Malvine Zalcberg

"Qu’est-ce qu´une fille attend de sa mère?" Editions Odile Jacob, Paris - 2010

 

Marília Sodré

Psychanalyste, Master en Psychologie Clinique (Université Catholique de Rio de Janeiro).
Membre de la Société Psychanalytique Iracy Doyle qui est associée à l´International Fédération of Psychoanalytic Societies.

Marília Sodré a lu « Qu’est-ce qu´une fille attend de sa mère? »

Des mères, des filles et des analysantes.

La zone d’ombre qu’habite le féminin est aussi ancienne que la Genèse. C’est là d’ailleurs que se trouve la fort étrange inversion de la femme naissant de l’homme, du corps de l’homme. Peut-être vaudrait-il la peine de prendre en plus attentive considération la richesse symbolique d’une telle subversion.  En vérité la femme, son corps et sa féminité ont toujours été l’objet d’un étonnement et d’un silence intenses. Et c’est dans l’univers silencieux à souhait de la littérature psychanalytique contemporaine sur ce thème de la constitution du féminin, que l’on rencontre le livre de Malvine Zalcberg : Qu´est-ce qu´une fille attend de sa mère ? qui m’est arrivé dans les mains d’une singulière façon : « C’est pour vous, me dit une de mes analysante en fin de séance, je l’ai lu d’une traite ». En l’ouvrant, j’y découvris le témoignage des émotions qu’il avait suscitées : marges couvertes de notes, exclamations, coups de crayon, douleurs qui s’y retrouvaient, interrogations lancées à Malvine Zalcberg et à moi-même, souvenirs affligés. Je compris que je me trouvais devant un texte que l’on pouvait lire au moins de deux façons, selon que l’on était ou non psychanalyste. Et je l’achevai avec la nette impression de me trouver devant un modèle de ces tapisseries que l’on confectionne au métier à tisser. En fils de chaîne, Freud et Lacan ; en fils plus fins Winnicott et Ferenczi ; en fils de trame, une méticuleuse reconstitution des lignes de pensée qui ont guidé la femme dans son avancée vers le féminin. D’une façon claire et minutieuse, l’auteur nous fait suivre pas à pas le déploiement de ces propositions fondamentales et de leurs successives rectifications, jusqu’à la confirmation qu’en effet Simone de Beauvoir, partant d’un point de vue profane, était parvenue à exprimer en une phrase frappante ce que tous ces penseurs avaient déjà compris et expliqué jusqu’à épuisement : « On ne naît pas femme. On le devient ».
Bien que l’auteur déclare dès le début que son objectif serait simplement d’offrir une « base de compréhension » de la position privilégiée qu’occupe la figure maternelle face à la fille au cours de son long processus de féminisation à la fois comme mère et comme femme, ce qu’elle propose est en vérité bien plus que cela. En sa tapisserie, Malvine Zalcberg place au centre de sa trame le dessin, l’exact tracé de ce qu’elle souhaite mettre en valeur comme point central : ce que Lacan désigne comme « reste », le résidu qui provient des innombrables opérations psychiques se succédant au cours de l’expérience œdipienne, et qui se constitue véritablement dans ce qui est la spécificité de la relation mère-fille. Tel est le point qu’elle choisit de mettre en relief, et c’est pour l’établir qu’elle présente au lecteur le parcours engagé par Freud, depuis ses premières indications qu’il y aurait un parallélisme entre les garçons et les filles dans leurs parcours psychosexuels, jusqu’à l’importante reformulation qu’il élabore à partir de 1925, quand il arrive à comprendre le rôle structurant et fondamental de la relation de la fille avec sa mère dans le parcours préœdipien. Le chemin vers le féminin, dit-il finalement, se fera pour la fille à travers deux contextes, préœdipien et œdipien, par un circuit d’importants échanges symboliques entre « elle, son père et sa mère ». L’amour pour le père néanmoins sera toujours secondaire par rapport à l’amour pour la mère. « Ravage », tel est le mot qui sans doute ne marque pas suffisamment combien désastreuse peut être la situation dans laquelle la mère ne se rend pas compte de sa double fonction face à sa fille : sa fonction maternelle et sa fonction féminine. C’est parce qu’une fille attend cela de sa mère, qu’après les premiers soutiens identificatoires, elle sera capable d’opérer la nécessaire séparation pour que puisse en surgir la possibilité de son désir propre et désaliénant. Malvine Zalcberg poursuit en nous indiquant que c’est sur ce point que Lacan apportera sa contribution majeure en valorisant et étendant ces propositions, élaborant ce qu’il avait désigné du nom de « trait minimum d’identification » et de « métaphore paternelle » comme images fondatrices de la subjectivation à partir de l’identification paternelle. C’est le père qui présidera au processus d’identification, nous dit-il. Et il appartiendra à chaque fille à sa sortie de l’Œdipe de poursuivre son chemin en direction de la féminité, car à ce moment elle ne possède rien de plus, encore une fois, qu’une identification virile ; et il faudra qu’elle reprenne alors la direction de la mère pour l’ultime tâche de son parcours : maintenant, prendre vraiment le père prototypiquement comme objet d’amour, et occuper sa propre position de femme dans le monde. Sa façon de devenir femme ne se réalise pourtant qu’ »entre deux mères ». Mais au bout du compte, dit-il, c’est sans aucun recours qu’il reviendra au pouvoir de chaque femme de se créer pour soi-même sa propre identité féminine, puisqu’il y a quelque chose qui échappera toujours à la symbolisation. Le chemin qui y conduit, poursuit-il, – et sur ce point l’on voit un rapprochement important avec Winnicott -, ce chemin consistera dans la capacité créatrice de chacune.
D’ailleurs, dans le tissage attentif de Malvine Zalcberg, s’il est un aspect qui ne fait pas défaut, c’est bien la créativité ; et cela devient encore plus intéressant à partir du moment où elle se met à entrelacer les fils théoriques et les fils issus de films et de livres, et surtout du lieu d’où vient tout ce que nous savons, et où retourne tout ce que nous savons : le lieu de la clinique. C’est pourquoi je pense qu’il est fort instructif que son livre me soit parvenu par les mains d’une de mes patientes, qui sans doute en était arrivée à la dernière démarche : la conclusion. Tout savoir psychanalytique quel qu’il soit ne pourra que gagner en poids et en validité à sa confirmation clinique. C’est là qu’il se démontre et se reconstruit, indéfiniment ; et dans son travail, Malvine Zalcberg se tient tout le temps en accord avec cette vérité. Ainsi Qu’est-ce qu´une fille attend de sa mère ? non seulement nous informe et nous émeut, mais encore nous invite à poursuivre notre réflexion sur le féminin, et ce toujours avec l’aide indispensable de nos analysantes.

Marília Sodré – Psychanalyste à Rio de Janeiro (Brésil)

     

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