L’Invité du 10 janvier 2012 – Michel Bousseyroux pour

Elargir la psychanalyse érès, 2011 Présentation Philippe Beucké


Michel Bousseyroux

Si Lacan a pris le risque de la topologie, vous, Michel Bousseyroux, dans ce texte très dense, vous endossez à votre tour ce risque pour tenter d’avancer une lecture plus large tant dans les avancées théoriques que dans les conséquences cliniques soutenues par la topologie des nœuds.

A quoi sert donc cette topologie ? Les propos cliniques qui occupent une partie de votre ouvrage nous montrent combien le nœud, dans son écriture, expose, serre le trou de la structure, le lieu de la jouissance. Le dessein de Lacan étant, vous le rappelez, de fonder le réel de la pratique sur le réel qu’écrit le nœud. Faire usage de la topologie, c’est mettre le fantasme à l’écart pour du symptôme tirer profit.

 

Tentative radicale pour échapper à la glu du sens, la psychanalyse tout comme la poésie, celle d’après Auschwitz, ainsi que celle de Paul Celan (je pense également à celle de René Char) n’essayent pas de boucher le trou. C’est alors que la « psychanalyse ne s’impose pas, elle s’expose ». Si la topologie est une « analyse in situ », elle permet de penser le temps de l’analyse et le temps dans l’analyse autrement. Penser la finitude de la psychanalyse.

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Voyons plus précisément. A la clinique des indistinctions produites par la mise en  continuité des consistances borroméennes, vous proposez (je fais là référence au chapitre intitulé « Le neubo de Lacan » qui dans la partie consacrée aux structures cliniques reprend de nombreuses hypothèses dépliées précédemment), vous proposez donc de « remborroméaniser la psychose ». Je traduis pour celles et ceux qui n’ont point lu votre travail : ne plus en rester aux termes de perte du borroméen. C’est-à-dire que le nouage dans la psychose impose un quatrième rond nécessaire, spécifique d’être sinthome névrotique (l’exemple illustre en est J. Joyce), quatrième nécessaire à la nomination, sinon l’on en reste à un nœud à trois qui maintient l’indistinction entre les trois registres RSI. Quatrième rond qui vient pallier le ratage, car si le Nom du Père est une nomination qui vient avec la topologie des nœuds nommer autrement, le Nom du Père est symptôme dans une nomination du symbolique. Quatrième rond qui pallie alors le symptôme du ratage du 3 en 1 dans RSI.


Philippe Beucké

Mais nous ne pouvons nous en tenir quitte puisque Lacan souhaitait, lors du séminaire L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre, introduire « quelque chose qui va plus loin que l’inconscient » avec les nominations différentes : celle du symbolique par le symptôme, celle de l’imaginaire par l’inhibition. A ceci près que la logique borroméenne va introduire une hétérogénéité dans le ternaire freudien (Inhibition, Symptôme, Angoisse) ; il faudra alors penser un rond cinquième pour nommer le réel du père par l’angoisse. Celle-ci réparant (je vous cite) « le ratage de la nomination au quatrième. Elle peut suppléer au lâchage du symptôme ou de l’inhibition, et donc parer au nouage psychotique ». Un élargissement clinique, qu’à la suite de Lacan vous poussez puisque nous pourrions penser un nœud à 6, possibilité autre de suppléance par le fantasme comme possibilité de nommer le réel paternel rejeté.

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Si certes ces élargissements théoriques, fort riches quant à leurs conséquences cliniques, puisqu’ils ouvrent à une écoute autre, peuvent être appréhendés à un premier niveau en se risquant à faire soi-même le nœud – exercice difficile mais nécessaire pour qui veut saisir cette topologie (« Il faut le faire bobo… borromément » le nœud nous invitait Lacan) –, la tâche est plus délicate en ce qui concerne le lien entre topologie et passe. Je dois vous dire que c’est ce qui a suscité le plus de difficultés pour nous, lorsque nous avons préparé cette soirée.

La topologie pour présenter l’irreprésentable de l’objet « a » et montrer là une modification de structure à escompter d’une analyse finie : « Là où était le tore de ma névrose je dois advenir au moebien du désir de l’analyste », la passe ferait coupure comme condition de la dite modification(1). A la théorie de la passe de la proposition d’octobre 1967, comme coupure de la répétition, avec le nœud et à partir de 1976 (référence à l’édition anglaise des Ecrits), la passe, dites-vous est pensée comme passe par l’inconscient réel, plutôt que par l’objet. Pourriez-vous, à l’issue de cette présentation, repréciser ce que vous entendez alors par passe ? Est-ce uniquement le rapport que Lacan entretenait avec la topologie, rapport au temps du réel de l’expérience ? Même si, et ce à la suite des ouvertures cliniques offertes, vous posez que l’analyse trouve sa fin dans le nœud minimal du parlêtre, mise à plat du nœud qui « de faire bord à l’inconscient réel, fait orientation dans la structure » (orienter le réel, dirais- je). Des glissements subtils dans votre texte entre fin d’analyse et passe de fin sont perceptibles mais me restent difficiles à conceptualiser.

Passer de l’inconscient qui se lit à l’inconscient réel, Lacan attendait dans ce passage plus de la poésie que de la logique pour une écriture d’un nouveau réel. Des poètes s’y sont employés, ainsi Paul Celan, François Cheng, pour « faire sonner autre chose que le sens ». Que l’analyste puisse faire que l’interprétation soit poétique, au sens d’un savoir-y-faire avec le vide médian de la parole, sans lequel il ne saurait y avoir d’ouverture au réel de la parole, vous proposez la passe, comme le remarque Albert Nguyen dans sa préface, « à ce que chacun ayant franchi la passe, chaque passant passé articule la dimension du poème qu’il est et qu’il le signe ».

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Nous réveiller au réel, avec votre travail vous y réussissez fort bien ! Reste cette question : il ne s’agit pas d’imiter Lacan dans son usage ou mésusage de la topologie, mais comment, quand nous analysons, nous orientons-nous dans la structure, que ce soit avec ou sans la topologie ? Si cette question demeure, il semble à l’issue de la lecture de votre ouvrage, que la topologie, on peut s’en passer, à condition de se servir de ce que Lacan a inventé. Que l’analyste prétende à « pouétiser » le réel pour un sujet, une dimension éthique surgit(2). Merci pour ce remarquable et généreux travail.

Philippe Beucké

 

(1) Je note qu’avec la topologie des nœuds  l’acte de l’analyste ne s’arrête plus à la scansion et l’interprétation, mais est mise en valeur la fonction de la coupure.
(2) Présentation volontairement serrée, (il y aurait tant à dire, par exemple toute la question d’une temporalité autre) pour laisser un temps de parole suffisant à Michel Bousseyroux . Il entama la discussion  en reprenant d’abord la logique du Pastout et sa topologie (propos qui occupent une première partie de son ouvrage), réparant ainsi mon silence quant à cette question.  Qu’il me pardonne cette impasse !

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