Michel de M’Uzan L’Inquiétude permanente

Editions Gallimard, 2015

Marie-Françoise Laval-Hygonenq
Psychanalyste, membre titulaire de la Société Psychanalytique de Paris.
Dernière publication: Nouveaux développements en psychanalyse
Autour de la pensée de Michel de M’uzan Editions EDK, 2011
Article dans RFP,4

 

Ce livre est le quatrième volume de Michel de M’Uzan publié chez Gallimard, après De l’art à la mort (1977),La bouche de l’Inconscient (1994),Aux confins de l’Identité (2005).

Dans une première partie, intitulée L’artiste et son enfer, il poursuit ses interrogations sur le processus de la création littéraire et celui du ‘ saisissement créateur’ qui ouvraient son premier volume : ‘ Pourquoi et  comment l’acte d’écrire devient-il pour certains un besoin, voire une exigence vitale, alors que tant d’autres se contentent de leurs rêveries, sans chercher à en offrir aux autres le produit ?’ Ces questions ont alimenté un échange avec J.B. Pontalis (NRP, 16, 1977) dont certains fragments, sur la compatibilité ou l’incompatibilité entre l’écriture de fiction et la pratique analytique sont repris ici.

L’inquiétude permanente est celle de l’analyste au travail contraint de toujours remettre en jeu ses avancées théoriques. C’est ainsi que M. de M’Uzan s’est vu peu à peu contraint à prendre en compte le registre du non sexuel, qu’il a dans un premier temps nommé l’Identitaire autoconservatif, pour les besoins de la communication, puis filière identitaire, puis être organique ou vital-identital. Contrairement à Freud, pour Michel de M’Uzan, il n’y a pas de pulsion d’auto-conservation ; il n’y a de pulsion que sexuelle, et ses caractéristiques sont celles définies en 1915. C’est ainsi que vie et mort ne peuvent être pour lui désignées comme pulsions, sa référence reste le premier dualisme, avec l’approfondissement du pôle auto-conservatif. En reprenant à son compte le terme de sexual introduit par Jean Laplanche, il nous propose le nouveau couple homophonique sexual / vital-identital.

Il ne parlera plus d’étayage, mais de négociation entre ces deux ordres.

L’Inquiétante étrangeté dont il sera beaucoup question dans ce recueil est située au carrefour de ces deux ordres ; elle permet de repérer le statut de leur négociation, repérage essentiel pour le choix interprétatif, et c’est à ce niveau que Michel de M’Uzan situe aujourd’hui le temps nodal premier de l’activité créatrice. Il est ainsi amené à distinguer activité créatrice et sublimation, puisque la sublimation reste le destin des pulsions sexuelles partielles alors que ‘les processus engagés dans l’activité créatrice ne se développent pas au sein de la seule psychosexualité’. L’artiste ‘authentique’ serait une ‘victime’ d’un destin originellement fixé, soutenu par le quantitatif sous forme de contrainte. Nécessité, contrainte, déterminisme, destin, sont des termes qui reviennent souvent sous sa plume. Il pourrait reprendre à son compte ces paroles du héros de Fritz Lang dans M. le Maudit qu’il aime citer: ‘ je ne pouvais faire autrement’. L’intérêt de reprendre avec lui ce parcours avec la lecture de ce livre est de découvrir le déterminisme latent qui conduisait son évolution théorique originale, de reconnaître après-coup dans le passé les germes des développements futurs qui à un moment se sont imposés à lui, et lui ont imposé d’abandonner ce qui jusque là semblait aller de soi quand il privilégiait l’ordre libidinal. La rigueur, l’exigence non dépourvue de radicalité, caractérisent la pensée inventive de Michel de M’Uzan.

Le fil rouge de la deuxième partie, intitulée Sur les frontières déroule les reconsidérations et nouveaux développements introduits ces dernières années.

Michel de M’Uzan conçoit aujourd’hui le vrai but de l’analyse comme une confrontation nécessaire avec l’étrange, l’inquiétant, qu’il nomme ‘scandale identitaire’, et développe l’idée, qu’au-delà de son projet thérapeutique, la psychanalyse devrait permettre au sujet de parvenir à ‘l’inquiétude permanente, au service d’une véritable intégration pulsionnelle.

Sur les frontières du vital-identital, une nouvelle écoute analytique ?

Donnons un exemple. Une patiente commence sa séance en murmurant : ‘ je suis un trou’. Fût un temps où, entendant ce propos dans le registre libidinal, Michel de M’Uzan aurait renvoyé ‘ j’ai un trou’, mais, choisissant de privilégier le registre identitaire, sa réponse a été : ‘ un trou a des bords’, permettant ainsi une récupération des frontières entendues comme perdues, ou en passe de l’être. La formulation de l’interprétation est ici repensée en référence à la prise en compte d’une sévère souffrance identitaire, qui pourrait rester cachée derrière un sexuel trop bavard. Cet ouvrage est émaillé de nombreuses séquences cliniques. Je donnerai comme autre exemple une séance où tout semble se désintégrer avec une patiente au bord de la dépersonnalisation. L’analyste raconte : ‘ Tout y passe dans son propos : les objets sur la table, tout ce qui était présent dans la pièce. Enfin éclate une frénésie de haine, haine d’elle-même, de l’autre, de moi, bien sûr, avec une envie puissante de me déchiqueter et, plus rassurant, de me dévorer. Et moi, au fait de la volatilisation des frontières entre les êtres, entre les choses, de lui retourner, comme ‘ à la volée’ : ‘ Me déchiqueter à l’intérieur de moi, là où je vous découperai en morceaux.’ Elle, d’abord saisie, profère un ‘Oui.’ Et moi : ‘Question d’appétit !’. (déplaçant ainsi l’enjeu de l’identitaire vers le psychosexuel).

Cette clinique analytique difficile, exigeante et surprenante à la fois vient élargir le champ de la psychanalyse. Elle pourrait nous permettre de sortir d’un certain flou nosographique. Elle nous ouvre des voies interprétatives nouvelles, qui étonnent et dérangent l’analyste autant que le patient. Michel de M’Uzan voudrait-il prendre la relève de Freud en nous apportant une nouvelle peste ? Où l’inquiétant ne serait plus la découverte du pulsionnel sexuel, mais celle de son ‘en-deça’ ou de son ‘au-delà’ avec l’exploration actuelle du non pulsionnel, nommé vital-identital ?

La troisième partie, est un glossaire des notions nouvelles établies par Michel de M’Uzan, écrit par Murielle Gagnebin. Elle répertorie, référencie et argumente, par ordre alphabétique cinquante notions qui constituent autant de voies d’entrée dans cette nouvelle métapsychologie. Chaque notion est ici présentée dans sa genèse et son évolution théorique, à l’épreuve de la clinique, une clinique toujours généreuse pour nous initier à la prise en compte des désordres identitaires. Tout en inscrivant ces découvertes dans la filiation freudienne, elle en souligne les différences et les apports originaux.

Nous avons là un précieux document pour assurer un usage plus rigoureux de ces notions aux dénominations rien moins qu’évidentes, comme la chimère psychologique, le jumeau paraphrénique, le moi du moi, le vital-identital…pour ne donner que quelques exemples.

Ce glossaire s’imposait en fin de ce quatrième volume pour accompagner notre lecture et nous faire prendre la mesure architecturale de l’œuvre de Michel de M’Uzan.

Marie-Françoise Laval-Hygonenq

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