Monique Lauret (dir.), L’inceste fraternel

Érès éditions, 2025

Article rédigé par : Jérôme-Evariste Terrier

La littérature psychanalytique sur l’inceste fraternel est rare. Ce manque, cet angle mort théorique, constitue pourtant le point de départ de cet ouvrage collectif dirigé par Monique Lauret. Issu d’un colloque tenu à Toulouse en 2023, L’inceste fraternel entend interroger ce silence : familial, institutionnel, mais aussi théorique. Pourquoi cette lacune dans notre histoire conceptuelle, alors même que les témoignages et les expériences cliniques abondent ? Ce livre s’attache à rendre audibles ces situations, trop souvent dissimulées sous des euphémismes — « jeux sexuels », « curiosité », « découverte mutuelle » — qui relèvent en réalité d’une rhétorique de l’effacement, héritée des agresseurs eux-mêmes et parfois relayée dans nos travaux.

Les textes réunis ici donnent à entendre la parole longtemps étouffée des victimes d’inceste entre frères et sœurs, et invitent à repenser en profondeur certains fondements de la psychanalyse. D’une part, ils reposent la question du traumatisme au-delà du seul fantasme. À travers les cas cliniques, les apports de Ferenczi, la notion de désaveu, la sidération ou l’identification à l’agresseur, ce livre réaffirme que le travail analytique ne peut ignorer la réalité des agressions sexuelles subies. Il ne s’agit pas d’opposer fantasme et réalité, mais d’articuler les deux, en pensant ce que le trauma fait à un sujet, à son corps, à son langage et à sa mémoire. L’ouvrage revient sur l’abandon de la neurotica et propose de dépasser l’opposition entre réalité et fantasme, au profit de l’ouverture d’un espace où ces deux registres s’entrelacent et s’enrichissent.

D’autre part, ce livre remet en lumière la question du complexe fraternel, longtemps éclipsée par la prééminence du complexe d’Œdipe. À partir des travaux de Lacan, Kaës, Racamier, Rosa Jaitin, et d’autres, – on regrettera peut-être l’absence d’une référence à Gérard Haddad – les auteurs donnent au lien fraternel une consistance spécifique : un axe horizontal de la subjectivation, traversé par l’ambivalence, la rivalité, la haine, l’amour, le meurtre (Caïn), et souvent, dans les familles incestueuses, lieu d’effraction du pare-excitation, de confusion des places et de rejet du symbolique. Le frère ou la sœur n’est pas un simple déplacement du parent dans le triangle œdipien : il ou elle est un autre radical, semblable et menaçant, miroir et double.

L’inceste fraternel est un livre qui dérange, qui déplace et qui engage. Il interroge l’éthique de l’écoute analytique, son rapport au silence, au trauma, à l’indicible. Il nous rappelle que la psychanalyse, si elle veut rester vivante, ne peut faire l’économie d’un examen de ses propres oublis et fixations théoriques. Et qu’elle a le devoir d’inventer une écoute à la hauteur des souffrances contemporaines. Ce livre s’adresse à tous ceux qui ne veulent pas détourner le regard — et qui souhaitent offrir, dans la parole, une place à ceux qui en ont été exclus.

Jérôme-Evariste Terrier, psychanalyste à Perpignan.

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