Sous la direction de Laurence Joseph et Céline Masson

Résumé des Œuvres complètes de Freud, Tome IV (1920-1939) Editions Hermann, Collection Psychanalyse, 2009

 

Suzanne Ferrières-Pestureau, ouvrages :
« L’originaire dans la création,
Ou comment les impressions infantiles influencent-elles les créations de l’adulte? »
A Book Concept impression Distribution Edition (ABCIDE) 2008.
« De la sentation à l’idée, l’émergence hallucinatoire d’un fond énergétique chez le créateur »,
in illusion, vision, hallucination, in Champ psychosomatique, Médecine – Psychanalyse – Anthropologie. l’Esprit du Temps, 2007 – N° 46.
« La métaphore en psychanalyse », Préface M. Scheider, l’Harmattan, 1994.
« Une étude psychanalytique de la figure du ravissement dans l’oeuvre de M. Duras »,
naissance d’une oeuvre, origine d’une style, Préface de M. Ledoux, l’Harmattan, 1977.

Suzanne Ferrières-Pestureau à lu …
Résumé des Œuvres complètes de Freud,  Tome IV (1920-1939)
Sous la direction de Laurence Joseph et Céline Masson
Editions Hermann, Collection Psychanalyse, 2009.

La parution du quatrième et dernier tome, du Résumé des Œuvres complètes de Freud  aux Editions Hermann, marque la fin d’une longue aventure, initiée par Céline Masson et Laurence Joseph, qui consista à  présenter, selon un ordre chronologique, l’évolution de la pensée freudienne à partir des tournants et des remaniements de sa théorie autour des années 1905, 1914 et 1920, en restant au plus près des textes y compris de ceux qui sont moins connus, sans  intention critique et sans commentaire explicatif.

Avec ce quatrième et dernier tome du Résumés des Œuvres complètes de Freud, nous pénétrons dans la  dernière période de la vie de Freud où la dure réalité des souffrances physiques n’entame en rien le travail de découverte et les remaniements qu’il implique. L’ouvrage s’ouvre sur L’Au-delà du principe de plaisir publié en 1920 qui s’inscrit dans la continuité des Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique de 1911, de Pour introduire le narcissisme de 1912 et de Pulsions et destin des pulsionsde  1915.

La première ébauche de L’Au-delà du principe de plaisir remonte au printemps 1919, époque pendant laquelle Freud rédige le texte sur L’inquiétante étrangeté publié à l’automne 1919 dans lequel apparait déjà le terme de « contrainte de répétition ». L’Au-delà du principe de plaisir occupe une place essentielle parmi les grands écrits métapsychologiques de  Freud,  dans la mesure où il marque un tournant décisif dans sa conception du fonctionnement psychique avec l’introduction de la pulsion de mort et ouvre des perspectives sur des conceptions nouvelles qui prendront forme au cours des années suivantes. Bien que ce concept de pulsion de mort fut critiqué par la  communauté analytique dés son apparition, à l’exception d’Alexander, Eitington et Ferenczi  qui y souscriront,  Freud ne renoncera pas à poursuivre sa quête de la vérité. En s’étayant sur une pratique clinique qui contredit souvent le principe de plaisir, il postulera l’existence d’un conflit plus élémentaire que le principe de plaisir : un conflit fondamental entre une pulsion de vie et une pulsion de mort dès l’origine.

Avec Psychologie des foules et analyse du moi paru en 1921, Freud pose la question d’une application possible des connaissances acquises au niveau de la psychologie individuelle à la psychologie des foules et réciproquement.  Puisant largement dans l’ouvrage de Le Bon, Psychologie des foules (1895), Freud tente d’apporter des explications plus satisfaisantes aux descriptions de cet auteur avec les outils de la psychanalyse et notamment à partir de sa théorie de la libido. Il démontre que seul le lien affectif est en mesure de surmonter  à la fois les narcissismes individuels  et la haine qui séparent  les hommes. Mais ce lien libidinal affectif n’est pas de l’ordre d’un amour sexuel  évolué mais d’une forme primitive d’amour – inhibé quant à ses buts sexuels – qui est « une identification  directe et immédiate antérieure à tout investissement d’objet ». Reprenant Totem et tabou (1912-1913) Freud considère que les relations entre la foule et son meneur sont la reviviscence des relations entre le fis et le père de la horde primitive et qu’après le meurtre du père, celui-ci est remplacé par le héros que célèbre l’imagination du poète.

L’écriture du Moi et le ça en 1923 présente une synthèse des hypothèses avancées au tournant des années 1920 dont il ressort que le premier modèle de division du psychisme en inconscient – préconscient – conscient, correspondant à la première topique, ne suffit plus à rendre compte du fonctionnement psychique. Freud va l’élargir en prenant en compte les résistances que le moi oppose à la prise de conscience au cours de la cure, ce qui va l’amener à introduire sa deuxième topique divisant le psychisme en trois instances, le moi, le ça et le surmoi. Loin de s’exclurent l’un l’autre,  ces deux modèles sont complémentaires dans la mesure où ils décrivent les phénomènes psychiques selon  des points de vue différents: notamment concernant le but de l’analyse où en terme de première topique ; il s’agira de rendre conscient ce qui est inconscient et en terme de seconde topique ; de faire advenir le moi là où était le ça. La notion de moi, présente dés le début de l’œuvre, désignait la personne consciente. Le moi à partir de 1923 est envisagé comme une « instance de régulation » des phénomènes psychiques possédant, comme le ça et le surmoi, la qualité d’être à la fois conscients et inconscients. Le moi devient l’agent régulateur des exigences du ça (réservoir pulsionnel) et du surmoi. Dés lors les tensions conflictuelles qui surgissent entre  le moi, le ça et le surmoi, chacune de ces instances ayant des exigences  inconscientes contradictoires, vont avoir une influence durable sur la formation de la personnalité. Dans le prolongement des réflexions entreprises en 1921 avec Psychologie des foules et analyse du moi,  Freud, à partir du constat repéré dans la mélancolie où le moi passe de l’investissement à l’identification, en vient à penser que la personnalité d’un  individu et son caractère résultent d’une succession d’identifications dont la première est une identification au père de la préhistoire personnelle. Ces diverses identifications se mettent en place autour du complexe d’Œdipe où les investissements sur les parents sont progressivement abandonnés et remplacés par des identifications qui forment une structure complexe, dans la mesure où le père et la mère sont à la fois objet d’amour et de rivalité selon les dispositions sexuelles de l’enfant, la bisexualité intervenant là dans le dénouement de l’Oedipe. Freud insiste dans ce texte sur le rôle décisif du conflit fondamental entre pulsion de vie et pulsion de mort à partir de son expérience clinique où il observe ce qu’il nomme une « réaction thérapeutique négative » consécutive à une amélioration du patient. Freud voit dans cette préférence de la souffrance à la guérison, l’expression d’un sentiment de culpabilité inconscient très difficile à mettre en lumière. Il fait  alors intervenir le concept de désunion pulsionnelle pour rendre compte du rassemblement des pulsions de mort dans le surmoi du mélancolique. Cette désunion pulsionnelle est consécutive  au fait que la composante érotique n’a plus la force de lier la totalité de la destructivité de sorte que celle ci devient libre comme tendance à l’agression et à la destruction. C’est de cette désunion entre pulsion de vie et pulsion de mort que le surmoi tirerait sa dureté et sa cruauté envers le moi. Si dans la mélancolie tout le sadisme est allé vers le surmoi, attaquant le moi et y faisant régner une « une pure culture de la pulsion de mort », chez l’obsessionnel il n’y a pas de passage à l’auto destruction dans la mesure où le maintien de l’objet protège le moi.

L’année suivante  parait le texte sur Le problème économique du masochisme (1924) dans lequel Freud poursuit sa recherche sur la nature du masochisme où la douleur et le déplaisir sont des buts qui paralysent le principe de plaisir, gardien de notre vie psychique. Freud commence par redéfinir le principe de plaisir sur des données nouvelles reposant sur les trois principes qui sont à la base de la régulation du fonctionnement psychique : le principe de Nirvana qui tend  à ramener l’excitation à zéro, le principe de plaisir qui effectue la liaison entre pulsion de vie et pulsion de mort et enfin le principe de réalité  qui permet de différer le plaisir en tolérant temporairement le déplaisir.

Freud distingue alors trois formes de masochisme : Le masochisme féminin, comme expression de l’être de la femme, est, dans le cadre de la théorie de la bisexualité, une possibilité repérable dans les fantasmes où prédomine le souhait d’être attaché, battu, maltraité, humilié et aboutit à la masturbation ou constitue en elle-même la satisfaction sexuelle. Ce masochisme féminin  qui appartient aux deux sexes, repose sur le masochisme primaire érogène, qui dans l’esprit de Freud est une condition à la base de la perversion masochiste et qu’on retrouve aussi dans le masochisme moral ; à savoir la liaison du plaisir à la douleur.

Le masochisme primaire érogène correspond à la plus originaire des intrications pulsionnelles où la libido dans sa rencontre avec la pulsion de mort tente de la lier en s’unissant à elle. Cette intrication pulsionnelle correspond à l’érotisation de la destructivité issue de la pulsion de mort donc du déplaisir qu’accompagne cette destructivité, ce qui est l’essence du masochisme.

Dans le masochisme moral la souffrance recherchée est liée à un sentiment de culpabilité inconscient qui est l’expression d’une tension entre le moi et le surmoi et d’une resexualisation du complexe d’Oedipe  à la suite d’une régression au conflit œdipien et du désir incestueux qui l’accompagne, entraînant  le sentiment d’avoir commis une faute pour laquelle le sujet doit être puni par le représentant paternel.

Freud a soixante dix ans lorsqu’il écrit Inhibition symptôme et angoisse  (1926). Faisant appel à des hypothèses novatrices concernant sa conception de l’angoisse, laquelle reposait précédemment sur une conception biologique du mécanisme de l’apparition de l’angoisse, il considère alors l’angoisse comme un affect éprouvé  par le moi face à un danger qui en dernière analyse est toujours une crainte de séparation et de perte de l’objet. Freud articule son argumentation autour de  la distinction entre différents types d’angoisse : l’angoisse devant un danger réel ; l’angoisse automatique déclenchée par une situation traumatique qui submerge le moi impuissant, l’angoisse-signal provoquée par une situation de danger dans laquelle le moi est devenu capable d’anticiper ce danger.  Dans ce texte, dont la lecture est parfois difficile, Freud remet en question le fait que ce serait le refoulement qui produirait l’angoisse, il change d’avis et démontre que c’est l’angoisse qui produit le refoulement. Il avance l’idée que la formation des symptômes et des défenses vise à éviter au moi de percevoir l’angoisse. Les Addenda puis la Conférence sur l’angoisse de 1933 viendront synthétiser et clarifier les formulations freudiennes les plus fondamentales sur le sujet.

A partir de 1926 Freud va repenser le lien social, le travail de culture et la civilisation en prenant en compte sa découverte de la pulsion de mort et son alliage avec la pulsion de vie : D’abord dans L’avenir d’une illusion (1927) où il s’interroge sur le besoin d’illusion qui porte l’homme vers la religion face aux dangers de l’existence et où il réaffirme sa confiance inébranlable dans la science dont les lois peuvent être remises en question, ce qui n’est pas le cas de la religion.

Puis en 1930, dans Malaise dans la culture où il réaffirme son athéisme et se lance dans une synthèse audacieuse qui met en perspective l’équilibre précaire de l’être humain dans une civilisation destinée à le protéger, et qui paradoxalement risque de le détruire. Ce texte sombre mais tellement lucide  trouvera, dans sa réponse à Einstein Pourquoi la guerre en 1933,  la réaffirmation, que tout ce qui promeut le développement culturel, œuvre contre la guerre.

Prenant ses distances avec Rank et Ferenczi à propos de conceptions différentes concernant la question du transfert et le temps des séances,  Freud publie la même année (1937) deux écrits techniques Constructions dans l’analyse et L’analyse avec fin et l’analyse sans fin. Dans le premier texte il revient sur la question de la validité des constructions qui s’effectuent au cours de l’analyse et montre que les interprétations de l’analyste sont des hypothèses proposées au patient, hypothèses qu’il reviendra au patient de confirmer. Dans le second texte Freud s’interroge sur les obstacles qui empêchent la liquidation du transfert et la terminaison de l’analyse et en vient à postuler l’existence d’un roc d’origine sous la forme du refus du féminin dans les deux sexes.

Le 3 juillet 1938, sous la pression de ses amis et avec l’aide de Marie Bonaparte, Freud après bien des hésitations se résout à quitter l’Autriche et s’installe à Londres où il se remet aussitôt au travail et termine la troisième et dernière partie de L’homme Moïse et la religion monothéiste, son œuvre testamentaire. Ce texte s’inscrit à la fois dans le prolongement de Totem et tabou dans la mesure où Freud attribue au meurtre de Moïse par les Hébreux une valeur analogue au meurtre du père de la horde, mais également dans le sillage de L’avenir d’une illusion, par le sens sacrificiel qu’il attribue au meurtre, dans lequel il voit l’origine lointaine du christianisme. Les questions soulevées dans ce texte, au-delà de son approximation historique, sont restées d’une actualité brûlante tant dans le domaine de la religion que dans celui de la science. 

L’un des grands mérites de ce travail accompli par  Céline Masson et Laurence Joseph, en collaboration avec Anne Brun, Robert Samacher et Jean Triol pour ce quatrième tome, réside dans la volonté de ne laisser aucun texte dans l’ombre et d’accorder une large place aux échanges épistolaires de Freud avec ses principaux interlocuteurs : Fliess, Jung, Abraham, Ferenczi ou Lou Andréas Salomé mais aussi d’André Breton, Thomas Mann ou Romain Rolland pour ne citer qu’eux.

La clarté du résumé des textes introduits par les échanges épistolaires avec les principaux correspondants, facilite l’approche de cette œuvre passionnante et nous restitue le mouvement même qui anima son élaboration en la resituant dans son contexte historique et dans la trame des évènements  de la vie même de Freud dont la correspondance témoigne.

On ne peut que conseiller la lecture de ce Résumé des Œuvres complètes de Freud à tous ceux qui souhaitent découvrir, se familiariser où approfondir une  œuvre dont l’héritage est resté vivant et qu’il convient de perpétuer pour continuer de penser avec Freud le malaise dans la civilisation, tel qu’il se manifeste aujourd’hui au sein de notre société à la lumière de ce « travail de la culture » (kulturarbeit) dont parle Freud dans sa XXXI ème Conférence d’introduction à la psychanalyse de 1933, et qui est l’un des points forts de son Moïse et le monothéisme. Freud sans renoncer à son pessimisme y admet la possibilité  d’un progrès de l’esprit chez l’individu dans la mesure  où cet individu devient capable, par la psychanalyse notamment,  de regarder avec lucidité son rapport intime au mal et de découvrir combien sa satisfaction pulsionnelle peut le conduire dans ces zones inquiétantes où elle fait de lui l’ennemi de la société.  Vaste programme auquel nous convie la lecture de ce quatrième tome de Résumé des Œuvres complètes de Freud.

Suzanne Ferrières-Pestureau

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.