L’Invité 8 mars 2011

Malvine Zalcberg "Qu'est-ce qu'une fille attend de sa mère" Editions Odile Jacob Présentation Serge Sabinus


Malvina Zalcberg

La formulation du titre du livre que nous propose ce soir Malvina ZALCBERG « Qu’est qu’une fille attend de sa mère ? » laisse supposer une sorte de demande tranquille, légitime, déjà socialisée qui laisse les sujets à l’intérieur d’une relation contrôlée, égale et égalitaire. Un peu comme « qu’est ce le public, ici, au Salon attend de vous, Malvina Zalcberg ? », ou encore : « Qu’est ce que vous, Malvina Zalcberg, attendez de moi dans cette présentation ? ». Mais le contenu du livre, sa matière, est bien au delà de cette interrogation policée ! Il y a, entre mère et fille, les éclats toujours menaçant de ce que Freud appelait « catastrophe » et Lacan plus tard, « ravage ».


Serge SABINUS

Il y a là quelque chose de tout à fait spécifique à la relation entre une fille et sa mère et, dans votre travail, vous articulez ce ravage, cette catastrophe, à la demande (au sens anglais de « demand », exigence), la demande que la fille adresse à sa mère ? Et cette demande concerne rien moins que l’identité de femme. Comment la fille devient elle femme ? Comment, demande la fille à sa mère, deviendrai-je femme ? Et vous soulignez comment cette identité ressortit précisément d’un DEVENIR et non d’une forme stable, acquise. C’est un aléa majeur de la différence des sexes.
Voilà la question qui soutient votre travail : comment se construit une femme ? Plus exactement, quel appui la fille (d’ailleurs pas nécessairement « petite ») peut elle trouver chez sa mère pour se construire comme femme dans un monde fait de la différence sexuée.
L’écriture fluide, claire, soucieuse de la précision des concepts analytiques freudiens et lacaniens et leur développement historique s’adresse à un public de non analystes soucieux, sensibilises aux aléas de la vie de famille, de la vie amoureuse. Mais les analystes, hommes et femmes, y trouveront tout autant leur miel.
Vous trouverez en effet dans le livre la mise au clair des interrogations freudiennes – « que veut une femme ? » – et de ses impasses à dégager la femme du parcours œdipien et la reprise par Lacan dans cet au-delà du phallus, cet au-delà de l’envie du pénis qui constituait pour Freud une butée au travail et à la pensée psychanalytique sur le féminin, exilé sur son « continent noir ».


Margot Della Corte

Le livre est préfacé par Aldo Naouri qui, me semble-t-il, n’évite pas l’écueil de la psychologisation. Je cite « J’ai entendu ce titre comme celui d’un livre que j’aurais voulu mais que je n’aurais pu écrire? Pour la simple raison que, même après une psychanalyse, je ne pouvais pas, en tant qu’homme, fils et père, aborder cette problématique avec la sensibilité requise pour l’intégralité de ses dimensions. » (page 10). Voilà une affirmation que j’aimerai transformer en question : Y a-t-il donc une « sensibilité  requise » pour être autorisé (et plus encore, s’autoriser) à aborder la question de la femme et du féminin. J’avance – sans risque – que votre travail évite parfaitement cet écueil, ce glissement psychologique, et garde sa juste tenue psychanalytique.
Je vous propose de reprendre le fil de la découverte freudienne et ses impasses, ses butées, puis de nous indiquer comment Lacan avance ses propositions de pensée du devenir femme.
Pour Freud, le passage obligé de l’Oedipe permet au garçon de constituer une identification virile. Le père, par son intervention symbolique dans la relation mère-enfant produit une marque source de cette identification virile qui lui permettra, au mieux, de se séparer de la mère. L’auteur souligne ici que cette marque virile caractérisera les deux sexes ! Pour la fille, la question qui fait butée, limite est celle de l’insuffisance de cette marque – signifiant, dira Lacan- pour caractériser l’identification féminine. C’est par là que la fille ne peut se dégager que partiellement de la mère. La fille, dans son chemin vers l’être femme, reste en quête – une quête qui est une demande toujours adressée à la mère – en quête donc d’une marque équivalente à l’identité virile. Ici le manque est radical, redoublé. Quand à la demande, elle est de l’ordre de l’ENCORE / en-corps.
Lacan nous dit Malvina ZALCBERG, reprend la question là où Freud a buté, en montrant qu’il n’y a pas de signifiant de la féminité : On reconnait là l’aphorisme « La femme n’existe pas » (la femme n’est pas-toute ; pas toute inscrite dans le symbolique). C’est sur ce point clé (que l’auteur déploie) que s’organisent les traits caractéristiques de la relation mère-fille : Une fille, pour être une femme, ne peut cesser de réclamer un signifiant du féminin (est-ce un avatar du « désir du pénis » ?) et de le réclamer à sa mère, celle-là précisément, parce qu’elle est une femme, qui ne peut que lui en transmettre l’absence.


Francis Cohen

C’est là, si l’on suit l’auteur pistant Freud puis Lacan, la qualification majeure de la relation indéfinie fille-mère. L’accent est alors porté sur la réussite chez la mère de son identification à la femme (identification trouée, marquée par le manque de signifiant  de la féminité).
Ces chemins décrivent avec soin ce que M. ZALCBERG appelle « registre de l’amour, du désir, de la jouissance » ; ils risquent à tout moment la déchirure : catastrophe selon Freud, ravage pour Lacan. Catastrophe ou ravage, ce dont il s’agit a ce caractère passionnel, pulsionnel (oral), jusqu’au point limite où la pulsion sexuelle prend appui sur la pulsion de mort. La haine se même à la demande d’amour produisant l’excès, le trop, le « encore » de la catastrophe et/ou du ravage. Cette demande de signifiant du féminin, demande de reconnaissance en abîme, est toujours une demande d’amour.
Il est tout à fait important de rappeler avec vous que cette question du féminin en tant qu’elle passe par la mère – dans une adresse passionnelle dont va dépendre la possibilité de désaliénation de la fille – cette question du féminin vient interroger au plus vif l’être femme de la mère. Si une mère ne dispose que de signifiants maternels, signifiants « quoad matrem » pour répondre à la demande de sa fille, la relation assignée dans la dépendance pulsionnelle (orale par exemple sur le mode de l’anorexie) conduit au ravage. La question cruciale de la fille – il me semble que c’est ce que vous dégagez avec beaucoup de pertinence dans cette demande – s’adresse donc à la reconnaissance par la mère de cette absence structurale du signifiant de la féminité. Voilà les enjeux que dégagez dans votre travail. Je renvoie les lecteurs aux cas cliniques, à la littérature, au cinéma que vous convoquez pour le faire entendre !
Pour lancer notre discussion, je proposerai non pas un jeu de questions, après tout celle qui fait titre et développement de votre ouvrage est suffisamment pertinente et, malgré les dérapages de Naouri, je la fais – comme analyste et comme homme – mienne, non, je vous propose plutôt une réponse appelant à votre commentaire : « Qu’est qu’une fille attend de sa mère ? » – Qu’elle se supporte comme femme…

Serge SABINUS
Mars 2011

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