Sous la direction de Laurence Croix et Gérard Pommier Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités

Editions Ères, collection Point hors ligne, 2017

Françoise Hermon

Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du Cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié dans la revue Patio N° 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ».
En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Ces dernières décennies ont apporté des modifications radicales dans le mode d’agencement des familles et les études sur le genre initiées par Gayle Rubin et Judith Butler exigent des psychanalystes qu’ils remettent en question leur point de vue sur des concepts fondamentaux. Le complexe d’œdipe et l’ordre symbolique doivent être revisités suite à la sérieuse remise en cause de l’emprise patriarcale; la psychanalyse ne peut se dérober à cette obligation.

Cet ouvrage à plusieurs voix et multiples points de vue se révèle une aide précieuse pour tous ceux qui se sentent prêts à se laisser déstabiliser et à prendre acte des nouveaux faits de société.
Mariage pour tous, Pacs et homo parentalité ont changé nos façons d’appréhender ce qui peut faire famille; les revendications transsexuelles mettent en péril ce qui pouvait nous laisser croire que les différences sexuelles anatomiques entre hommes et femmes se maintiendraient comme point de butée inattaquable, contrairement à l’assertion freudienne, l’anatomie pourrait cesser d’être le destin.
Les perspectives anthropologique et sociologique étayent et recoupent de manière pertinente les écrits que nous offrent les douze psychanalystes qui ont contribué à la revue, mais afin de clarifier la complexité du propos je me résous à ne citer que quatre d’entre eux parmi les plus emblématiques.

Dans la première partie de l’ouvrage intitulée « Les fondamentaux de la psychanalyse, », Laurence Croix s’appuie très largement sur les « Trois essais sur la théorie sexuelles» de Freud pour analyser :
« Les aberrations »du naturalisme, du sexuel et des familles.
D’entrée de jeu elle remet les choses au point en affirmant:
« Le genre tente de dénaturaliser la différence des sexes, tout comme la psychanalyse s’y est employée. Cependant, dans la théorie freudienne, la découverte de la différence des sexes (anatomique) n’est pas niée, elle est à l’inverse une étape majeure de la structuration psychique. La théorie psychanalytique ne nie pas les constructions de genre, bien au contraire elle peut aller encore plus loin ».
Pour une écoute psychanalytique, les sexualités sont toujours erratiques entre le masculin et le féminin du fait de la bissexualité psychique.
Les familles sont nécessaires à la construction psychique de l’enfant mais c’est l’enfant qui fait famille et les fonctions maternelle et paternelle, peuvent être exercées par les hommes et/ou par les femmes dans des couples homo ou hétéro, et par des membres extérieurs au couple et à la famille.
Dans tous les cas, les enfants se refusent à voir dans leurs parents des êtres sexués. L’auteure avance que le sujet est fondamentalement a-sexué.
Par ailleurs la première altérité, celle qui permet de se constituer comme séparé du corps maternel n’est pas une différence liée au sexuel ni au genre.
Laurence Croix précise les différents types de désirs d’enfants, qu’ils émanent d’un sujet masculin aussi bien que féminin; elle souligne la disjonction de tous temps existante entre l’acte de procréation, le désir d’enfant et les sexualités.
La découverte par l’enfant de la différence des sexes est prétexte à la subordination féminine, et c’est pour sortir de cet assujettissement que s’est constituée la lutte des féministes.

Le seconde partie de la revue traite des dites minorités sexuelles, de leur droits et de leur rapport au pouvoir qui s’exerce sur les corps, Michel Foucault y est souvent cité. Tous les écrits sont riches et singuliers; ils méritent  une lecture approfondie mais leurs diversité m’empêche de vous en rendre compte. Je me limiterai donc à ne parler que du troisième volet de cette étude.

Qestions d’avenir pour la psychanalyse.
Thamy Ayouch y développe la  question dans toute sa radicalité dans un article qu’il intitule: genre, classe « race »et subalternité. pour une psychanalyse mineure.
Il ne mâche pas ses mots et vilipende l’attitude de certains psychanalystes qui fondent leur diagnostic sur le point de vue de la santé mentale décidant de la norme à partir d’une fonction psy qui pose la loi phallique comme régissant un ordre assimilable au médical.
Il s’agit d’un article militant, précis et très documenté qui permet de décaler sensiblement le point de vue habituel de la psychanalyse Son exigence intransigeante en rend la lecture salutaire pour déloger toute certitude rétrograde et paresseuse.

Gisèle Chaboudez et Gérard Pommier concluent la revue à travers un point de vue plus classiquement psychanalytique mais chacun dans son style apporte du nouveau.

L’avenir de la fonction phalliqueest un sujet qui se situe en plein cœur du débat et c’est avec une grande subtilité et non moins grande précision que Gisèle Chaboudez s’attaque à la question. Cet organisateur du rapport social entre les sexes doit être revisité dans ce qu’il instaure de hiérarchie, que ce soit implicite ou explicite.
Elle souligne que le primat du phallique a des effets néfastes que le déclin du patriarcat ne suffit pas à annuler.
« Freud garda cependant cette idée que l’actif et le passif sont pour l’inconscient équivalents du masculin et du féminin » souligne t-elle mais elle ajoute que Lacan a inversé les choses si l’on veut bien le lire avec patience et elle le cite disant que la logique du fantasme qui assimile le pénis au phallus « est une fiction simplette sérieusement en voie de révision ».
Pourtant il n’est pas sûr que nous soyons actuellement sortis de cette bluette et le chemin se révèle plein d’embuches, nécessitant délicatesse et détermination, des qualités qui ne manquent pas à cet article. Jamais lapidaire, tout en reconnaissant que les revendication féministes et les études sur le genre puissent s’avérer « faire mouche autrement, voire autrement faire mouche », elle regrette leur méconnaissance de « ces recoins encore mal connus du corpus psychanalytique actuel. »
Les différents écrits que vous découvrirez à la lecture de cet ouvrage envisagent pour beaucoup l’avenir de ces concepts majeurs de la psychanalyse que sont l’interdit de l’inceste et le complexe d’œdipe.
Une note d’espoir pour ceux qui longtemps ont médité le célèbre aphorisme de Lacan « il n’y a pas de rapport sexuel », Gisèle Chaboudez ouvre une perspective de sortie de l’impasse grâce au possible passage de l’autre jouissance à la jouissance phallique, circulation que rend possible l’amour
Gérard Pommier clôt cette brillante dernière partie avec un essai puissamment inspiré intitulé : Que seraient les structures élémentaires de la famille?
L’amour tant décrié pour son statut imaginaire et narcissique se voit attribué une valeur hautement symbolique et l’auteur nous permet un regard vraiment neuf sur l’œdipe, le père, la mère, l’inceste, le rôle fondamental du choix inconscient de l’enfant et de ces stratégies pour sortir de la mère crocodile et du père violeur (« Il faut à tout prix fuir l’inceste paternel, rejeter le père de la maison et même jusqu’aux cieux » ), à travers des imagos vivantes dynamisantes et lyriques prouvant qu’invention et passion n’ont de cesse d’ œuvrer à l’avenir des pratiques et théories de la psychanalyse.

Dans cette revue dédicacée A nos enfants Laurence Croix écrit en tête de son article Allons enfantspuis elle reprend le titre d’un film sur lequel elle s’appuie pour ajouter avec humour: The kids are all right .
Emportés par cet élan pourrionsnous ajouter avec Gérard Pommier Le féminin révolution sans fin ?
Voilà un ensemble de textes qui considèrent le présent avec lucidité, l’analysent avec sérieux et regardent l’avenir avec courage et détermination.
Bravo à ces auteurs qui n’ont pas froid aux yeux!

Françoise Hermon

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