Ce livre nous propose une présentation des grandes dates de diffusion de la psychanalyse à l’époque où vécut Freud, présentation mise en regard avec les contextes historiques (guerres, révolutions, mouvements d’indépendance) durant laquelle elle vit le jour et se développa. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un travail d’historien mais plutôt d’une mise en perspective visant à faire transmission. Transmission des contextes de réception et de développement de la psychanalyse mais aussi des impasses et des enjeux de son institutionnalisation. Cet ouvrage vient soutenir des réponses au pourquoi la psychanalyse dans un monde contemporain en mutation et compte tenu du pari qu’elle doit toujours renouveler quant à sa portée subjective dans le champ de la vérité. Bien vivante par sa pratique, peut-être plus que jamais, la théorie psychanalytique a aujourd’hui affaire à des détracteurs souvent mal informés qui, sous couvert d’une soi-disant obsolescence, protestent énergiquement contre la subversion que la rencontre de la psychanalyse nécessite d’accepter. Car il s’agit aussi, pour Olivier Douville, dans le fil des travaux qu’il poursuit depuis quelques décennies, de soutenir la richesse anthropologique de cette science du particulier, c’est-à-dire « l’incroyable influence et pouvoir de fécondation de la psychanalyse sur les sciences affines dont la médecine, la psychologie, l’anthropologie et l’esthétique, en dépit ou grâce peut-être aux débats et aux rudes controverses qu’elle suscita ».
Particulièrement précieux par la masse d’informations précises qu’il apporte, cet ouvrage décrit les cycles événementiels groupaux ou singuliers qui ont ponctué l’histoire de la psychanalyse depuis 1856, année de la naissance de Freud, jusqu’à sa mort en 1939. Les questionnements, les réinterprétations, les relectures, les oppositions qu’elle provoqua en Europe et dans l’univers extra-européen sont commentées et discutées. L’auteur revient sur le temps de la formation de Freud, celui de la découverte des lois de l’inconscient, du pouvoir de la parole et de la naissance de la psychanalyse avec l’hystérie, puis, plus tard, sur la façon dont elle commença à s’égrener, à voyager, en psychiatrie notamment, avec enthousiasmes ou polémiques, voire refus catégoriques, dans tous les cas ne laissant personne indifférent. L’extension de la psychanalyse fait corps avec les avancées et publications de Freud mais aussi avec ses modes d’institutionnalisation. Les années 20 sont marquées par la question de la formation des psychanalystes, par le lien à l’éducation et les problèmes posés par l’application de la technique psychanalytique aux enfants ou bien l’exploration de la sexualité féminine et les débats qu’elle suscite. Les années 30 se caractérisent notamment par les effets de la montée du nazisme qui aboutiront à l’exil de Freud à Londres. Si la psychanalyse, à cette époque de la première moitié du XXème siècle, fût présente dans la grande histoire à travers les événements majeurs qu’elle traversa, quelque chose frappe le lecteur dans son histoire interne : la dimension de la répétition. Nous retrouvons souvent, en effet, les mêmes querelles, les mêmes préjugés, les mêmes méconnaissances, les mêmes ostracismes, comme le souligne Douville, « les mêmes débats inaboutis et virulents concernant la formation de qui se prétend psychanalyste ».
Ce livre, qui nous surprend souvent, fait preuve à l’occasion d’humour et se révèle foisonnant, nous apporte une documentation précise sur la psychanalyse et son histoire. La portée de l’ouvrage de Douville tient au fait qu’il reprend les évènements dans le détail, nous montrant comment un réseau de relations s’est tissé avec le temps, par exemple entre échanges épistolaires et avancées théoriques, entre personnalités et influence réciproque avec les sciences affines, ou encore entre traductions et diffusions d’un pays à l’autre… On découvre aussi comment le jeu des transferts vers Freud et de Freud vers ses élèves proches et ses amis écrivains a participé au développement vivant de la psychanalyse. Le bouillonnement qu’elle provoqua introduisit une renversement épistémologique qui bouscula les milieux littéraires, philosophiques, sociologiques, scientifiques, jusqu’aux Amériques et en Chine, et qui perdure depuis Lacan. Soutenant la scientificité de la psychanalyse, Freud inventa – c’est l’une des idées force soutenues par Olivier Douville – une théorie inédite de la Culture.
Pierrick Brient.
Psychanalyse, membre de l’Ecole Freudienne.