Vannina Micheli-Rechtman, Jean-Jacques Moscovitz Du cinéma à la psychanalyse, le féminin interrogé

Eres - Le Regard Qui Bat, 2013, 224 pages, 25€

Françoise Hermon-Vinerbet

Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Au croisement de la pratique du cinéma et de la psychanalyse « le regard qui bat » vient de donner naissance à une nouvelle revue.
Elle témoigne du long et passionnant travail qu’effectue depuis presque une dizaine d’années le collectif de ceux qui chaque mois nous présentent les films de leur choix et en animent les débats.
Codirecteur avec Vanina Micheli Rechtman de la nouvelle revue, Jean Jacques Moscovitz cite J.Cocteau : « le cinéma est une écriture dont l’encre est la lumière. »
« Du cinéma à la psychanalyse, le féminin interrogé », ce premier numéro déploie la singularité des regards, et des pensées d’une douzaine de psychanalystes s’interrogeant sur les rencontres qui ont eu lieu pour eux lors des projections quasi mensuelles que nous offre ce « regard qui bat », rejeton de l’association « Psychanalyse actuelle ».
Des coups de coeur, des analyses sensibles et précises sur l’actualité d’oeuvres marquantes ; ainsi peut on revisiter les plus grands films de Casavetts, Fellini, Spielberg,  Antonioni, Liliana Cavani et bien d’autres, méditer sur « Melancholia » de Lars von Trier, ou se plonger dans l’analyse savante et pertinente de la capacité spécifique de l’image à donner corps et représentation à l’inconscient .
Claude-Noëlle Pickmann quant à ce point crucial signe un article remarquable intitulé « Question de dispositif », où elle souligne et analyse ce qu’elle perçoit comme un malentendu.
Elle nous y livre les démêlés de Freud avec le cinéma, dont la naissance était concomitante de celle de la psychanalyse, et nous raconte les avatars de la fabrication du film de Pabst intitulé « Les mystères  d’une âme ».
Elle nous dit la profonde méfiance de Freud dont s’étonna Lou Andréas Salomé, et s’en explique en invoquant la fondamentale inadéquation de l’image à rendre compte des processus de l’inconscient; elle y défend la souveraineté incontournable du signifiant en s’appuyant sur le propos suivant de Freud quant au traitement à appliquer aux hiéroglyphes qui constituent le rêve :
« On se trompera évidemment si l’on veut lire ces signes comme des images et non comme leur signification conventionnelle… le rêve est un rébus..»
Au cours de sa démonstration, elle dénonce l’opinion courante qui assimile le film à un équivalent du rêve, ou à une construction proche du fantasme, mais en constate cependant l’aspect éminemment fécond puisqu’elle a donné lieu à un courant de critiques filmiques parmi les plus intéressants.
C.N. Pickmann émet l’hypothèse selon laquelle la simultanéité d’apparition du cinéma et de la psychanalyse ne serait pas due au hasard mais serait la conséquence d’une conception nouvelle de ce qu’implique la subjectivité dans notre accès à la réalité.
Elle insiste sur l’importance de la fonction de l’écran par rapport au dévoilement des objets qui s’animent, mais aussi par rapport à ce qu’il cache de la fonction du regard qui se voit ou s’occulte dans son rapport à la réalité supposée des images projetées.
Pour séduisante que soit la théorie avec ses débouchés sur la réalité trouée et sa facticité, il serait regrettable de ne pas se pencher sur les attraits d’autres articles multiples et variés, dont le mérite est de cerner le féminin sous différents aspects.
Ne pouvant rendre compte de la totalité des articles qui constituent l’ensemble de la revue, je ne peux rendre hommage qu’à deux ou trois auteurs et demande donc à celles et ceux que je n’ai pas pu citer de bien vouloir me pardonner.
Pour interroger le féminin, c’est l’oeuvre de Federico.Fellini qui va être honoreée, au travers d’un regard féminin, celui de Francoise .Moscovitz .
C’est avec beaucoup de tendresse et la délicatesse que cette dernière nous parle de Fellini, dans un article au titre prometteur : « Les femmes de Fellini » ou le Fellini des femmes en bref, « l’homme Fellini ».
Son écrit court mais dense s’applique aux films majeurs que sont « La cité des femmes », « Huit et demi », et « Casanova », sans omettre d’évoquer la merveilleuse actrice que fut Julietta Masina dans « La strada » et rapporte des propos du maître illusionniste dont la mise en scène des fantasmes et des rêves ne cesse de nous émerveiller.
Ainsi disait ce magicien du cinéma à propos de la Cité des femmes : « c’est une fable sur les femmes d’hier et d’aujourd’hui racontée par un homme qui ne peut pas connaître la femme parce qu’il est en elle », ou bien encore : « j’ai un profond respect devant la femme, comme devant quelqu’un qui porte quelque chose qui me concerne »
Françoise. Moscovitz, « pour notre grand plaisir, dans un écrit modeste mais génial », dirait Daniel Mermet, saisit cette occasion rêvée de rendre un bel hommage à l’homme Fellini que, pour paraphraser Duras, l’on ne peut qu’aimer beaucoup.
Avec une autre femme, Fulvia Castellano, honneur est rendu à deux autres réalisateurs italiens, un homme, M. Antonioni, et une femme, L. Cavani.
Il s’agit d’un travail remarquable, tant par sa pertinence psychanalytique, que par l’amour du cinéma dont il témoigne.
« Un personnage en quête d’auteur », ici aussi, le ton de la recherche est donné par le titre, et nous voilà partis aux confins de l’étrange, du vague et de l’obscur, revisitant « La notte » d’.Antonioni, et en arrêt devant « L’éclipse ».
Pour contrer le désir de néant qui apparaît quand viennent à s’épuiser les tentations des jeux de séductions, la mise en scène, nous dit Fulvia Castellano, permet d’y voir plus clair dans l’alternance du jeu des ombres et des lumières, là où l’évanouissement du sujet peut laisser place au vide identitaire, mais aussi, donner lieu et temps à l’émergence d’une mise en corps plus consistante afin qu’advienne la possibilité d’une forme d’identité plus souple et moins figée dans ses postures.
Ainsi « Blow up », « L’avventura », « La notte », sont autant de traversées d’effroi qui ne sont pas sans évoquer ce qui se vit au cours d’une cure psychanalytique.
Avec « Portier de nuit » de L Cavani, Fulvia Castellano nous introduit dans un domaine d’intimité extrême où le fantasme fondamental du masochisme primordial télescope l’Histoire collective dans son ultime obscénité.
Là où victime et bourreau vont se rejoindre dans la re-présentation d’une mise en scène qui se répète, on peut penser ce film comme tentative désespérée de donner lieu à l’inscription du traumatisme, là où le fantasme individuel se confond à l’Histoire collective.
Le scandale qui a suivi la sortie de ce film tient à la force pulsionnelle érotique qu’il dégage, et c’est autour de cela même que l’auteur de l’article va tisser son propos et avancer des hypothèses dont la pertinence psychanalytique est d’ordre pratique autant que théorique.
Passivité féminine du masochisme primaire comme solution possible au risque de perte d’identité, érotisation du lien de soumission à un homme permettant le maintien du sentiment de vivre et d’exister dans un corps sexué capable d’émotions, voilà pour les psychanalystes l’occasion de cheminer avec l’auteure sur le terrain toujours à défricher et déchiffrer, celui du narcissisme primaire et de ses prolongements identitaires.
Enfin, si, comme c’est écrit dans l’annonce de la présentation de l’association « le regard qui bat » l’art « est le chemin qui permet le retour de l’imagination à la réalité » Fulvia Castellano nous laisse entendre, sans idéalisation excessive, mais avec une évidence tranquille, que l’invention et la pratique de la psychanalyse, nous aide à lutter contre la pulsion de mort et d’anéantissement non seulement de manière singulière, au un par un dans le champ de la cure, mais aussi collectivement dans le domaine de la culture, pour que ne cesse jamais définitivement le sentiment d’appartenir, envers et contre tout, à ce que Robert Antelme a étrangement nommé, « L’espèce humaine ».

Françoise Hermon-Vinerbet

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