Nestor A. Braunstein

"DEPUIS FREUD, APRES LACAN" Déconstruction dans la psychanalyse Ramonville Saint-Agne, Eres, 2008, collection Point Hors-Ligne

Danièle Epstein, psychanalyste, a travaillé de nombreuses années avec des adolescents pris en charge dans le cadre judiciaire.
Elle a mis un terme à ses activités institutionnelles en diffusant une Lettre Ouverte. « Lettre Ouverte aux politiques et à ceux qui les relaient : Une clinique dans le cadre judiciaire, un enjeu vital » (2005)
Dernières publications sur ce thème :
« Pour une éthique clinique dans le cadre judiciaire », Collection Temps d’Arrêt , Ministère de la Communauté française à Bruxelles (2006), consultable sur Internet, http://www.yapaka.be/
« Inscrire sa trace », in Les cahiers du Cercle Freudien : Traces et Inscriptions (2005)
« De l’Agir à l’Acte, une construction psychique », in Lettre du Grape (Mars 2006)
« Clinique et Judiciaire : quelle Loi ? », in Che Vuoï, n° 25, 2006

En 1992, Nestor Braunstein publiait un ouvrage de référence, réédité en 2005 : « La jouissance, un concept lacanien ».
Son dernier livre, paru en 2008,  « Depuis Freud, après Lacan » est en fait une mosaïque d’articles, déjà publiés à l’étranger ou inédits, qui dans leur majorité, revisitent les concepts majeurs aux fondements mêmes de la psychanalyse, avec ce que cela implique sur la pratique de la cure aujourd’hui. S’y ajoutent des aphorismes sur le transfert, sur la dette et la culpabilité. C’est ainsi qu’il problématise l’enjeu même de la psychanalyse, non sans écorner quelques idées reçues qui n’ont fait que stériliser la psychanalyse en la vidant de son tranchant. 

Sans complaisance et sans céder à la simplification réductrice, le style de l’écriture en rend néanmoins la lecture limpide et  fluide .

Nestor Braunstein retraverse, au fil des chapitres, l’histoire de la psychanalyse – «les chemins de Freud et de Lacan, depuis l’un, après l’autre, mènent à la croisée des chemins qui est aujourd’hui la nôtre » (page 9)- entre paradoxes et contradictions, fausses évidences, et vraies questions, sans jamais céder au Discours du Maître auquel nombre d’analystes peuvent se prendre les pieds de l’écriture.

Au fil des pages, « sur la brèche entre savoir et vérité »(page 129), Braunstein ouvre des pistes de travail, et nous entraîne dans ses interrogations. Loin de tout systématisme, la forme que revêt le livre est celle d’une recherche permanente, où se révèle le mouvement même de sa pensée en acte.

Avec ce regroupement d’articles, cet entrecroisement de préoccupations, la forme de l’ouvrage laisse ouverte la théorie, insistant sur sa non-exhaustivité, sa dispersion, qui renvoie au signifiant du manque dans l’Autre. C’est ainsi qu’il présente ses différents textes comme « fragments d’un seul et même livre que j’écris depuis des années et que je ne suis nullement pressé d’achever…« Livre à venir » dont tous ces fragments épars ne sont rien d’autre que l’esquisse ou la préface. Le livre que nous n’écrivons pas, le livre que nous déchiffrons, parce qu’il habite méconnu, inédit, pulsionnant dans le cœur (ou mieux : dans l’inconscient) de chacun de nous. Ce livre qui, page après page, s’effeuille dans une psychanalyse dont nous sommes les témoins plutôt que les auteurs »(page 10) . Aussi, chacun des chapitres peut-il se lire indépendamment des autres.

«Depuis Freud, après Lacan» se situe à  cette « croisée des chemins »,qui à la fois constitue la richesse de la psychanalyse aujourd’hui, dans sa diversité, preuve de sa vitalité, mais aussi sa faiblesse -inhérente au fait même que la Vérité n’est pas Toute. Bien qu’il reconnaisse que «tous les analystes, par delà leur technique ou leur inscription théorique, trouvent toujours les matériaux qui ratifient leur théorie» (page 161),Nestor Braunstein, loin de faire un énième livre noir de la psychanalyse, loin d’être un pourfendeur des théories qui ne sont pas siennes, en traverse l’histoire depuis les découvertes de  Freud, avec ses allers et retours, il en examine les dérives et ses conséquences quant au maniement du transfert et à la direction de la cure.

Pour ce faire, il ne craint pas d’être iconoclaste. Ainsi en est-il de tout un chapitre qui met en cause «l’oedipianisation de la psychanalyse »,dans sa version «rabaissée par le culturalisme ou la psychologie»(page 86). En « désimaginarisant » les figures oedipiennes et en pensant en termes structuraux, il précise que c’est autour de la place centrale du phallus que se joue le destin de la castration : « Le complexe de castration devient la vérité de l’Œdipe, son contenu latent, sa raison d’être »(page 94). La métaphore paternelle telle que Lacan la formule « consiste à dévoiler les effets de mise en scène, la charpente théâtrale avec laquelle se présente le procès de subjectivation » (page 97). D’où l’aphorisme de Lacan qu’il reprend : « Le complexe d’Oedipe est le rêve de Freud »,pour en faire « le trauma  imaginaire de la psychanalyse… le mauvais rêve dont il faut réveiller les psychanalystes, pour qu’il puisse y avoir de la psychanalyse…pour que ses sources ne se dessèchent pas »(pages 86/87).

En effet, « Depuis Freud, après Lacan » est un livre  anti-dessèchement, qui revient à la source, pour mieux remettre en chantier les concepts fondamentaux de la psychanalyse, considérés parfois comme acquis, au prix de leur évidement : ainsi reviennent au travers des différents articles une remise à plat de l’Œdipe, du refoulement, du phallus, du fantasmes, des constructions dans l’analyse, de l’interprétation, du transfert, de la vérité et du semblant , des quatre Discours…

Chaque thème abordé, loin d’en ressasser les pré-supposés, sont déconstruits, et nous invitent à revisiter notre pratique, en fonction de la théorie qui la soutient.

Au cœur de cette réflexion, une « question …pressante pour la théorie et la pratique de la psychanalyse »(page 158), celle qui émane de  l’antinomie entre sens et vérité. « Deux options se présentent au praticien. Soit produire du sens à travers les interprétations et les constructions, en recherchant l’acceptation et la confirmation du patient, soit réduire le sens en déjouant les renforcements imaginaires produits par ce dernier. Soit construire des fantasmes…soit déconstruire et révéler le caractère fictif…et pourquoi les déconstruire, pourquoi démolir les fondements imaginaires de l’existence ? Pour offrir quoi à la  place ? »(page 158) . Ce à quoi, Nestor Braunstein répond : «  La vérité du Sujet est dans ce qui manque à tout dire possible, et ce qui fait que n’importe quelle prétention à l’emprisonner entre dans le champ de l’escroquerie »(page 164). Champ de l’escroquerie , qu’il qualifie au bout du compte de  «populeuse caravane des discours-appâts qui continuent de promettre l’harmonie »(page 123).

Au lieu-même de cette place vide qu’est « le sujet comme objet dans le désir de l’Autre »(page 153), et du signifiant du manque dans l’Autre,nous refermons ce livre « fictionnaire de la psychanalyse »(page 10),au vif de notre solitude et de notre Désir, solitude partagée avec ces quelques autres, qui ensembles, font institution.

Danièle Epstein

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