Max Kohn

"TRACES DE PSYCHANALYSE" Limoges, Lambert-Lucas éditeur

 

Robert Samacher, Psychanalyste, membre de l’Ecole Freudienne, ex-maître de conférences à l’Université Paris-Diderot (Paris 7).
Dernières publications : Participation à l’ouvrage Ella Sharpe lue par Lacan sous la direction de M.L. Lauth, Paris, Editions Hermann, 2007. – « Le corps des déportés et le Yiddish » dans Yiddishkeyt et psychanalyse, sous la direction de Max Kohn, Paris, MJW Fédition, 2007. – « Humour juif et mélancolie », dans « Culture yiddish et inconscient », sous la direction de Max Kohn, revue Langage et inconscient, revue internationale, Limoges, Editions Lambert-Lucas, 2007. –  » Les progrès de la science jusqu’où ? » sous la direction de Robert Samacher, Emile Jalley, Olivier Douville, revue Psychologie Clinique n° 23, Paris, L’Harmattan, printemps 2007.

Max Kohn propose un recueil d’articles intitulé Traces de psychanalyse pour une bonne part publiés chronologiquement entre 1979 et 2006.
Cet ouvrage est dédié à Jean-Toussaint Desanti dont la parole fait référence et relance.
M. Kohn a donné ce titre à ce livre parce que « Ne pas laisser de traces est un luxe qu’il ne peut pas se permettre en référence à la Shoah, il y a beaucoup trop de gens en lui qui n’ont pas laissé de traces ». C’est ce qu’il a cherché à retrouver en faisant retour au yiddish qui est sa langue maternelle. Pour lui, la musique du yiddish est peuplée de gens, d’affects. Il s’est fait un devoir d’en parler comme il faut car ainsi, « il fait surgir le silence, qui permet aux gens d’être là, même s’ils sont absents. C’est écouter le yiddish, le monde yiddish, des gens et une atmosphère, percevoir l’inconscient dans le monde yiddish ».
Ce recueil comprend quatre parties : Pré-analytique, Récits, Evénements, Traces.
La question du pré-analytique a été inaugurale pour M.Kohn, des récits s’en dégagent qui font événement et qui ont laissé des traces. L’ordre chronologique qui épouse la dimension historique reprend des histoires, des événements qui font également traces pour l’auteur. Dès 1982, il a posé le problème du pré-analytique en publiant Freud et le yiddish : le pré-analytique, puis en 1987, Freud et la bêtise de Chelm. Ces travaux se basent sur les écrits pré-analytiques de Freud, datant de 1877 à 1897, qui n’ont pas été intégrés dans les œuvres complètes. A l’intérieur de ces premiers travaux freudiens surgit chaque fois un écart par rapport aux connaissances traditionnelles, mais il n’y a pas de lien avec la psychanalyse ; Freud est alors neurologue, il s’intéresse aux anguilles et aux petromyzons, etc… M. Kohn souligne cet écart par contre, il constate qu’il y a un rapport entre l’analyse du Witz et l’événement pré-analytique, le Witz étant en lui-même « événement ».
Le Witz qui traverse l’ensemble des travaux de M. Kohn, procède des fondements auxquels on peut référer la psychanalyse.
Afin de montrer l’importance fondamentale du Witz, M. Kohn inaugure son recueil par les histoires de Chelm, il s’agit de personnages qui prennent tout ce qu’on leur dit à la lettre, un chat est un chat, ils ne sont pas sensés jouer sur la polysémie du signifiant, ces histoires sont à entendre au premier degré, il n’y a pas d’interprétation à faire, c’est cette absence de jeu qui fait rire.
Néanmoins pour l’auditeur ou le lecteur, un travail se fait dans lequel le Chelemer n’a pas sa part, c’est le clin d’œil complice adressé à l’Autre, à un public, qui ferait penser au mot d’esprit. M.Kohn a étudié Chelm à la suite d’une remarque de Lacan à propos de la « bêtise » dans le Séminaire XX  : « Encore ».
Chelm en tant que prélude au Witz freudien, est une création sans fondement mais participant à un contexte. Il fait le rapprochement avec le pré-analytique qui est ni fondateur, ni originaire, il rend compte d’un événement à venir.
Cette attente, cette écoute sont à rapprocher de la cure, dans laquelle l’enjeu est de laisser advenir le sujet qui parle, c’est aussi ce processus de base qu’il introduit dans son travail avec les nourrissons et les familles à la « Maison de la Mère et de l’Enfant » à Paris.
Si M. Kohn s’est tant intéressé au pré-analytique, c’est qu’il le conçoit comme la scène primitive de la psychanalyse, auquel participe le Witz yiddish.
Dans la première partie, l’auteur développe l’idée que le yiddish occupe la même place dans l’histoire de Freud que le pré-analytique dans la formation de son discours. « C’est de l’effacement de la trace du yiddish que surgirait le signifiant freudien ».
Il propose les hypothèses suivantes : « Les écrits pré-analytiques sont structurés comme le yiddish, on peut en déduire que le discours psychanalytique s’inaugure du yiddish ».
Compte-tenu du lien entre le yiddish et le mot d’esprit, la psychanalyse découlerait du mot d’esprit.
Ainsi le yiddish aux fondements de la psychanalyse serait la trace oubliée, refoulée qui serait présente dans un transfert non analysé de Freud à la langue yiddish.
M. Kohn rappelle les interférences entre le yiddish et l’allemand, il a lui-même traduit un article de Mark Waldman : « Goethe et le judéo-allemand », soulignant l’intérêt que Goethe avait porté au yiddish. Il remarque que la présence de Goethe dans l’œuvre de Freud est constante dans sa période pré-analytique.
En soulignant la centralité du Witz dans l’œuvre freudienne, le rapport existant entre l’analyse du Witz et l’événement pré-analytique, M. Kohn attribue à la découverte du dispositif du Witz, la notion de transfert qui permet en même temps à Freud de faire un travail de séparation entre judaïsme et psychanalyse. Pour M. Kohn, le Witz est aussi une œuvre d’art en miniature, un appel au jugement esthétique. De ce fait, la naissance de la psychanalyse a plus à voir avec la création artistique qu’avec la réalisation d’un projet scientifique.
Le Witz est le paradigme de l’événement en psychanalyse. Il marque aussi la place d’une histoire, un acte de parole dans une narration, qui est traversée par une écoute, c’est à ce propos que Kohn dit ultérieurement que la circulation du Witz est aussi un don.
L’auteur fait aussi la distinction entre le Witz qui n’est pas nécessairement juif alors que l’humour peut l’être. L’humour juif permettrait de trouver « la bonne distance pour parler de l’inconscient entre le judaïsme et la psychanalyse. L’humour juif manie le paradoxe et le détournement du langage ; il est sophiste en raison de cela. »
Pour Freud, le mot d’esprit est du registre du préconscient, il a besoin d’un public, l’humour est plutôt une émanation du surmoi. Freud n’élabore pas ces deux notions à la même période, l’une, le Witz, est référée à la première topique, l’autre, l’humour, à la deuxième topique.
Dans son exploration des fondements du Witz, Kohn fait référence à Lipps, auteur qui, pour Freud, est essentiel pour saisir les fondements du Witz du fait de la distinction que fait cet auteur fait entre Sinn (sens) et Bedeutung (signification).
On peut en déduire qu’entre sens et non-sens se pose la question de la Bedeutung qui est l’effet de l’interprète. Ce qui permet de situer la position de l’analyste.
Comment ce dernier doit-il se situer pour que s’ouvre un espace de pensée, introduisant un rapport original au narratif, sans le réduire à une rhétorique ?
Cela pose la question de l’accueil d’un sujet pour être en mesure de se faire l’interprète de l’inconscient. Entendre « la musique d’avant le langage, mémoire infinie d’événements infinitésimaux, transfert à l’événement ».
Pour que la naissance soit un événement, pour que toute rencontre procède de l’événement encore faut-il qu’il soit accompagné d’une parole. Dans la cure lorsqu’une parole interprétative arrive juste à propos, elle fait alors événement.

M. Kohn étend sa recherche de l’événementiel à la psychose à partir de l’œuvre de Maldiney, il considère qu’une certaine lecture de Levinas et de Ricoeur rencontre les intuitions de Maldiney sur l’événementiel dans la psychose. C’est « entre l’événement qui ne s’approprie pas lui-même à lui-même et l’événement proprement humain capable de s’approprier, que se situe la lacune essentielle du psychotique ». Cette démarche phénoménologique en psychopathologie découle d’après l’auteur d’un « Dire éthique » qu’il s’agit de privilégier.
M. Kohn avec « Psychanalyse yiddish » propose de questionner la psychanalyse dans son rapport aux langues et pas essentiellement dans son rapport au judaïsme.
Il remarque que Freud, avec le yiddish, rencontre une langue qui a pour lui un statut dialectal et folklorique, mais dont le propre est de se mettre à distance de toute langue. C’est le statut de la psychanalyse qui s’inscrit là. La psychanalyse n’étant pas une langue universelle, ni un dialecte, elle prend le statut de praxis qui permet de questionner toutes les langues et de les traiter comme étrangères à soi. En tant que praxis, la psychanalyse ne peut accepter un discours qui viendrait colmater la brèche qu’elle ouvre par son attente de l’événement à venir. Il importe qu’elle ne laisse pas le discours universitaire se substituer à cette praxis : un discours qui ne serait que du discours.
A la suite de la réflexion qu’il mène concernant la position du psychanalyste, M. Kohn insiste sur le ton « juste » qui est au centre de l’acte narratif des analystes. « Le récit doit être juste pour faire événement dans la cure et en dehors de la cure. L’éthique du récit en psychanalyse a comme objet ce qu’il est juste de dire et non pas ce qui est commercial, conforme à des normes, ou enfin la vérité, le juste n’est pas la vérité. » Le récit ne doit pas tant être vrai que juste.
M. Kohn a produit plusieurs écrits sur le narratif d’autant que pour lui, l’inconscient ne peut se penser qu’à travers le récit.
Le narratif reste pour lui une question pour la psychanalyse alors que le récit est le plus souvent une réponse d’autant que la psychanalyse travaille sur des histoires non encore racontées, elles ne sont pas la simple répétition d’une « histoire du passé ». La psychanalyse doit être ouverte non pas seulement à ce qui fait trace, elle est essentiellement absence de ce qui n’est pas encore arrivé, événement à venir dans un processus.
M. Kohn se réfère à Ricoeur qui, à propos de la littérature sur la Shoah, constate que c’est soit le décompte des cadavres, soit la légende des victimes qui prime. Entre les deux, il voit la place de l’explication historique difficile, sinon impossible à faire.
Cet impossible se traduit par l’attente d’une histoire qui rendra enfin justice en particulier à tous ceux qui sont restés en souffrance.
Le témoignage ne peut se recueillir qu’au un par un, presque le même et toujours différent. C’est aussi cette attente du différent qui permet que se produise l’événement.
Il faut bien passer par le narratif en attente du récit, et M. Kohn souligne que la psychanalyse permet de faire le lien entre le pulsionnel et l’historique par le narratif auquel il faut reconnaître sa juste place.
Ce n’est pas par hasard que Freud a privilégié les études de cas qui ont fait événement, ils ont la capacité de rendre compte de la constitution d’un espace psychique, ces cas qui ont des effets de littérature, s’adressent à un public avec les dérives possibles liées aux interprétations abusives et aux indiscrétions. Comment alors garantir un « Dire éthique » ?
L’acte narratif après la Shoah ne peut plus être le même, le yiddish est une langue qu’on a tenté d’assassiner, la mort sans mourir est aussi l’un des effets de la Shoah. « L’intrigue du langage bute sur sa propre disparition. L’irreprésentable, c’est le langage qui ne peut pas raconter son propre assassinat ».
Il s’agit de repartir de bribes, de la scission, de la coupure et de faire appel aux témoignages de ceux qui ont vécu ces événements, comme le souligne Hilberg, l’important c’est de faire « parler le processus de destruction, qui était resté jusqu’alors silencieux. »
La psychanalyse ne peut pas rester en dehors et elle doit « solliciter l’art qui est en elle pour se mettre à l’écoute des affects de la Shoah. »
M. Kohn souligne que la jouissance du récit, après la Shoah, n’est pas sans poser problème, elle a des effets sur l’acte narratif en psychanalyse aujourd’hui. Cela sollicite la capacité de l’analyste à s’ouvrir à des modèles multiples, poétiques et historiques, littéraires etc. J’ajouterai : Selon le vœu de Freud.
Qu’en est-il aussi du transmissible sur fond d’intransmissible dans la cure ? Peut-être faut-il cerner ce qui résiste à la transmission et évaluer les résistances de l’analyste. Chez ce dernier, il faut noter la difficulté à transmettre la narration de ce qui se passe dans la cure. Le psychanalyste n’est pas un témoin et pourtant son témoignage compte. Il ne peut éviter de parler de ce qu’il fait que ce soit dans les contrôles, que ce soit par ses écrits.
« Parler de l’identité narrative de la psychanalyse, c’est introduire un élément tiers entre la praxis et la théorie, une sorte de médium, qui engage par ailleurs une définition de l’humain. »
Pour M.Kohn, la situation analytique est une situation dans laquelle interviennent plusieurs voix, celles qui ont traversé le sujet, il parle alors de polyphonie de voix qui ne se réduit pas à la voix des actants dans la cure.
Ceci va lui permettre de repréciser ce qu’il entend par récit, histoire et narration dans la cure.
« Le récit est l’énoncé narratif, oral ou écrit, assumant la relation d’un événement ou d’une série d’événements. L’histoire désigne la succession des événements réels ou fictifs qui font l’objet de l’énoncé. La narration est l’acte de narrer pris en lui-même, en tant que quelqu’un raconte quelque chose. »
Avoir une « représentation polyphonique » de la cure, c’est justement « s’ouvrir à plusieurs possibles, sortir du dialogue mythique entre le patient et son thérapeute ou entre l’analyste et sa communauté scientifique. »
M.Kohn en déduit que la narration en psychanalyse comporte plusieurs voix qui permettent d’échapper au monologue.
La polyphonie donne également la capacité de penser la place de la littérature psychanalytique dans l’histoire de la littérature.

Les deux premières parties du livre le Pré-analytique et Récits sont difficilement dissociables, tant la question du Witz, du narratif et de l’événement s’enchevêtrent.
Dans la troisième partie : Evénements, M. Kohn veut contribuer à une réflexion qui lui paraît essentielle dans l’approche de l’enfant et de l’enfance, il essaie de relier les représentations de l’enfant et de l’enfance à l’infantile. Il revient sur la notion d’événement concernant l’enfant, l’infantile est aussi pour lui « le nom d’un écart de l’enfant à l’enfant dans l’enfance ». L’infantile correspond à ces restes de l’enfance qui continuent à travailler l’adulte.
De l’enfance subsistent des restes, un reste qui demande à être pensé.
Ces restes ont à voir avec l’abîme que la psychanalyse rencontre ente les langues, et qui correspond à un écart interne à elle-même.
Son expérience avec les nourrissons en centre maternel, lui a enseigné que les enfants ne sont jamais là où on les attend et qu’ils se jouent des représentations qu’on peut s’en faire, dans un écart que l’on peut situer entre l’inconscient et la représentation. C’est à partir de la reconnaissance de cet écart qu’il situe son intervention en institution.
Comment repérer aussi cet écart dans la cure, cet écart qui n’est pas rien et en même temps presque rien ? C’est ce presque rien qui fait aussi événement.
M.Kohn revient sur le yiddish comme écart de Freud à la langue allemande, il considère que cet écart traverse la psychanalyse de Freud à Lacan. Le Witz a aussi été créé entre deux langues, et c’est cette création qui est le don essentiel dans l’approche de l’inconscient.
Ainsi, le jeu sur la langue recouvre l’écart interne à la langue. La psychanalyse est entre les langues, ouverte sur un abîme, un écart à elle-même.
Le texte « Yom Kippour : la parole dévidée » reprend l’expérience de l’écart dans une parole dévidée. Ce temps vide la langue de la langue, sans jamais pouvoir se remplir complètement à la fin du rituel.
On peut le reprendre comme expérience d’un vide en lien avec la construction éthique de l’intime qui, dans la psychanalyse, est une notion qui se réfère à une expérience.
Dans les deux textes suivants qui posent la question du nombre d’études réduites portant sur Hiroshima et ses effets psychologiques, M. Kohn rend compte d’entretiens qu’il a eus avec J.T. Desanti.
Le philosophe était exaspéré par le discours sur la Shoah dans les médias, par sa commercialisation outrancière, sans bien sûr nier son unicité comme événement et comme crime contre l’humanité.
Pour Desanti, « la bombe atomique d’Hiroshima a fait éclater le noyau de l’humain », la continuité de la vie. »
La Shoah, le Khurbm, en yiddish, a atteint le noyau de l’identification humaine, notre identification à l’espèce humaine, mais Hiroshima en nous est absolument inconscient parce que cela touche le vivant que nous sommes…Hiroshima touche à notre identification en tant qu’être vivant.
Dans la Shoah, la mise à mort massive comme acte criminel est enracinée dans l’idée du crime. Ce qui symbolise Hiroshima, c’est la disparition de la vie elle-même. C’est un crime contre la vie, contre tout ce qui est vivant et pas seulement contre les humains. Il y a là un pas supplémentaire franchi dans le sens d’un anéantissement complet de toute vie. Il s’agit d’un crime froid sans visage. L’enjeu n’était pas de tuer un peuple, mais de montrer avant tout la puissance des U.S.A. dans le domaine de la destruction.
« La part d’Hiroshima en nous, c’est une diffusion totalement inconsciente des effets d’Hiroshima en tant qu’Hiroshima a touché à notre identification en tant qu’être vivant ».

M.Kohn va ensuite développer la notion de clinique de l’écart qu’il relie aux apports de la pensée phénoménologique de J.T. Desanti. L’écart délibérément agi relie et oppose en même temps.
L’écart est d’après lui, au sens objectal du mot, une forme de recouvrement de l’écart primordial. Cet écart est aussi recouvrement et séparation, il permet une psychopathologie qui entame l’inertie.
Dans la cure, cet écart se présente sous la forme d’une perception vive, toujours présente, qui se heurte à l’inertie du réel, de la chosification de la psychopathologie sur elle-même.
M. Kohn revient sur des notions déjà traitées qu’il précise et approfondit, le Witz est alors situé dans un entre deux-langues et un entre-corps qui ne se réduit à aucun langage, à aucune langue fondamentale, comme entre deux-langues, il est donc le lieu d’une transmission et participe au don qui est central dans sa circulation. Le Witz devient ainsi une autre figure du don et le don est essentiel dans l’approche de l’inconscient dans la cure psychanalytique.

Dans la dernière partie de cet ouvrage : Traces, l’interview que M. Kohn accorde à Céline Masson en vient à la question du transfert à une langue, le yiddish a un statut de paradigme, il souligne l’universalité du rapport du sujet de la parole à une langue constituée. Pourquoi M. Kohn s’est-il fixé sur le yiddish, cette langue qui inconsciemment le traverse ?
Cela suppose un certain rapport de tendresse au langage, envers la langue et au lien social dans la Yiddishkeyt. Prendre soin des mots, c’est aussi pour lui, prendre soin des gens qui parlent cette langue, tout en conservant un écart : « Etre à côté du yiddish, ne pas être complètement dedans. »
En référence à Rachel Ertel et son néologisme de la « languemonde », il rappelle que « le yiddish n’est sans doute pas mort, mais il n’est pas très vivant. Les locuteurs manquent et ce n’est pas en l’idéalisant qu’on arrivera à quoi que ce soit, le lien social de la Yiddishkeyt a été détruit même si ce n’est pas totalement et personne ne peut ni ne veut le restituer. »
Pour dire la destruction de cette langue, M. Kohn fait entendre que « le yiddish a du mal à tenir dans l’entre-corps car les corps où il s’est constitué manquent. » S’ils ont disparu, ils ont néanmoins laissé des traces.
Dans la psychanalyse, le judaïsme a aussi laissé des traces, il est représenté comme un rapport entre la parole et l’écrit qui doit s’entendre chaque fois de manière inédite, et ce qui se passe dans les Witze yiddish qui traversent Freud plus qu’ils ne sont étudiés. M. Kohn insiste sur le fait que « le Witz peut transformer un situation clinique en situation analytique d’autant que la tradition juive passe son temps à transformer un texte en situation clinique. »

Dans son allocution, lors de la remise du prix Max Cukierman, M. Kohn par le mot d’esprit suivant « le yiddish produit inconsciemment des mots-boutons qu’il met sur les trous d’une langue-costume qui sert à nous habiller depuis plus de mille ans » a proposé au public, la métaphore de sa théorie du Witz.
Ainsi en suivant les différents textes de Max Kohn, le lecteur va de surprise en surprise, ce qui a bien à voir avec l’événement que produit le Witz.

      Robert Samacher – 1er août 2008

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