Nestor A. Braunstein Les Présages

Ou le souvenir d’enfance retrouvé Stock 2011

 

Dominique Simonney, Psychanalyste

Membre associé de la Société de Psychanalyse Freudienne
Membre du comité de rédaction de la revue Essaim

Le titre original du livre de Nestor Braunstein est Memoria y espanto O el recuerdo de infancia : « Mémoire et terreur ou le souvenir d’enfance ». Titre composé d’une double citation : mémoire et terreur fait référence à une réflexion de  Julio Cortázar : « la mémoire voit le jour avec la terreur », le souvenir d’enfance est  la seconde partie du titre de l’ouvrage fameux de Georges Perec W ou le Souvenir d’enfance.
Regrettons que l’éditeur n’ait pas conservé sa forme originale à ce titre-référence, d’abord en le plaçant en sous titre, puis en accolant à « souvenir d’enfance » le mot retrouvé.
L’auteur montre, mettant ses pas dans ceux de Freud, que le souvenir d’enfance est plus reconstruit que retrouvé, même si le sujet pense le retrouver dans sa « pureté », il est très régulièrement souvenir écran.
Un certain nombre d’écrivains, et pas des moindres,  ont narré leur premier souvenir.
Braunstein va se pencher sur un certain nombre d’entre eux, questionnant la mémoire comme sait le faire un psychanalyste. Freud le premier nous a enseigné que parler de mémoire trompeuse à propos d’un souvenir  est un pléonasme.

Cortázar, Nabokov, Perec
Parmi les nombreux écrivains que Braunstein appelle à la barre pour témoigner de leur premier souvenir,  citons Cortázar, Nabokov et Perec.
Cortázar raconte son réveil, tout jeune enfant,  par un bruit inconnu, le chant d’un coq, alors qu’il est seul dans sa chambre. Ses parents surgissent, sa mère met longtemps à le rassurer avant qu’il se rendorme. Il en conclut du caractère terrorisant du premier souvenir.
Braunstein, note que ce souvenir implique l’Autre qui participe à sa reconstruction : la nature du bruit angoissant, la difficulté de consoler le bambin ont été  racontés après-coup par les parents.  Poursuivons avec l’auteur : c’est la solitude, la discontinuité introduite par l ‘absence de l’Autre (essentiellement la mère à cet âge) qui produit cette terreur, que l’on peut aussi bien nommer angoisse.
Mais aussi le souvenir peut masquer autre chose : est-ce le coq qui réveilla le petit Julio ou quelque bruit plus énigmatique encore, plus proche d’un Réel innommable, par exemple l’écho des ébats amoureux de ses parents dans la chambre voisine ? Le champ du coq n’était-il pas plutôt champ d’amour ? Simple hypothèse, mais que la psychanalyse rend plausible.
Nabokov, lui,  a des souvenirs d’enfance idylliques ! Enfant roi, enfant prodige, il est entouré de l’attention et de l’amour de ses parents, dans le cadre privilégié d’une riche famille vivant ces dernières heures de quiétude avant la révolution bolchevique. Mais, il reste étrangement attaché, peut-être à l’excès note-t-il « au monde harmonieux d’une enfance parfaite ». Cette perfection « sent » quelque peu l’embaumement. A rapporter à sa passion d’épingler les papillons. Nestor Braunstein exhume de ses écrits quelques passages significatifs de sa chronophobie. Au-delà de ces premières années de rêve, existe une toute première terreur, qui est aussi un premier souvenir, celle du temps qui passe. Et donc du lien à l’Autre maternel qui nécessairement s’étiole pour un jour ce dissoudre.
Troisième exemple, Perec, celui qui tout en disant « je n’ai pas de souvenir d’enfance », écrit un chez d’œuvre nommé W ou le Souvenir d’enfance.
Braunstein estime que « l’effacement sans trace de la trace des parents, épisode dont Perec ne parvint pas à réaliser la subjectivation, se transforma, rétroactivement, en effroi, puis en berceau d’une mémoire sans limite ».

L’absence d’un Autre, le souvenir présage.
Perec se fabrique certes une mémoire, mais la terreur est bien là !
L’absence d’une parole de l’Autre pour venir « dire l’impossible » d’un réel angoissant auquel un petit enfant se trouve confronté à un moment de son existence, telle est, selon Braunstein, la structure, au-delà des remaniements dûs au refoulement, à l’oubli et aux distorsions de la mémoire, du premier souvenir. Ce qui permet à l’auteur d’affirmer que le premier traumatisme est celui de la naissance…au langage. Et de noter que la demande non prise en compte, le manque de réponse de l’Autre, peut être à la source, non seulement de la vocation de l’écrivain, mais des idéaux salvateurs de certains sujets.
Ce premier souvenir peut laisser présager ce qui motivera le sujet dans sa vie à venir. L’auteur en donne de convaincants exemples.

Les miroirs et l’autobiographie.
Souvent le premier souvenir a trait à une rencontre de l’enfant avec le miroir.
Borges en a gardé une terreur qui l’amena à bénir sa cécité et Virginia Wolf de son côté y rencontre une angoisse qui  ne la quittera plus : celle concernant son identité sexuelle.
Braunstein nous rappelle que les premiers  rapports du sujet au miroir ne se limitent pas au moment d’exultation du bébé face à sa propre image décrite par Wallon, reprise et théorisée par Lacan. Le bébé se mire d’abord dans l’œil maternel comme l’a signalé Winnicott. Surtout, le miroir (looking-glass), nous regarde, nous sommes, dit Braunstein « d’abord objet d’un regard avant de pouvoir être le sujet d’un regard ».
L’auteur boucle son livre sur l’autobiographie, suite logique de souvenir, miroir et regard de l’Autre.
L’autobiographe est confronté à son image. Il se trouve  pris entre eux feux : infirmer ou confirmer l’image spéculaire.
Depuis Freud, la biographie ne peut plus « être ce qu’elle était ».  Les mirages du moi, dans lesquels est pris un Jean-Jacques Rousseau  dans ses Confessions, ne résistent pas au scanner de la psychanalyse. L’auteur, le narrateur, celui qui dit je, doivent être différenciés.
Selon Braunstein, l’écriture expulse l’écrivain de ses  miroirs, elle est l’ennemie du spéculaire.
Avant de clore ces quelques notes à propos de ce  livre érudit, vif, plein de trouvailles, n’oublions pas de  rendre hommage au minutieux travail de traduction effectué par Jacques Nassif.

Dominique Simonney

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