Pierre Delaunay « Les quatre transferts »

Edité par La Fédération des Ateliers de Psychanalyse

Françoise Hermon-Vinerbet

Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Françoise Hermon-Vinerbet a lu « Les quatre transferts »

Merci à la Fédération des Ateliers de Psychanalyse pour avoir publié sous la forme d’un livre ce recueil de textes  écrits par P. Delaunay.  Radmilla Zygouris en a fait la  présentation lors de sa parution et j’ai  moi-même un grand plaisir à vous  en rendre compte.

Voilà une lecture qui m’a accompagnée avec bonheur. Nous sommes conviés à un voyage à travers quarante ans de journal clinique, séminaires et conférences. Le style est clair, le ton à la fois enjoué, grave, enthousiaste, la structure de l’ouvrage aérée,  bref, l’esprit souffle.

 Ténacité et créativité, deux qualités dont ne manque pas cet analyste. Il ne s’agit pas de théorie, nous dit R. Zygouris dans sa préface, mais ce que je trouve bien plus vivant, de création de concepts. Il les sème, à nous de les faire germer, si les graines  conviennent  au terreau singulier de chacun d’entre nous. Le propos s’adresse à une communauté, celle des analystes de bonne volonté, les « polyglottes », ceux qui ne se réfèrent pas à un seul maître mais à une pluralité de penseurs, ceux qui après Freud se sont risqués à s’avancer seuls mais appuyés à leurs prédécesseurs, et, surtout, se sont laissé féconder par leurs patients. L’analyse est un voyage à faire avec plusieurs pilotes, et parfois sans.

Delaunay rend honneur à Marcel Mauss et au concept de don: il reçoit, puis rend.

 Pour ce qui est de la psychiatrie, il emprunte a Françoise Minkowska deux  concepts fondamentaux pour rendre compte des mécanismes d’organisations du monde : le mode épileptoïde  qui consiste à lier, agglutiner, synthétiser, et le mode schizoïde, dont la fonction est de séparer, disjoindre, analyser.

Pour ce qui est de la linguistique  il évoque les structuralistes  Saussure et Jacobson, mais il préfère Mauss à Lévi-Strauss et rend surtout hommage à Benveniste et  à Austin qu’il cite par cette heureuse formulation  « how to do things with words (comment faire des choses avec des mots)». En effet le transfert consiste à agir au lieu de  se  souvenir. Adresser des mots à un analyste c’est bien lui faire quelque chose avec des mots et  rendre possible que le réel, c’est à dire le quotidien parfois non « réalisé », devienne réalité pour un sujet. – Déplacer l’aménagement des concepts est un talent que possède P. Delaunay; il existe, affirme-t- il, une pulsion à réaliser. Il pose que la réalité est structurée comme un  voeu : voeu que ce qui arrive entre dans un jeu de langage, en relation avec la parole d’un autre. Le réel du monde intérieur comme extérieur  demande à être réalisé; on ne peut pas changer le réel mais un analysant  peut changer sa  propre réalité en transférant des morceaux de réel chez  son analyste. C’est ainsi que par une opération de ce que Delaunay nomme  «  occupation  -besetzung- » de l’analyste   une réalisation peut se faire chez l’analysant. La contrainte de répétition nous dit-il, n’est pas du côté de la pulsion de mort, elle est contrainte à réaliser, insistance de ce voeu, c’est une contrainte symbolique.

Nous assistons à des trouvailles métapsychologiques. Ainsi Delaunay préfère au terme d’« économie psychique » celui de « fonction ».   « La fonction est la forme mathématique du lien ». Cette fonction nous affecte et l’affection peut devenir passion. « Désêtre »,  peut  alors cesser d’être à cette place où l’autre nous assigne pour que l’unité symbolique se réalise, et en cela c’est une nécessité pour  tout un chacun, pas seulement pour l’analyste d’en passer par là. « Mesurer l’ampleur du désastre » c’est le titre d’un  article  clef de cet ouvrage. Souvent  lorsque nous n’en prenons pas la mesure, l’analyse s’enlise. Dire le désastre, en détailler les avatars ne suffit pas à le  réaliser  vraiment. Beaucoup d’efforts sont nécessaires pour  que «  l’énergie contenue dans les processus inconscients cesse de paralyser les processus de développements de l’enfant en relation tant avec sa famille que son milieu social ». On peut noter la justesse de l’image qu’il emploie à cette occasion  quand il nous parle du  « lancement en orbite par  les voeux parentaux qui en même temps déterminent, et projettent dans l’inconnu ». Delaunay nous donne là une illustration du fait que   « l’enracinement des mots dans l’image est du côté de la vie. Il affirme : « la vision en images appartient à l’organisation supérieure de la pensée; on peut imaginer que si le lien entre les mots fait image vivante, l’absence de liens fait la présence réelle dans son splendide isolement ». C’est de cet isolement que se plaignent de nombreux patients en état psychotique.

J’en viens à l’explicitation du titre de ce livre.

Que sont ces quatre transferts dont l’énoncé  résonne avec  «  les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse » de Lacan ?

Les formes transférentielles sont, nous dit P. Delaunay, des modalités d’occupation, elles nous assignent à résidence, elles obéissent à une contrainte symbolique. Là où une unité duelle basique  fondamentale  a existé, la contrainte de répétition va obliger  analysant et analyste à occuper des places déterminées. Comme pour le symbole, objet de  réunion-séparation dont l’origine se fonde  sur la production de deux tessons de poterie résultant d’un bris séparateur, la place laissée vide par l’un des morceaux demande à être occupée.

Le transfert inversé
Faire à l’autre ce que jadis on nous a fait

Le transfert provoqué
Se faire faire ce que jadis on nous a fait

Le transfert psychotique

Panaché du transfert inversé et du transfert provoqué; il  relève de l’  « Action directe » et se manifeste par l’affolement, il s’apparente à ce que Searles a répertorié  comme « l’effort pour rendre l’autre fou ». Dans les moments psychotiques « on se fait faire à son insu, ce qu’on nous a fait dans le passé. On nous le fait parce qu’on le fait aux autres et que ceux-ci nous le font en retour. »

Le transfert interne
L’analysant se fait lui-même ce qu’on lui a fait

De  la lecture des témoignages cliniques que nous offre Delaunay  ressortent  des manières de faire et des conceptions qui se sont avérées efficaces. L’une d’entre elles et non la moindre, consiste à mettre en jeu ce qu’il nomme « l’amour nécessaire » car dans un certain nombre de cas, la neutralité peut être vécue comme une absence d’humanité, une insulte ou comme une  non existence de la personne de l’analyste. Lorsqu’on a à faire avec les états  que Ferenczi a appelé «  d’anéantissement, de dissolution totale de la personne sous l’effet du trauma » lorsque se manifeste le syndrome  qualifié de ferenczien par Delaunay : paralysie, anesthésie  douloureuse et clivage, c’est à l’analyste de rendre compte de ses propres perceptions afin que puissent avoir lieu pour l’analysant des évènements traumatisants  qui n’ont pas  été « réalisés ». Dans ces cas là, ce que Freud appelle « trace mnésique » et que Lacan nomme « signifiant » ne sera mobilisable que si l’analyste fait preuve d’hospitalité à leur égard. L’analyste est alors convoqué à concevoir, à donner naissance car pour l’humain, la conception précède toujours la réalisation. Tant qu’on n’a pas réalisé, on répète. Refouler consiste à refuser d’accueillir un événement et ce refus  d’hospitalité occasionne une dépense  d’énergie que ce soit dans le domaine psychique, ou dans le champ social.

Dans un chapitre intitulé  « Recel d’une porte dérobée » nous assistons à la naissance  d’un nouveau concept. A la pulsion invocante dont Lacan est l’auteur, il ajoute la pulsion orante  dont l’objet est l’écoute. Delaunay en fait usage quand il  en vient à  avoir envie de supplier son patient de lui dire le secret qu’il recèle, secret dont la présence se manifeste par le caractère excessif   du transfert dont le poids de réel devient tel que  moi l’analyste, j’en viens à  « demander à l’analysant d’être attentif à tout ce qui lui vient, non seulement du dedans mais aussi du dehors que je suis et qui  lui parle de ce que j’ignore. »

Je reviens pour conclure sur « l’amour nécessaire » c’est grâce à lui que nous nous sautons le pas afin d’aller à la rencontre d’un patient  nouveau, singulièrement vivant, sans l’arsenal  théorique des concepts psychanalytiques. C’est ce courage de l’analyste désarmé en proie à la détresse de l’inconnu total  qui permet parfois à l’analysant  d’aller vers son propre inconnu. L’amour nécessaire de l’analyste est le courage du don qui rend l’analysant capable du courage de poursuivre la cure dans les moments les plus désespérants.

Francoise Hermon

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