Laura Pigozzi Mon enfant m’adore, enfants otages et parents modèles

Editions érès

Article rédigé par : Danièle Epstein

Danièle Epstein

Psychologue clinicienne, psychanalyste, membre du cercle Freudien. Auteur de « Pour une éthique clinique dans le cadre judiciaire » (ed Fabert). « Dérives adolescentes, de la délinquance au djihadisme », Edition érès, Prix Oedipe 2017.

Site : http://epstein-psy-meudon.monsite-orange.fr/

« La famille quelle que soit sa composition a le devoir de reconnaître un enfant somme sujet du monde ». D’emblée, Laura Pigozzi pose la famille comme nécessaire lieu d’ouverture au monde, faisant ainsi écho à Pierre Legendre « Venir au monde, ce n’est pas seulement naître à ses parents, c’est naître à l’humanité ».

Cet ouvrage  ose battre en brèche le mythe de l’amour inconditionnel et  de la « Bonne- Mère-nature » pour soutenir que « la famille est rupture du naturel ». Au travers des compositions, décompositions, recompositions familiales, c’est la place de la famille et de la mère pour l’enfant qui est ici questionnée. Au-delà du lien biologique mère-enfant, au-delà du réel biologique de la « mise au monde », comment  des mères « parfaites », désignées sous le signifiant « plus-maternel », viennent-elles faire barrage à la mise au monde culturelle et symbolique d’un Sujet ? Il est donc question dans ce livre des liens de nature et des liens de culture, des « liens de sang » et des « liens d’alliance »

Cet ouvrage très actuel met la loupe sur le devenir de ces enfants, enfermés dans un « plus-maternel », kidnappés par ces mères qui placent leurs enfants dans une « jouissance hypnotique et toxique », face à l’extérieur considéré comme hostile et dangereux. La famille-refuge est celle qui se défend contre l’altérité, contre la différence, qui fait bloc contre l’extérieur. Laura Pigozzi parle de « claustrophilie domestique ». Il ne s’agit pas là de mère suffisamment bonne -au sens où Winnicott évoque « the good enough mother », celle qui au travers de ce « enough » laisse la place au manque et au désir- mais d’un excès d’amour, d’un trop, qui prend la place du manque et s’oppose à l’émancipation de l’enfant.

Des mères captent l’enfant affectivement, corporellement, érotiquement, usent et abusent de leur enfant. S’il est fréquent d’entendre parler de pères abuseurs, on dit de ces mères qu’elles sont abusives, comme si la captation n’était qu’affective, alors que l’érotisation et la sexualisation du corps à corps est de tous les instants : partage sensuel du même lit, allaitement illimité, baisers sur la bouche participent du climat incestuel inhérent au trop d’amour : « Un parent qui se laisse adorer exerce une forme de violence physique hautement sexualisée, même si elle n’est pas agie sexuellement ». Ce lien exclusif et excluant, qui ne laisse pas place à l’autre, Laura Pigozzi n’hésite pas à le mettre sur le compte d’une maltraitance : « ces enfants ne pensent même pas à s’opposer à cette invasivité, car c’est une colonisation qui s’intalle, sous le couvert de la paix et du bien ». Ces mères Pygmalion fabriquent un enfant qu’elles modèlent à leur image. Il n’y a pas d’écart possible, pas de place pour une fonction tierce, le monde est clos et la symbiose mère-enfant devient le seul horizon de vie : « Le parent Pygmalion fabrique non pas des liens, mais des lacets », des lacets qui attachent l’enfant à sa mère, des lacets qui peuvent devenir des nœuds coulants quand celle-ci n’aide pas l’enfant à se libérer de l’érotisation du corps maternel.

« Le rapt psychique » est dévastateur. L’enfant-otage, à la merci de l’Autre, ne peut faire « l’expérience du déclin de l’objet », il ne peut déchirer le voile du « bon objet maternel », quand la mère ne veut rien savoir de sa duplicité structurale. Il y a là, nous dit Laura Pigozzi, quelque chose du syndrome de Stockolm où le séquestreur devient objet de gratitude, puis d’amour, dans une relation archaïque non symbolisée. L’enfant-otage est prêt à tout pour rester dans le giron de l’autre tout-puissant. Ce qui n’est pas sans effet sur « l’architecture globale de la civilisation », sur le lien social et amoureux futur de l’enfant ainsi tenu dans l’obéissance et la dépendance de l’autre. L’enfant-inclus, interdit d’échappement, ne peut accéder à la liberté de pensée, à la création. Il est ainsi condamné à une «assimilation hypnotique » et à répéter à l’identique, sans transformation : « Travail de civilisation et claustrum familial sont incompatibles ». Des enfants devenus adultes  restent figées dans cette position subjective de victime, s’y identifient, prisonniers de ce rôle. La psychanalyse, contrairement aux associations de victimes, travaille à la dé-victimisation autour du point nodal où la structure subjective rencontre la jouissance du signifiant «  victime ».

L’appropriation de l’enfant par la mère est ici facilitée par la fragilité  de la famille où la fonction paternelle est déniée. Dans ce contexte d’une relation perverse symbiotique, le père risque de « se faire complice de la manipulation » perverse,  mis en difficulté pour parler « la langue de la distinction face à l’abîme de l’indifférencié »? S’il  peut tenter de mettre un terme à la toute-puissance maternelle, en rétablissant le couple parental et en incitant mère et enfant à se distinguer, il n’est cependant pas ce sauveur, ce héros qui va pouvoir obliger la mère à se délier de son enfant, surtout lorsque « l’enfant prend à sa charge une haine qui n’est pas la sienne ». Si le travail de coupure dans le corps-à-corps est effet de parole, effet de ce qu’on appelle la fonction paternelle, il ne peut pas s’inscrire hors de l’assentiment maternel inconscient.

Tout au long de cet ouvrage, on entend comment le travail de deuil est au vif de cette réflexion qui ose s’attaquer au sacro-saint amour maternel. Ces mères parfaites ne peuvent vivre que dans la complétude de l’enfant, elles ne peuvent vivre avec la perte, et ne peuvent introduire l’enfant au désir, à la pensée, à la création. Ces mères qui se vivent comme parfaites sont les plus dangereuses pour l’enfant qui ne peut prendre place que dans l’ombre de la mère, fermée sur le monde. Une endogamie dont on voit les conséquences sur le plan politique et social : « le lien entre la jouissance de la mère et l’actuel malaise de la civilisation est clair le social -comme le plus-maternel- privilégie des jouissances hypnotiques et toxiques qui maintiennent les sujets dans l’impuissance et la dépendance, comme des nouveaux-nés appendus au sein capitaliste ». L’ouvrage se termine sur l’idée que « la véritable filiation, c’est d’avoir reçu de ses parents la possibilité de les quitter pour toujours »

Une belle préface de Michel Plon  introduit le propos de Laura Pigozzi.

Cet ouvrage est écrit dans un langage limpide et sans langue de bois. Ouvrage de psychanalyse, il s’adresse pourtant à tout public, sans jamais toutefois céder à la tentation de la superficialité.

Danièle Epstein

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