Olivier Douville (Sous la direction d’) « Clinique psychanalytique de l’exclusion »

Editions Dunod - Paris

 

Robert SAMACHER,
Psychanalyste, membre de l’Ecole Freudienne, ex-maître de conférences à l’Université Paris-Diderot (Paris 7).
Dernières publications : Participation à l’ouvrage Ella Sharpe lue par Lacan sous la direction de M.L. Lauth, Paris, Editions Hermann, 2007. – « Le corps des déportés et le Yiddish » dans Yiddishkeyt et psychanalyse, sous la direction de Max Kohn, Paris, MJW Fédition, 2007. – « Humour juif et mélancolie », dans « Culture yiddish et inconscient », sous la direction de Max Kohn, revue Langage et inconscient, revue internationale, Limoges, Editions Lambert-Lucas, 2007. –  » Les progrès de la science jusqu’où ? » sous la direction de Robert Samacher, Emile Jalley, Olivier Douville, revue Psychologie Clinique n° 23, Paris, L’Harmattan, printemps 2007.

Ce livre collectif est le premier à explorer les différentes facettes des effets subjectifs des exclusions et des précarisations à tous les âges de la vie, il met l’accent sur les réponses institutionnelles et leurs possibles impasses. Les différents auteurs cliniciens face à la précarisation des rapports sociaux et familiaux exposent ici des pratiques de soin marquées par le souci de se laisser guider par autrui. Tous ces auteurs sont particulièrement sensibles et préoccupés par le rapport au langage et le corps des sujets en grande exclusion. Ils sont aussi impliqués dans des formes de réseaux ou d’institutions de soin où s’entremêlent puis se spécifient progressivement des niveaux d’accueil individuels et relationnels, d’une part, collectifs et institutionnels d’autre part.
Dès son introduction, Olivier Douville, dans une perspective anthropologique, reprenant une définition proposée par Jean Furtos, souligne que la précarité est la condition de structure de l’humain, il naît prématuré et ne saurait exister sans se mouvoir et se signifier dans des réseaux de lien, d’aide, de dettes et de don. »
Le clinicien est donc amené à s’impliquer dans des dispositifs au croisement de deux types de réalités se superposant : la réalité sociale et la réalité de la situation personnelle. Le sujet exclu, coupé des rapports sociaux doit pouvoir trouver dans ces rencontres la possibilité de reprise et de réinsertion. Il s’agit de partir de l’idée que tout sujet a une appétence au lien social qu’il s’agit de reconstruire.
Douville précise le projet de ce livre : s’il traite d’une clinique de l’exclusion, il n’a pas pour projet de « récupérer » les souffrances occasionnées par les injustices économiques en les traitant comme des troubles psychiques. Tout en reconnaissant qu’il existe une réelle douleur d’exister chez les personnes en grande précarité, il s’agit de dépasser les frontières entre le social et le sanitaire. Dans de tels contextes, que proposent les auteurs ayant participé à cet ouvrage ?
Dans la première partie : « Incidences subjectives de l’exclusion et de la précarisation », en premier lieu Olivier Douville va parler de « De l’exil à l’exil intérieur ». Il reprend la notion d’ « Exil » en tant que « questions anthropologiques et cliniques au vif de la pratique » et il pose la question de la place donnée à la théorie du lien social. Il montre la complexité du tissage qui se crée entre montage anthropologique et psychique entre identité et altérité. Ce qui est intéressant dans la rencontre avec l’étranger, ce n’est pas tant de découvrir un autre absolument autre, mais plus encore de se donner accès à un champ de questionnement sur nos pratiques du lien qui se posent dans un contexte culturel bien déterminé…Ceux qui alertent le clinicien sont les hommes et les femmes pour lesquels leur passage est une chute, une condition anomique de désidentification et pour lesquels l’exil matériel, historique, économique et politique ne permettent pas qu’un travail psychique puisse s’accomplir.
Qu’en est-il de l’exil et de la transmission ?
Le social est alors à appréhender comme le lien qui garantit ou pas la possibilité de survie et de transmission du registre de la parole d’une génération à l’autre. Qu’en est-il des héritages et des pertes ?
Quelle théorie du lien social peut-on alors envisager ?
Il ne s’agit pas pour le psychanalyste accueillant les positions subjectives des personnes en exil, de s’intéresser plus particulièrement aux « types d’organisations culturelles ». Le situation psychanalytique impose d’être à l’écoute de ce qui est le plus universel chez le sujet, à une parole qui « rassemble de la trace tout en lui donnant un statut particulier d’origine trouvée-crée, située et jouée dans le champ du transfert ». Pour Douville, « l’objet princeps d’une anthropologie psychanalytique est l’étude des processus d’humanisation et d’institution du sujet. Ce n’est pas l’opposition entre sujet et collectif qui retient l’attention du psychanalyste. La dimension symptomatique du lien social réside en ce que l’accroche au semblable vient à la place d’une jouissance auto-suffisante du corps et perdue. Mais plus encore, le prochain fonctionne comme point d’appel pour une conflictualité subjective. Mais l’appel ou la demande sont-ils entendus quand on est un exilé ? La non écoute, l’indifférence peuvent aller jusqu’à la casse du corps et du Nom aboutissant à une destruction symbolique.
Douville s’interroge ensuite sur les phénomènes de liaison et de déliaison, il souligne que la question de l’autre demeure fondamentalement la question de l’enjeu du langage. Le langage étant à la fois notre demeure et notre altérité, il s’agit de lutter contre la tendance qui les penserait en termes imaginaires, d’autres cultures, d’autres mœurs…couleur de peau etc.
L’in-condition de l’homme dans son corps et dans son langage, son incomplétude, sa division font qu’il est exilé de lui-même à partir du moment où il parle à quelqu’un qui l’entend.
Dans son projet, Douville tente d’ouvrir à une compréhension d’une phénoménologie et d’une métapsychologie des effets psychiques de ces exils au risque du non-lieu, ce qu’il nomme « exil fractal ». Il postule que c’est « autour des nouages entre langue, demeure, nom et mort qu’une telle approche peut s’ouvrir et qu’elle accueillera de plus en plus la dimension des effets de génération dans l’exil (et donc d’exil dans la génération).
Dans de tels contextes, l’offre des psychanalystes , compte tenu des « modalités subjectives » rencontrées, imposent des pratiques originales…elles apparaissent bien plus comme des temps inaboutis d’orientation par le fantasme, défaut d’inscription du sujet, défaut de nouage entre moi et corps, entre parole et langue. Des signifiants gelés ou des transmissions qui se coagulent dans des corps illettrés, aphasiques, « possédés », donnés pour figés ou accidentés, dans une éternisation de plainte sans conviction…C’est-à-dire l’art de recueillir les affects du forfait, de la misère, de l’angoisse.
« La transmission souligne Douville, suppose un parti pris sur le destin de la trace. »
L’auteur ne se prive pas de rappeler par ailleurs que les modes actuels de production de l’identité, de modes de confection de l’uniformité des corps rejoint la pensée de l’identité qui n’est pas sans lien avec l’extrême violence des revendications ou des conflits identitaires qui considèrent que l’identité est un bien exclusif répondant à une idéalisation monolithique de référence communautaire qui visent à la guerre des cultures et à la mort de l’identité de l’autre ayant pour projet une altérité radicale qui commande l’expulsion de toute étrangeté des scènes fondatrices.
Dans la partie : Des transmissions en impasse au risque de la dilapidation symbolique : il est question de « la catastrophe subjective qui risque de survenir quand la violence reste sans récit, qu’elle est clandestine et secrète au point qu’en parler revient à toucher le tabou des morts. » Clivage et mortification du nom : il s’agit alors des hommes qui ne se reconnaissent plus comme passeurs de Nom, ils peuvent ne plus se reconnaître dans leur nom.
Des pères en exil : « pères en éclipse, en exil, parfois ne consistant plus comme regard et comme voix, réduits à un regard sans anticipation et à une voix sans écho. Pères, chez qui, et dans le corps desquels toute la nostalgie de l’origine a refluée, les brisant ».
Exil, mélancolisation, hantise
Il s’agit de « ces exilés en redoublement de leur exil, ceux-là qui ont quitté un pays pour rejoindre une absence radicale de pays et qui n’ont pas trouvé le lieu de leur semblant ni le lieu de leur combat. Ils errent…registre de la mélancolisation fréquente chez les exilés…n’ayant plus la possibilité de nouer le moi au corps. » Dans le meurtre du nom que ce processus et en jeu, c’est le montage du sujet à la lettre qui se trouve aboli. L’absence de la lettre fait alors gouffre, quand le nom est mis à la casse, il ne se transmet plus.
Corps et ségrégation
Il s’agit de l’altérité du corps qui n’est pas socialement perçue dans sa dignité de corps et c’est bien le cas du racisme qui, sous le primat d’un unaire insultant le moi au corps d’où l’interchangeabilité que la pensée raciste donne à l’étranger ou la petite différence donnée comme marque de masse : « ils sont tous comme ça !»
Douville souligne le tour féroce pris par les entreprises politiques pour fabriquer du corps de migrant. La question de l’ADN concernant les regroupements familiaux, la présomption de fraude que cette loi fait peser sur tout immigré est une non seulement une catastrophe pour l’exercice de la vie démocratique mais elle correspond à une conception bouchère qui ne voit dans les filiations que le bios et non la transmission symbolique. »On voit l’immigré devenir ce corps auquel il est réduit. La langue de sa filiation est considérée comme morte »…Le corps est ainsi réduit aux conditions du marché. « La réduction de toute filiation aux contraintes du bios, souligne Douville est une insulte à la citoyenneté et à la pensée de chacun. »
La pétrification de la langue
Comment dire l’élémentaire de l’échange : le oui et le non à l’autre, lorsque les mots que l’on emploie, la langue que l’on parle n’ont plus à nous offrir les promesses de mémoire et leur enjeu d’accueil de tout sens nouveau ?
Les traces de mémoire sont prises dans les logiques de ségrégation de nos modernités scientistes et technologiques qui participent à la dé-subjectivisation du langage et pétrifient la langue.
De l’adolescent
Douville propose une lecture clinique et anthropologique du travail avec les adolescents issus de la migration pour apporter une précision à l’étude des processus de subjectivation à l’adolescence dans la mesure où le concret de leur histoire (éloignement des altérités de référence, perte de la langue maternelle, exposition à de nouvelles fictions du corps) vient redoubler les opérations psychiques de coupure et de lien caractéristiques de ce nouvel âge de la vie.
Confrontés à des parents qui se présentent « comme des corps sur lesquels a reflué toute la nostalgie de l’origine brisée. » Ces jeunes sont souvent pris dans un montage subjectif en impasse, privés du travail d’appropriation du travail de division. Lorsque cette appropriation ne se fait pas, ces jeunes sont privés de l’expérience du vide intérieur qui les mène à l’individuation.
Douville fait ensuite un certain nombre de propositions :
Face à ces modifications brutales des montages et des fractures des liens entre identité et altérité, « le clinicien pourrait alors se situer comme un témoin permettant la construction de ce qui n’a pas été réduit à rien dans les cassures généalogiques, les ruptures, un ferment de nouvelles alliances et de nouveaux sites du sujet. »
L’exilé dérange nos habitudes de clinicien et de ce fait, il nous incite à penser autrement la clinique, « il révèle ce qu’a fatalement de précaire et de plaqué, de fragile, enfin, la fabrique normative de nos idées. »
Il s’agit alors d’affirmer le bien fondé d’une clinique des effets de l’exil, c’est ce que vont s’employer à faire les autres auteurs de cet ouvrage.
Dans le chapitre 2, « Corps exilé et somatisations », Marie Cousein, appréhende l’incidence de l’exil sur le rapport d’un sujet à deux vecteurs de son identité : soit son rapport au corps et à la langue, en posant la question de l’enjeu de la douleur à convertir en matériel psychique s’inscrivant dans un discours et en prenant appui sur un exemple clinique, elle montre comment peut s’élaborer la souffrance psychique. L’auteure invite le clinicien à porter son attention à la dimension corporelle de la psyché et à la douleur ; ainsi, dans sa conclusion, elle considère que toute souffrance narcissique réclame d’être soignée par l’individu mais aussi par du collectif.
C’est ainsi que le clinicien peut saisir le reste de relationnel en attente d’une adresse et qui est gardé en vie pour aider le sujet à renouer avec ses capacités subjectives et langagières, c’est-à-dire avec renouer avec soi et avec l’Autre grâce au transfert, dans un discours que le sujet peut s’approprier.
Le chapitre 3 est consacré aux « Bébés précaires. Comment les accueillir ? » est écrit par Claude Boukobza, Béatrice Bernard, Malika Mansouri, Laure Quantin. Elles font partie de l’équipe d’Accueil Mère-Enfants de l’Hôpital de Saint-Denis qui accueille des mères et des bébés en situation d’exclusion et de grande précarité. Compte-tenu de l’inadéquation des dispositifs de soin traditionnels, les pratiques de soin dans ce lieu connaissent une inflexion significative. Les soignants sont eux-mêmes amenés à inventer de nouveaux types de rencontre clinique, à l’image de ceux déployés progressivement à l’Unité d’accueil. L’institution joue auprès de ces mères une fonction de tiers que ni le social, ni la famille n’assument. Cette clinique appelée ici psycho-sociale se déroule souvent dans les interstices, les espaces intermédiaires, avec une temporalité spécifique et nécessite un dispositif d’accueil marginal, hybride, « bricolé ». Pour ces cliniciennes, la question qui demeure de façon aiguë est celle du devenir de ces enfants.
Dans le chapitre 4 « Représentation de l’espace urbain et structuration psychique des jeunes en situation de précarité et de violence », Marie-Claude Fourment-Aptekman explore la structuration de l’espace psychique chez des adolescents et adolescentes vivant dans un climat de violence depuis de nombreuses années par l’intermédiaire du dessin. L’auteure constate que la représentation psychique de l’espace ne correspond pas à la maîtrise pratique de cet espace, mais aux difficultés du lien à l’autre que ces jeunes connaissent sans doute depuis leur prime enfance. D’après elle, il est difficile de considérer que l’espace urbain pourrait jouer un rôle comme contenant psychique, néanmoins les différents contextes (discontinuité relationnelle, ruptures intergénérationnelles, précarité) ne sont pas sans influer.
Le chapitre 5 « Quelle vie psychique se fige et se reprend dans l’errance adolescente ? » par Olivier Douville et Virginie Degorge. L’errance dont il s’agit ici, est celle qui touche certains adolescents rencontrés dans les barres de cités, au sein de divers dispositifs d’aide d’urgence, celle des mineurs en danger dans les rues des mégalopoles africaines et sud-américaines (Mali, Burkina Faso, République du Congo etc.) Les auteurs sont amenés à parler d’une clinique de l’abandon à articuler avec une clinique de la dignité, ces jeunes étant entendus comme des sujets en devenir avec laquelle on est amené à travailler l’altérité « à vivre son désir et sa peur de l’altérité, à prendre soin de ce qui est discontinu. Comme la parole humaine, comme la voix humaine, comme la présence, l’absence, etc. » Les auteurs proposent de tenir trois paris ensemble : « celui d’une logique de l’habitat respectée ; celui qu’il existe des fonctions psychiques de cette errance ; celui qui considère des fonctions exploratoires, de domiciliation et de réparation et non seulement des fonctions conservatrices dans l’errance. » Ces paradigmes sont à conserver quelles que soient les situations afin d’éviter de s’enfermer dans une clinique déficitaire plaquée ne donnant pas accès à un transfert humain sexué et mortel au lieu de provoquer chez le jeune du repli dans une mortification croissante.
La partie 2 du livre est consacrée aux « Réponses institutionnelles et leurs impasses ».
Le chapitre 6 « Vivre est plus difficile que survivre ? » par Michèle Benhaïm est consacré au clinicien face aux impasses de l’insertion sociale et rend compte de la tâche du clinicien dans des contextes extrêmes.
Confronté à ‘insupportable de la détresse, pour tenter d’y répondre, l’auteure prend appui sur les trois temps logiques : « le premier recouvre la déambulation du clinicien à la rencontre de l’autre et sa participation à sa mise à l’abri. Le deuxième temps, celui du soin et de la « réanimation » suppose de devoir se confronter à un moment d’affolement d’un sujet soudain « déplacé » géographiquement, socialement et surtout psychiquement. Si l’équipe supporte, contient, étaye, encourage les « ailleurs » et les allers-retours, le temps s’ordonne, l’espace s’ouvre, le sujet s’apaise. Le troisième temps voit émerger des demandes de psychothérapie pour certains « je veux comprendre » comprendre sa propre rencontre avec la jouissance.
Mais dans le contexte politique actuel, « comment pouvoir inventer et réinventer notre éthique clinique », demande l’auteure. L’urgent est de rétablir un fil unissant la pensée, le corps et l’acte mais cela est d’autant plus compliqué, difficile dans un temps où les lieux d’adresse se réifient du fait de la « désertification du champ de l’Autre et de l’altérité. »
Jusqu’à quand ce meurtre social va-t-il perdurer car pour penser, il faut du temps, réintroduire de l’historicité, être courageux et déterminé. Le clinicien en régule pas les besoins, ne formate pas la demande, il ne protège pas l’ordre social …Il bricole, il invente il crée. Il travaille avec et dans le transfert au sein d’un espace d’attente sans objet, ainsi, ne peut-il se situer qu’à rebours des discours dominants…Dans ce lien pacifié qu’il cherche à établir avec des sujets pris dans des situations dites « extrêmes », le clinicien ne peut qu’accueillir la violence du réel, la violence faite au corps, la violence faite à l’autre… « Derrière la violence, ce que le clinicien peut rencontrer, c’est un appel silencieux, ce qui suppose la mise en place d’un cadre sans murs ou d’un trottoir sans divan dans lesquels pourra s’introduire , sous transfert, une face commune entre le sujet et le clinicien en lieu et place du mur qui s’est élevé entre le sujet et le monde. »
Le chapitre 7 est consacré aux « Grandes exclusions et corps extrêmes : de la fabrique du paria » par Olivier Douville, l’auteur tente de dessiner une ligne de partage entre exclusion et précarité, il évoque les solidarités minimales qui existent dans certains lieux : quartiers de banlieue en situation économique précaire, réseaux de solidarité économique, parfois fondés sur le troc, économies marginales ou peu légales. A côté et à l’inverse de ces réseaux, il existe des bribes de social qui ne font pas lien, les exclus se situent dans des « no man’s land », «exilés de l’intérieur», « enfermés dehors ». Pour Douville, « l’exclu n’est alors plus seulement celui qui habite dans des lieux où règnent la misère et le chômage massif, il est celui qui a franchi une ligne, un seuil…il est celui qui a effectué où il s’absente au lien social et à la fraternité du discours ». L’auteur propose pour ces populations le terme de « a-cité ». Les cliniciens sont donc confrontés à ces populations et à ces états nouveaux de dénouage entre l’économie narcissique du sujet et les topos sociaux.
Dans ce chapitre Douville s’intéresse plus particulièrement à ces populations dont il analyse les caractéristiques et les réponses sociales qui leur sont données. De son point de vue, il conviendrait d’accueillir la temporalité psychique particulière de ces sujets, temporalité à raccrocher à des espaces ou l’affect peut être accueilli permettant au sujet de repérer des espaces avec des contenants et des seuils.
« Le clinicien doit être en mesure d’offrir une écoute aux formes cliniques et sociales de la mort dans le langage, offrir un effort de rassemblement critique des savoirs pulvérisés sur l’humain, proposer une investigation des formes de la mort sociale ne sont pas d’après l’auteur, des démarches étrangères et antagonistes. » Toutes ces questions de prise en charge des exclus renvoient à l’organisation institutionnelle et au politique à repenser qui accepte le dénuement de la vie humaine.
Dans le chapitre 8 « Remarques d’une psychiatre-psychanalyste sur les défis que pose la grande exclusion », l’auteure Sylvie Quesemand-Zucca propose de débattre de l’usage répandu du terme de « souffrance psychique » accompagné par une psychologisation des réalités subjectives et collectives. Elle étend son propos aux errances à travers le monde que connaissent aujourd’hui des millions de personnes en perte d’identité et qui s’aggravent sous nos yeux d’observateurs confrontés au devenir à long terme de ces hommes sans papiers, dès lors qu’aucune réaffiliation n’est pas possible pour eux. A quelles maladies psychiques amenés ces sujets en l’absence de toute nomination ? « Questions complexes » écrit l’auteure, car ces errants peuvent également rencontrer les réseaux de criminalisation et de prostitution mondiales. Les usurpations, falsifications et vols d’identités sont devenus une des plus grandes préoccupations mondiales en matière de sécurité. Qu’en est-il en particulier des jeunes pris dans un processus de désaffiliation, de déconstruction psychique et de déshumanisation contemporaine…Qu’est ce qui peut faire loi pour qui n’est pas nommé ? L’auteure interroge, qu’est ce qui va faire loi pour qui n’est pas nommé ? La perversion est éventuellement l’une des réponses, puisqu’ils sont mis en place d’objet de jouissance passant toutes les frontières. « Quelles instances politiques internationales sauront les nommer et leur donner une adresse autre qu’une poste restante itinérante ou qu’une incarcération pour illégalité d’exister sans nom fixe ? »
Le chapitre 9 « Soumissions marginales : A la recherche d’un temps perdu ou encore quelle clinique des addictions ? » écrit par Jean-Paul Mouras rend compte de la relation du toxicomane avec la drogue. Pour l’auteur la toxicomanie rend compte d’un grand nombre de discours issus de perspectives diverses, il s’agit d’un milieu complexe qui nécessite une action d’équipe dans une perspective pluridisciplinaire, ce qui exige une communication accrue entre les différents professionnels.
L’écueil est que souvent les discours tenus, ne s’accordent pas forcément entre eux, Mouras reprend le point de vue psychanalytique afin de préciser les motivations inconscientes qui peuvent pousser un sujet à entrer dans cette trajectoire fréquemment qualifiée de « déviante, ou considérée comme délinquante. » Il évoque les différentes formes psychopathologiques et les réponses sociales données sans oublier de décrire le vécu phénoménologique et les états par lesquels passent ces sujets.
L’auteur pense donc que le toxicomane peut s’inscrire dans un transfert devenant un lieu « symboligène » et de passage entre « l’inconscient et la culture, lieu de passage entre le singulier et le collectif ». De son point de vue, « le cadre analytique va être un espace, où, dans la relation transférentielle, va pouvoir se construire un rêve identaire. Ce rêve prendra forme dans la mesure où l’analyste permettra un travail de désillusion et de limite, envers du voyage idéal et dramatique de la drogue. » Dans cette même orientation, Mouras développe sa propre conception de la conduite de la cure avec ce type de patient, ce qui suppose une révision de la cure. Ce qui suppose reconnaître qu’il s’agit ici d’une variation de la cure type. Son point de vue est intéressant mais demande néanmoins à être discuté compte-tenu des difficultés rencontrées pour établir un transfert analytique avec ces patients.
Toutes les questions portant sur l’exclusion et les propositions qui sont faites me paraissent essentielles. Nombre de politiques pourraient s’en inspirer si toutefois pour eux, l’inconscient est un concept qui peut être mis au travail. Ce livre me paraît un livre de base dépassant le champ de la psychanalyse et devrait intéresser tout intervenant confronté à l’exclusion, l’exil, la précarité.

Robert Samacher

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