L’Invitée : mardi 11 novembre 2008

Nicole-Edith THEVENIN pour "Le prince et l'hypocrite" Éthique, politique et pulsion de mort - Editions Syllepse Présentation Philippe Beucké

Ce titre! Un instant j’eusse préféré « Le prince et le diplomate », mais si certes le diplomate, celui qui est habile dans les relations est proche de l’hypocrite, ce dernier comme vous nous le rappelez, bien avancée déjà dans votre texte, est celui qui interprète. Ce n’est point celui qui ne fait que s’adapter. Il nous faut élever l’hypocrisie au rang d’une fonction: elle articule l’inarticulable, tente de donner un sens au chaos. Ainsi en est-il du Prince de Machiavel, auteur parmi d’autres qui visitent et habitent votre travail!

L’hypocrite Freudien, voilà celui qui saura y faire avec la dialectique pulsion de vie/pulsion de mort.

Je retiendrai pour l’heure deux fils majeurs, tressés et maintenus avec force le long de votre ouvrage, dans cette lecture croisée de Marx et Freud que vous opérez. Evidemment vous vous référez à d’autres auteurs mais ce sont ces deux là qui sont votre essentiel point d’appui.

La psychanalyse est politique, intrinsèquement politique. Donc il ne s’agit pas de questionner le rapport de la psychanalyse au politique mais dégager ce en quoi elle est politique!

Autre fil, une relecture de la pulsion de mort, mais est-ce bien une relecture ou une lecture juste freudienne, au plus près de sa pensée dans sa confrontation à Eros ? Une pulsion de mort qui n’est pas que destruction sourde et muette, mais qui peut de par la rupture, la déliaison qu’elle opère être source de nouveauté, d’invention. Thanatos travaillant pour un Eros civilisationnel sublimé. D’une violence qui détruit à une violence qui restaure, voilà votre chemin.

Je vous cite: « Les désordres, les crises, le bouleversements, les guerres, font partie de cette normativité en tant que reconnaissance des pulsions, de la constitution contradictoire de l’inconscient et de son lien avec la civilisation. Ce qui n’empêche pas Freud de prendre parti et de condamner telle ou telle idéologie, telle ou telle guerre, de distinguer la pure analité d’une pulsion de mort ravageante, d’une pulsion de mort ouvrant accès à l’ordre symbolique, relançant le processus de sublimation et qui lui permet, à lui Freud, de passer de l’illusion à la désillusion puis, lâchant les derniers objets identificatoires, au travail de théorisation. Après la chute, l’acceptation de cet exil qui ouvre enfin à une pensée rendue possible… » (p136/137)

Développer ces deux axes, vous le faites à partir du Freud des « Considérations actuelles sur la guerre et la mort », insistant certes sur le côté scandaleux de la pulsion de mort, mais plus encore sur la portée politique de sa conceptualisation. Un Freud dans un travail de deuil au lendemain de la grande boucherie qui ensanglanta l’Europe. Si pour Marx l’évolution de l’histoire, c’est penser une idéologie du progrès, Freud déchante, pris dans la tourmente, il passe de l’illusion à la désillusion; l’histoire est alors pour lui uniquement histoire de ruptures, minée par une destruction permanente.

Il en arrivera à un nouveau dualisme pulsionnel, après avoir théorisé la violence structurale de l’inconscient: conflit des processus primaires et secondaires, conflit du principe de plaisir et du principe de réalité.

Les analyses de Marx relatives aux modes de production et les rapports de l’homme avec les objets produits vous permettent de souligner l’aliénation qui précipite le sujet dans une soumission, une fascination pour le leader. (Je ne peux m’empêcher de penser au cinquième discours promu par Lacan, le discours capitaliste; sa clairvoyance quant à l’objet produit: objet « a », déchet qui aujourd’hui est l’humain; une autre guerre, cela fait un moment que nous parlons d’une guerre économique!). Contraintes psychiques, contraintes naturelles se mêlent, alimentant un malaise dans la culture. Au fond tout le long de votre livre, vous interrogez les modes de nouage de  ces deux pulsions, soulignant combien, ce que l’on a trop tendance à oublier, l’excès d’Eros peut tuer également. Notre lecture du dualisme pulsionnel freudien reste bien souvent très psychologisante!

Il va donc s’agir de lier pulsion de vie, pulsion de mort aux structures symboliques, imaginaires et réelles, nouage permettant alors de questionner plus finement les formations imaginaires qui président aux luttes sociopolitiques. Je pense à Jacques Hassoun qui déplorait la disparition de la lutte des classes!

Si certes vous proposez aux praticiens de la politique de prendre en considération ce jeu pulsionnel toujours à l’œuvre, pour de cette rupture en faire autre chose qu’un déni massif; lequel déni ajouterai-je, prend la figure du consensus tant souhaité par nos gouvernants! votre propos s’adresse également aux analystes. Ceci nous renvoie à Lacan et sa conception de l’éthique de la psychanalyse: savoir couper, dériver la répétition vers de nouvelles « créations psychiques ».

C’est soutenir la détresse originelle du sujet de l’inconscient, ne point céder sur l’illusion pour mieux permettre à l’individu de mesurer le prix de son désir dans un « vivre ensemble », être un citoyen, un animal politique. Sans doute est-ce cela à quoi la psychanalyse se doit aujourd’hui d’être attentive!

Votre travail nous y aide grandement. Merci!

Philippe Beucké

 

 

 

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