Laurence Croix « Le Père dans tous états » Le Père, les paternités, le patriarcat

Editions Boeck, 2011

Max Kohn
Univ Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, CRPMS, EA 3522, 75013, Paris, France, psychanalyste membre d’Espace analytique, psychanalyste à la Maison de la mère et de l’enfant à Paris (Fondation Albert Hartmann, Société Philanthropique).

Site : www.maxkohn.com

Max Kohn a lu « Le Père dans tous états »

Le livre de Laurence Croix a été écrit avec la participation d’Amin Hadj Mouri, Patrick Landman, Jean-Pierre Lebrun, Sylvain Pineda, Silke Schauder et Elisabeth Zucker-Rouvillois. Ce livre part de la question « qu’est-ce qu’un père ? » à distinguer de « qu’est-ce qu’être un père ? » qui se réfère plutôt à ce qu’il doit ou devrait être.

La place du père est idéalisée et ceci est lié à toute une histoire de la paternité telle que peuvent le décrire Jean Delumeau et Daniel Roche(1). Le père est-il exclusivement un homme ? Une mère ne peut-elle pas être un père, si le père est une fonction ? Il n’y a pas forcément d’identité entre la fonction biologique et la fonction sociale de père. En reprenant le concept de père de la horde primitive dont parle Freud dans Totem et tabou(2), Laurence Croix explique que dès l’origine des temps le père est déjà « mort ». Le père est une fonction, ce n’est pas quelqu’un. C’est la réforme catholique qui a introduit le père non seulement comme procréateur mais aussi comme éducateur.

Laurence Croix part de la nostalgie du patriarcat qui fait qu’il y a une nostalgie d’un père archaïque alors que la fonction dévolue à l’homme nommé père est de garantir la transmission de la loi qui est le support inconditionnel du désir. L’enfant ne se structure pas psychiquement par rapport au père en tant que tel mais par rapport au signifiant du manque dans l’Autre, celle ou celui qui sera en place de mère. La fonction du père consiste à désigner le signifiant du manque dans le grand Autre et ce père se retrouvera dès lors signifiant dans tous les processus qui vont pouvoir s’y articuler. Ce n’est pas un signifiant particulier mais la signification phallique de la demande maternelle en général.

Le livre de Laurence Croix aborde donc cette idée d’un père primitif, forme primitive de la fonction paternelle qui n’est que le signifiant du manque et réinscrit l’apport de la psychanalyse à travers Freud et Lacan dans la société actuelle. Il y a une sorte de caractère « anhistorique » du père. Le monothéisme a introduit une divinité dans le judaïsme qui est le garant de la loi qui prend la figure du père dans le christianisme avec une idéalisation absolue de la paternité et qui disparaît dans l’islam au profit de la fraternité. Ce sont là des thèmes qui sont développés par Patrick Landman dans un  passage de  ce livre. Patrick Landman ne traite que du père dans le judaïsme, Laurence Croix développe les dérives idéologiques chrétiennes et Amin Hadj Mouri, la disparition de la notion dans l’islam.

Après un historique des pères mythiques et des pères dans le monothéisme, Laurence Croix s’intéresse aussi à ce qui se passe aujourd’hui autour de la reconnaissance strictement biologique de la paternité qui peut conduire à des dégâts considérables, comme elle le montre d’ailleurs en donnant des exemples. C’est aussi ce que développe Jean-Pierre Lebrun dans un des chapitres de l’ouvrage. À la question posée au départ « qu’est-ce qu’un père ? » la biologie peut répondre : « des caractères génétiques ». C’est un peu court et assez dangereux.

À sa question « qu’est-ce qu’un père ? » une des conclusions à laquelle Laurence Croix parvient à la fin de son livre est que le père n’existe pas. On peut le rapprocher de ce que disait Lacan autour de la femme qui n’existe pas. Au fond, il y a des sujets et ils font comme ils peuvent pour produire du père.

Max Kohn

_________________________________________________________________________

(1) DELUMEAU, Jean et ROCHE, Daniel, Histoire des pères et de la paternité, Paris, Larousse, coll. « In Extenso », 2000

(2) FREUD, Sigmund (1913), Totem et tabou. Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, Paris, Petite Bibliothèque, Payot, 1971

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.