préciser ce qu’est une interprétation analytique ; avec ce texte nous sommes de plain-pied dans la création, dans la lecture dynamique constituante de la clinique, « il faut « cliniquer » » disait Lacan dans « l’ouverture de la section clinique » le 5 janvier 1977. La psychanalyse n’est-elle pas un art ?
La voix, sa place dans la cure, son lien avec le transfert « l’amour est aveugle mais non pas aphone », la voix devenue surmoi quelquefois féroce, est interrogée autour des silences d’une cure.
Le livre s’achève par un retour sur la structure, avec une question sur la normalité et fait lien avec la psychanalyse en extension : « Ainsi, le discours analytique tranche d’avec les autres discours, pour peu que ce qui l’agence soit un dispositif de perte. C’est bien en quoi la normalité en psychanalyse se pose dans des termes nouveaux. Ainsi, s’il existe une normativation œdipienne comme référent à la psychanalyse, celle-ci fait radicalement rupture avec les autres normalités. Bien sûr, suivant le lieu où le destin nous pose, suivant l’espace culturel dans lequel nous nous retrouvons, le bain langagier vient à agir de manière différente. » Peut-on parler d’une structure normale ? Que serait la normalité ? La normalité existe-t-elle ?
Profondément ancrée dans un travail de recherche à partir de la théorie freudienne et lacanienne, cet ouvrage redéfinit la portée de la clinique psychanalytique par rapport à toutes les psychopathologies et donne de nouvelles voies thérapeutiques.
Pour terminer, je voudrais citer Lucien Israël – un des Maîtres de J.-R. Freymann et dont il est le légataire ; cet extrait de l’avant-propos de Boiter n’est pas pécher me paraît coller au plus près de l’intention de cette parution : « Message ou poème, l’écrit marque, que nous le voulions ou non, une scansion. C’est donc parfois pour échapper à cette coupure que l’auteur tente de conserver son œuvre, de la « réintrojecter », comme pour la récupérer. Mais lorsqu’il s’agit de mettre en lieu sûr des souvenirs ou des travaux comme des biens précieux, l’écrit a alors la fonction d’un coffre-fort. Il sert à conserver. » Et ce qui suit : « Il est pourtant souhaitable que l’écrit soit scansion et départ pour une nouvelle tranche de vie. » (L. Israël)
Ces quelques lignes rejoignent l’intention clairement affichée par l’auteur dans l’introduction : « Nouons et renouons avec la clinique psychanalytique et que vivent l’inconscient, les désirs au-delà de la répétition. » (p. 22) et, dans l’épilogue, son souhait (désir ?) : le « retour à… » ces textes comme « désacralisation de l’écrit en le remettant en circulation. »

J.-R. Freymann est à l’initiative de la création, en 2000, de la Fédération européenne de psychanalyse (FEDEPSY) et de l’École psychanalytique de Strasbourg (EPS) ; ses enseignements actuels, les séminaires de travail et de recherche nous paraissent « fondés » sur les textes réunis dans cet ouvrage, les prolonger. D’autres ouvrages parus, traces écrites de ces séminaires : L’Amer Amour (2002), La naissance du désir (2005), Éloge de la perte (2006)… en sont la marque, une conséquence. Témoignage(s) d’une nouvelle tranche de vie ?
En écrivant ces quelques lignes, j’ai souhaité, d’abord et surtout, m’attacher à « l’esprit » de l’ouvrage, aux motivations de Jean-Richard Freymann, au contenu bien sûr ; il m’est venu l’idée, alors que nous préparons la prochaine publication d’un ouvrage avec des textes cliniques de Lucien Israël, que leurs écrits fonctionnaient bien ensemble, qu’une tresse, avec des brins très personnels, s’était nouée.

Geneviève Kindo

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