Mireille Nathan-Murat Couleurs de transfert

Psy Fictions, L'Harmattan, 2016

Alain Lemosof
Psychanalyste, membre et co-fondateur de la SPF-Société de psychanalyse freudienne où il anime différents séminaires. A collaboré à des ouvrages collectifs : Lacaniana II, sous la direction de Moustafa Safouan (Fayard, 2005), et Sexualités, genres et mélancolie. S’entretenir avec Judith Butler, sous la direction de Monique David-Ménard (CampagnePremière/, 2009). Récemment, il a fait paraître une fiction psychanalytique, Une après-midi d’analyse (CampagnePremière, 2015)

Que reste-t-il de nos amours ? Que reste-t-il de ces beaux jours ?

Lorsqu’un, une analyste décide de s’arrêter d’exercer, que reste-t-il de tous ces jours, de ces milliers de journées à l’écoute de l’inconscient ? De ces séances, pas toujours aussi charmantes que celles de la chanson, qui peuvent représenter des moments négatifs mais essentiels d’une cure ? Que reste-t-il de ces paroles, de ces rencontres, de ces histoires offertes après que l’analyste a refermé, pour toujours, la porte de son cabinet ?

Mireille Nathan-Murat, nous parle de ce temps d’après-coup que traverse l’analyste et fait retour sur son expérience. Comment nommer cette séparation et le travail qui s’y fonde ? Quel processus est alors à l’œuvre : deuil ? perlaboration ? Les mots justes qui peuvent les qualifier sont difficiles à trouver. Peut-être partagent-ils le destin des notes de la cure de Diane que l’auteure, sinon son psychanalytique avatar, Mathilde Tandoura, ne retrouvera jamais ? Il y a de la perte, qui jamais ne se refermera, mais qui peut devenir créatrice : cela se réalise dans ce livre. Comme si les mots, les silences partagés dans le cabinet de l’analyste avaient voulu enfin s’écrire, trouver un nouveau lieu où ils pourraient se transmettre. Ils ont conduit Mireille Nathan-Murat à s’en faire le scribe.

Mais qui parle dans ce livre ? Des patient(e)s évidemment, aux noms improbables, Martin Dop, Kate Fromageot, Antoine Giro et d’autres frères et sœurs de divan mais aussi l’analyste. Mais laquelle ? L’ex-praticienne Mireille Nathan-Murat ou son anagrammatique double – à quelques lettres près, perdues comme gagnées – l’analyste du livre, Mathilde Tandoura qui parfois se rebelle contre l’auteure ? Car ce livre est une fiction, ainsi qu’il est précisé d’emblée : « toute ressemblance fortuite avec les personnages fictifs ne saurait être que le fruit des surprises de l’écriture ». Sous des nuances diversement colorées, il nous fait entrer au cœur de différentes modalités du transfert et d’échange, parfois étrange, où sont engagés analysant comme analyste. De la même façon que d’une cure à l’autre, l’univers transférentiel peut se modifier radicalement, le lecteur traverse des pages où l’humour l’emporte, comme d’autres qui le projettent dans une émotion plus grave. En avançant parmi ces différents paysages, il découvre la palette d’interventions dont se sert l’analyste, comme faire résonner un mot ou une tournure de phrase singuliers ou proposer un commentaire juste un peu décalé, afin d’ouvrir l’analysant à la polysémie de son dire comme à de nouvelles associations ou souvenirs refoulés. Ou encore ce qu’il doit mobiliser de disponibilité et d’écoute attentive pour que puisse émerger la subjectivité d’un enfant autiste.

Pour autant, si l’auteure nous fait entendre combien le travail analytique a ses particularités à nulles autres pareilles et suppose un cadre protégé où tout peut se dire, elle montre aussi que l’exercice de la psychanalyse ne s’effectue pas hors sol. Cette pratique est enracinée dans le champ social et dans l’Histoire, autant celle du XXème siècle que celle de notre quotidien. Histoire tragique, à l’exemple de la Shoah, qui peut s’entendre sur le divan, et qui peut réveiller chez l’analyste les traumas, les mythes personnels ou transmis concernant sa généalogie comme sa propre inscription. Notre auteure est une psychanalyste engagée dans le transfert auprès de ses patients mais aussi dans les combats les plus actuels. Notamment ceux qui se font contre la régression violente que l’univers de la psychiatrie publique subit depuis plusieurs décennies, y perdant la visée des sujets qu’elle a en charge, comme ceux qui dénoncent certains discours politiques contemporains qui considèrent la psychiatrie hospitalière non plus comme espace de soins et de vie mais comme lieu de gestion sécuritaire.

Il n’y a pas d’autre clinique psychanalytique que celle du transfert. Comment la présenter, en maintenant la discrétion obligée qu’elle impose ? Mireille Nathan-Murat, par l’écriture de cette fiction, y amène directement. Sa lecture nous la fait entendre et nous interroge que l’on soit professionnel ou que l’on souhaite découvrir de plus près, en-deçà de ses concepts, ce qu’est la psychanalyse en acte.

Alain Lemosof

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